Homélie du pasteur Jean-Pierre Roth, le 20 juillet 2025

Homélie du pasteur Jean-Pierre Roth, le 20 juillet 2025

GRANDCHAMP 20.07.2025

Textes : Gen 18, 1-10 ; Col 1, 24-29 ; Luc 10, 38-42

 

Message

 

  1. Introduction

                 Jésus dans notre texte de ce dimanche est reçu par Marthe dans sa maison. Avec ses disciples Jésus étaient en route, ils marchaient, entraient dans des villages. Quand Jésus envoie évangéliser, au début du chapitre, les 70 ou 72, – disciples, chiffre qui se réfère aux nations -, il ne manque pas d’insister sur l’importance de la maison. Quand vous y entrer, dites d’abord « Paix à cette maison ».   L’entrée de Jésus dans la maison est interprétée comme une allégorie de l’incarnation.  précise François Bovon dans son commentaire de Luc, en citant les exégètes médiévaux.

                 Jésus entre dans notre maison. Quelle qu’elle soit ! Il entre chez moi. – Descend Zachée, je viens chez toi, nous rappelle Jésus. Ça commence toujours chez soi, dans son cœur, dans sa vie. Au plus profond de son existence. Alors quand on parle de maison du monde, si nous n’avons pas en tête l’allégorie de l’incarnation de Jésus dans notre maison, dans le lieu de notre intimité, on risque chaque fois de vouloir se construire un palais en veillant bien que Jésus n’y entre pas !

  1. Action/Contemplation

Une des approches du texte par les exégètes touche à l’action : Marthe et l’autre : Marie, la contemplation. Service, diaconie et ministère de la Parole pour l’approche ecclésiale. Mais ce matin, je souhaite m’arrêter au couple : action/contemplation. Non pas les opposer, les dissocier, ni les orienter dans une  direction exclusive du registre de la vie monacale, ou de la vie active dans le service d’accueil ou d’action dans monde. Mais de bien les comprendre quand je suis dans ma maison. Parce que quand je suis dans ma maison, j’en sors assez souvent, ne serait-ce que pour contempler un coucher de soleil. Certes, je peux le contempler de la fenêtre de mon regard intérieur, mais est-ce vraiment la réalité ?

Sortir de chez soi, pour ne pas se retirer du monde, sortir de chez soi pour rencontrer son prochain. Sortir de chez soi pour ne pas devenir agoraphobe. Cela n’exclut jamais qu’avant de sortir il faille prêter attention à la manière dont on reçoit son Seigneur.

 Car c’est bien là le très d’union entre Marthe et Marie. Marthe fait tout pour que Jésus soit reçu dans les meilleurs conditions, mais elle reste anxieuse, stressée dirions-nous aujourd’hui, elle néglige un aspect important de ce texte. Jésus est entré dans sa maison, comme il entre dans chacune des nôtres, pour nous inviter aux choses d’en haut, nous servir de guide, nous inviter aux occupations du cœur, à l’incarnation de la paix de Dieu dans notre cœur. En fin de compte nous aider à accepter d’être d’abord servi par Lui, notre Seigneur avant d’aller servir sa cause hors de notre maison.

   

  1. Ne pas se retirer du monde

                 Alors si nous comprenons que nous ne devons pas nous retirer du monde si l’on veut conquérir le cœur des nations païennes dans la perspective lucanienne, il nous incombe aujourd’hui de les regagner ces nations, de rattraper notre retard. Et pour cela ne devrions-nous pas mettre toute notre attention sur la priorité non exclusive de Marie ? Elle écoute son Seigneur. Choisit la meilleure part…

Celle d’écouter avant de passer à l’acte. Et à partir de là : – écouter son Seigneur -, éviter les écarts entre ce qu’on est devenu à l’écoute de son Seigneur et ce qu’on fait, ce qu’on fera !

                 La priorité de la contemplation ne veut pas dire, vous l’avez bien compris, devenir inactifs, introvertis égoïstes, devenir des fardeaux pour la société. Mais tout simplement des personnes attentives au fait que la contemplation : c’est d’abord de laisser la porte de sa maison intérieure ouverte à son Seigneur.

                 La mystique active, une autre expression liée à l’interprétation de notre texte, c’est bien là qu’elle se joue, car imaginer la mystique sans partenaire, n’est-ce pas oublier qu’elle perd tout son sens ? que dis-je, qu’elle se coince dans ma raison. Laquelle ne sait plus trop bien avec quoi, qu’elle objet, qu’elle valeur, avec qui sortir de sa propre maison pour agir.

                  Et le Seigneur de dire à Marthe, Marthe – un redoublement de son prénom pour souligner, je présume, son amour pour elle :

– tu t’inquiètes, mais une seule chose est nécessaire, avoir une foi absolue en ma parole. Une parole qui pour moi personnellement, témoin de l’évangile de Jésus, mon Seigneur, nappe la table de la maison de Marthe des plus beaux mots, la dispose de rayonnement, la comble de la joie que Jésus veut faire retrouver à Marthe. Comme à nous bien évidemment, je le crois. Une Parole qui devient levain du pain azyme. Une Parole de paix qui estompe nos anxiétés, comme celles de Marthe, éloigne nos soucis et nos tracas. Ainsi dès lors, nous constaterons, éprouverons   combien c’est mieux ainsi pour agir !

  1. Conclusion

                 Finalement si Marie a choisi la bonne part, cela ne veut pas dire que Marthe n’y a pas droit. Une allégorie de l’incarnation comme, nous l’avons mentionné au début, veut nous faire comprendre l’entrer de Jésus dans notre vie pour écouter sa Parole. Une entrée qui nous atteint en plein cœur avec le programme, si j’ose dire, que Jésus va proposer au monde, voilà qui aujourd’hui devrait nous permettre – Marthe, Marthe – de redoubler notre espérance. Et ici, il ne s’agit ni de bon sens, ni de raison, ni d’humanise transcendantale, mais d’écoute avant toute action d’une autre Parole que la sienne propre, celle de la meilleure part qui ne nous sera pas enlevée.  Amen.

 

Prédication de la pasteure Laurence Reymond, le 6 juillet 2025

Prédication de la pasteure Laurence Reymond, le 6 juillet 2025

 

Envoi en mission des premiers disciples

(Lc 10, 1-11)

Curieuse, mais aussi incroyablement riche, cette histoire où se mêlent l’enthousiasme des débuts et les difficultés de la tâche des premiers apôtres.

Derrière ce texte, se cache leurs rires et leurs larmes, leurs succès et leurs échecs.

Ce qui frappe ici ?

1- L’équipement de l’envoyé, ou plutôt son manque d’équipement :

Pas de sandales, pas de sac, pas de bourse…

En clair, une allure de vagabond, à peine de quoi manger, presqu’aucune ressource financière.

C’est la réalité vraie de celles et ceux qui avaient tout quitté pour suivre Jésus !

2 – Et puis « Ne saluez personne en chemin !!! »

Choquante, cette interdiction de saluer ! Difficile de faire mieux pour ternir définitivement l’image de l’église. La politesse d’une femme ou d’un homme d’église… d’un moine ou d’une moniale, d’un paroissien, d’une paroissienne… La politesse, ça semble la moindre des choses !

C’était certainement une manière de marquer l’urgence de la tâche d’annoncer le message du Christ… sans tralala et fioritures ! sans perdre de temps

 3 – Ou encore, dans ces versets, on a vraiment le sentiment de vivre dans un monde hostile et dangereux.

Ce n’est pas notre situation mais bien celle des premiers chrétiens qui se verront rejetés et persécutés…

 4 – Sans oublier une réaction sèche de ses envoyés quand l’accueil de l’Évangile n’est pas bon. Ils sont invités à passer à autre chose sans hésiter… en secouant contre les habitants la poussière même de leur ville. Violent comme réaction (v.10-11). Là aussi de quoi nous laisser perplexes !

Derrière ce portrait haut en couleurs, se profilent la situation des premiers prédicateurs chrétiens…

Et rien n’était facile pour eux…

Pour nous, chrétiens du XXIe s., ces textes peuvent nous surprendre, nous sembler bien étrangers.

Nous qui sommes membres d’églises dites parfois multitudinistes,

qui se veulent pour toutes et tous, ouvertes à tous,

 et qui, souvent, caressent le secret espoir de pouvoir plaire à tout le monde.

Et puis en même temps, nos églises « historiques » n’ont plus du tout le même poids, ni le même impact dans la société aujourd’hui qu’il y a encore quelque temps…

Alors on se demande comment faire et comment faire évoluer l’offre de l’Eglise dans un monde qui ne nous est pas hostile, mais si souvent indifférent.

Comment aborder cette société qui vit largement sans nous ?

Alors tout à coup, le texte n’est peut-être pas si éloigné de notre situation qu’il n’y paraît.

Non pas dans les détails, mais, dans son élan.

Ce qui frappe ?

  1. Premièrement, c’est que l’action des chrétiens n’a pas son fondement dans l’attente des gens, ou dans les besoins de la population, des attentes et de besoins qui existent et dont il faut tenir compte.

Mais c’est bien le Christ qui est celui qui envoie,

qui est celui qui désigne le message central,

qui est celui qui donne la mission à accomplir et les forces pour la réaliser…

Ceci est fondamental.

Aucun sondage, aucune enquête de satisfaction, aucun résumé de « ce que les gens attendent de la religion », ne doit fonder en profondeur la mission de l’Eglise.

Même si ces études et enquêtes sont évidemment utiles pour savoir dans quelle société nous évoluons.

Je ne parle pas non plus de l’enveloppe, du langage, ni de la manière de présenter le message, qui doit être adapté, bien sûr.

  1. La seconde chose à retenir, c’est la situation de fragilité et de dépouillement.

Fragilité du petit nombre, ils ne sont que 12 ou 72 envoyées pour un pays entier… et dépouillement également… avec si peu de moyens matériels.

Dépouillement et fragilité : deux mots qui résonnent aujourd’hui pour nous et pour votre communauté certainement aussi.

Fragilité, car on sait tous et toutes que l’église n’a plus du tout le monopole de la spiritualité ni de l’éthique (morale), mais qu’elle est une voix parmi beaucoup d’autres.

Et dépouillement, car sans doute faudrait-il doubler, au moins, le nombre de pasteurs et de diacres, prêtres et d’animateurs d’Église, sans oublier l’investissement massif des bénévoles pour lancer et réaliser toutes les bonnes idées et tous les projets d’action de l’église aujourd’hui.

Et on n’a pas ces effectifs…

ET c’est là que notre texte devient une bonne nouvelle… et même une très bonne nouvelle.

Ce dépouillement est au fond la condition normale de la mission de l’église, en tout cas une condition possible de sa mission.

Traverser des périodes de dépouillement et de fragilité n’a rien d’anormal.

Et l’évangile de Luc de ce matin nous rappelle où est la véritable force de l’Église, ni dans son nombre, ni dans ses moyens matériels, ni dans ses succès, mais dans Celui qui l’envoie, le Christ, et dans le message qu’elle reçoit, qui la porte et qu’elle apporte.

Annoncer que le « Règne de Dieu est arrivé » jusqu’à nous, comme le résume Luc.

« Ce Dieu de confiance, d’amour et de pardon, est proche de chacun de nous à travers le Christ »

« Que le Dieu de l’Évangile est présent avec nous, parmi nous et en nous. »

Et annoncer cette parole bien sûr aussi dans les attitudes et les actes.

ET dans ces versets, le succès n’est pas toujours au rendez-vous…

Ces envoyés bibliques sont même parfois rejetés (aussi les prophètes, Paul…) Alors ils s’en vont, tout en ajoutant :

« Toutefois, sachez-le : le Royaume de Dieu s’est approché jusqu’à vous. »

Ils persistent et signent.

En fait, ce texte du Luc nous fait comprendre quelque chose d’extrêmement libérateur :

Si le croyant, le chrétien, est responsable d’entrer en relation, de rencontrer, de vivre au mieux en paroles et en actes, le message du Christ, et qu’il le fait.

Il n’est pas responsable ou coupable de l’échec ou de la réussite de la réception de ce message.

Nous sommes appelés à témoigner le plus sincèrement possible, dans la confiance, simplement, ni plus, ni moins.

Alors que l’Église soit performante ou non, que son message soit accepté ou non, cela ne change rien au fait que,

« Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à nous. Sa présence aimante, plus forte que tout ce qui peut nous séparer de lui, est en marche. »

Acceptée ou rejetée, cette nouvelle est la source d’une joie inépuisable.

Amen

Prédication de la pasteure Laurence Mottier, le 29 juin 2025

Prédication de la pasteure Laurence Mottier, le 29 juin 2025

La suivance : tâche impossible ?

Luc 9, 51-52

Ga 5,1.13-18

1 Rois 19, 19-21

 

 

Connaissez-vous Dorothy Day ?

C’est une femme militante américaine active du début du 20ème siècle jusqu’à son décès en 1980.

Elle était journaliste, syndicaliste et chrétienne.

L’originalité de son parcours c’est qu’elle a cherché à articuler le monde et le Royaume de Dieu, la politique et la spiritualité, les actes humains et les actes divins, l’éthique et la foi, et elle l’a fait dans sa vie, sa chaire, sa pensée et son être.

Alors que l’opposition entre ces deux mondes est très forte dans son milieu et apparemment irréductible, Dorothy Day a cherché une voie qui permette d’allier les deux ; mais ce ne fut pas du tout facile – renoncer à son engagement social en devenant catholique et le fait de devenir chrétienne l’a séparé pour un temps de ses compagnons et compagnes de lutte ouvrière et syndicale. 

Alors qu’elle est encore prise dans ces contradictions, elle assiste à Washington en décembre 1932 à la lutte des marcheurs et des marcheuses de la faim qui revendique une législation sociale une assurance chômage des retraites pour les personnes âgées de l’entraide pour les femmes et les enfants. Elle voit l’apprêté de leur lutte, leurs souffrances, et ce qu’elle voit aussi dans ces hommes et ces femmes en marche, c’est le Fils de l’homme qui n’a pas où poser la tête.

 

Dans ce choc du réel, ce contre quoi on se cogne dit Lacan, Dorothy Day entend une résonance forte de l’Évangile. Le Christ qui signale à ses disciples que le suivre dans sa marche sera coûteux, ardu, risqué, et possiblement harassant, elle le lit dans cette longue marche de travailleurs et travailleuses qui ont obtenu à hauts coûts, au péril de leur santé, de leur intégrité, des droits et des protections sociales.

Ainsi la marche du Fils de Ho n’est pas seulement une marche sur les chemins de Palestine, sous occupation romaine dans un lointain passé, un passé révolu, ni celle souvent caricaturale dans nos imaginaires chrétiens des apôtres et des premiers croyants fondant tranquillement leur Église ; comme si tout s’était déroulé comme une évidence, avec une facilité déconcertante ;   une marche qui n’a rien à voir non plus avec une sympathique course de montagne.

 

La marche du Fils de l’homme qui n’a pas où poser la tête, c’est l’engagement du Christ dans notre histoire humaine et inhumaine. Il y avance sans protection, sans refuge, sans armée, sans plan de bataille ; il s’y expose tête nue, désarmé, les mains ouvertes, le cœur au large, le regard affuté. Le Christ marche au milieu de nous, de notre monde, ce qui le rend solidaire des longues marches humaines pour la justice, pour la dignité, pour le bien commun.

La fulgurance de la théologie de Dorothy Day relevée dans son journal ce jour-là est pour moi parole d’Évangile.

Sa foi lui donne à voir quelque chose du Royaume dans ces hommes et ces femmes, transis de froid de faim et du désir de justice ; l’engagement de ces marcheurs/ marcheuses de la faim fait apparaître Christ lui-même, le Fils d’humanité qui n’a pas où poser la tête.

Poussant plus loin sa lecture de la Bible, dans l’Évangile de Jean, Dorothy Day relève que le premier épisode de la vie publique de Jésus est de renverser les tables des marchands du Temple juste après les noces de Cana et que la lecture chrétienne a souvent édulcoré la force politique du Christ, la force de transformation et d’action de l’Évangile contre les dérives et les injustices. Ne dit-on pas que le premier signe est celui des noces de Cana, symbole nuptial et miraculeux en omettant soigneusement de donner une place aux actes à portée politique de Jésus ? en particulier le premier, radical, devant la puissante institution religieuse de son temps

 

A la lecture de Dorothy Day, je me dis que trop souvent mon Église, et moi et le christianisme en général se sont installés dans un ronronnement confortable, dans un contentement d’institutions établies qui ne cherchent plus à transformer le monde, mais qui s’en accommode.  Comment ne pas penser à Dietrich Bonhoeffer qui a mis sa propre vie en jeu contre le pouvoir d’Hitler, après sa résistance intellectuelle, morale et spirituelle de pasteur et de théologien ou à Jacques Ellul, soulignant que Jésus ne donne qu’un seul commandement « Suis-moi » et non une liste de choses à faire ou ne pas faire. La subversion du christianisme c’est d’avoir fait de l’Évangile une morale, oubliant que l’Évangile est fondamentalement liberté.

 

Alors : L’Évangile contre le monde ou l’Évangile dans le monde ? Une foi hors sol, préservée, intacte ou une foi exposée à autrui, malmenée, questionnée ? L’Église refuge loin du monde mauvais, chaotique et attiré par la guerre et la violence ou l’Église affrontée, confrontée, aux prises avec ce chaos, cette brutalité, ces dérives vers la destruction ?

 

En parlant de guerre et de logique meurtrière, alors que les cieux se sont zébrés de missiles destructeurs, semant la mort et la désolation, alors que des populations civiles meurent de faim à Gaza ou dans leur exil en mer ou sur des chemins de trafics, sous le joug de dictateurs, du fait du cynisme des puissants, j’ai pensé à une autre femme chrétienne plus proche de chez nous :

Connaissez-vous Hélène Monastier ?

Vaudoise, protestante, enseignante et pacifiste, devenue quaker, elle a été très engagée dans le service civil international aux côtés de Pierre Ceresol. Elle traverse les deux Guerres mondiales et décède en 1976 à Lausanne.

Hélène Monastier a peu écrit mais son témoignage est dans ses actes son action et son courage car il semble facile d’être pour la paix en temps de paix ; mais dès que les nations se dressent les unes contre les autres et entrent dans une logique guerrière, il devient coûteux très couteux de s’y opposer et de dénoncer tout recours aux armes, tout enrôlement dans l’armée.  Sommes-nous encore capables de suivre la voix du pacifisme, de lui donner crédit et de croire à la paix plus qu’à la guerre ? En suis-je capable ?

 

Dans les paroles du Christ, il y a rupture d’évidences. Tout d’abord, il n’accepte aucun appel aux armes – en réponse à ses disciples sur le refus de certains, il interdit tout envoi du feu du ciel contre eux.  L’esprit de vengeance, de revanche et de destruction d’autrui, même s’il nous est opposé ou hostile n’est jamais son Esprit.

Mais peut-être préférons-nous l’idée d’un feu purificateur et destructeur qui nous débarrasserait des malfaisants, des méchants.

Avec le Christ, nous sommes invités à marcher en transcendant le mal par l’amour, par une ouverture inconditionnelle à autrui quel qu’il soit; à offrir une présence, notre présence à autrui ; de là jaillit une lumière qui donne la vie et non un feu prêt à tout dévorer.

Il y a aussi rupture avec les obligations filiales, familiales : enterrer son père, saluer sa maison. Des actions qu’il s’agit de faire passer en second. Parole dérangeante, radicale : que comprendre ?  Peut-être que Jésus lit dans ces obligations filiales une possible défense de la patrie, une défense d’intérêts étroits, liés à son clan, à sa maisonnée et qui peuvent entraîner à la violence, aux conflits meurtriers. Répétés de génération en génération.

 

Aller sur les routes avec Christ, c’est quitter le clanisme, les refuges sécuritaires, identitaires, l’entre-soi. C’est une liberté, une libération de certains carcans et aussi une responsabilité pour plus large, pour notre co-humanité, pour la terre partagée en commun, pour notre maison commune, oïkoumène une terre habitable pour tous et toutes : à constater le dérèglement climatique et les périls écologiques, avons-nous failli ?

 

Si les routes sont sa maison, l’entier de la réalité humaine est dans son cœur, est portée dans son désir d’amour, dans son attention pour la justice et sa compassion pour chaque être humain, chaque population, chaque croyant·e et chaque incroyant·e.

Christ Fils d’humanité, ne vient pas nous surplomber pour imposer, convaincre, conquérir mais il marche avec nous pour aller vers autrui et il chemine aux côtés de notre humanité, humblement. Simone Weil a cette parole magnifique : Dieu s’approche de nous tel un mendiant qui vient quérir notre amour et il revient et reviendra autant de fois que nécessaire, sans se lasser, sans abandonner notre cause.

Le Dieu mendiant n’est-ce pas l’antidote à tout projet impérialiste et mortifère ?

 

Suivre le Christ peut nous paraître une tâche impossible, un risque démesuré. Au-delà de nos capacités. C’est ce que j’ai souvent entendu dans mon ministère pastoral ; le Christ et l’Évangile oui, mais le suivre, c’est trop, trop difficile, trop exigeant.

En découvrant la vie de ces femmes Dorothy Day, Hélène Monastier, Simone Weil je me dis qu’il ne faut pas avoir d’autre ambition que de vivre l’Évangile à même nos vies. ¨

 

Voir le Christ ce Fils d’humanité qui œuvre sans cesse, sans repos dans les allées du monde, de notre monde, de nos réalités plurielles, un Christ qui vient aujourd’hui au plus proche des femmes, des hommes, des jeunes, des enfants. Qui ne vient pas dans l’extraordinaire et les destinées hors du commun, mais dans l’ordinaire et dans le commun. 

 

Dorothy Day après la rencontre des marcheurs et marcheuses de la faim, alors qu’elle ressent un immense désespoir devant l’ampleur des injustices, devant la misère infligée à tant d’êtres humains,  et le dur labeur à accomplir pour quelques gouttes de justice, lance sa prière vers Dieu, son cri de désespoir et quelque temps après, elle croise le chemin de Peter Maurin, chrétien et militant, qui allie culte culture et agriculture dans une vision de transformation profonde de la société et avec lui, elle fait jonction, elle fait l’unité, elle comprend qu’elle peut être chrétienne et militante, unir  et articuler le Royaume de Dieu et le monde ; elle marche vers son unité intérieure ; et elle ouvre des maisons d’hospitalité pour offrir aux sans-abris aux oublié·es de la prospérité aux affamé·es aux meurtri·es une maison, un foyer, un lieu hospitalier, où rebâtir sa personne, sa vie et ses relations.  Pour aller vers un avenir possible, pour prendre des forces avant de reprendre sa route.

Dorothy Day commence son action dans sa cuisine et dans son salon, avec les moyens du bord. Elle ouvre sa porte à autrui et c’est toute sa vie qui change.

 

On croit savoir et c’est l’autre qui nous enseigne

On croit maîtriser et c’est l’autre qui nous révèle notre fragilité

On croit aider et c’est l’autre qui nous libère

On croit comprendre et c’est l’autre qui nous montre le chemin à suivre

 

Amen

Prédication du 15 mai 2025 par John Ebbutt

Prédication du 15 mai 2025 par John Ebbutt

2 Pierre 1, 12-21

Jean 5, 19-30

 

Qu’est-ce que la vie ?

Cette durée qui nous a été accordée sans qu’on n’ait rien demandé !

Ce qui nous a été offert un beau jour comme un projet.

Qu’est-ce que la vie ? Celle qui nous a fait entrer dans le temps, en nous bousculant un peu, nous donnant de regarder plus haut ou juste devant…

Qu’est-ce que la vie, telle qu’elle s’est présentée à nous, avec ses promesses, ses rencontres inattendues, les choix ou les refus, les réussites ou les occasions manquées, les grands rêves et ce qu’il a fallu accepter comme un tout qui nous a été donné ?

Qu’est-ce que la vie, quand la souplesse d’autrefois s’est mise à grincer, quand tout n’est plus aussi aisé ?

Qu’est-ce que la vie aujourd’hui, pour moi, pour vous, dans ce qu’elle contient de connu et puis de mystère, de bien à soi et de ce qui nous échappe aussi, cet insondable si vaste ? Car on le sait :  elle n’est pas un bien que l’on possède une fois pour toute, mais plutôt un vêtement à coudre, patiemment, une construction jamais terminée, un chemin à emprunter. Elle est insaisissable et pourtant, qu’est-ce qu’on y tient à cette vie !

Elle est si précieuse et si fragile à la fois, immense et pourtant en circulation en chacun/e de nous. Infiniment respectable, humaine, mais aussi à l’image de Dieu comme une double origine qui fait de nous des croyants

Qu’est-ce que la vie ?

C’est une grande question pour laquelle on pourrait rassembler toutes sortes de réponses, tant elle ne se résume pas à une idée, qu’elle ne se rétrécit pas à un message, mais qu’elle déborde jusqu’aux frontières du monde entier et que chaque fois que nous nous rencontrons, elle est multipliée !

Oh, il y a bien la vie biologique. Celle qui nous compose d’un peu d’eau, d’azote, de carbone, de sel et de souffre pour une santé de fer, sans oublier un peu de cuivre pour être un bon conducteur ! Un dosage subtil, presque un miracle d’équilibre.

Mais ce n’est pas suffisant pour faire de nous des vivants.

Il y a bien celle que l’on peut raconter, à l’aide d’une généalogie pour dire un héritage qui porte la trace d’un visage, d’un accent ou d’un humour …

Celle des formations et des apprentissages, des expériences et des passages

Celles qui nous définit aux yeux des autres avec une place, unique, une fonction, un rôle, un engagement, des prises de positions, des oui et des non

On pourrait alors parler encore des relations. Ce qui nous lie en espérant qu’il y a un peu de soi déposé chez les uns et les autres et que l’on vit aussi à travers les pensées, les prières qui nous mettent en communion.

Mais qu’est-ce que la vie au gré des approbations, des louanges ou des critiques, de l’affection ou des distances, des deuils et des séparations ?

L’Evangile de Jean, lui, nous propose un autre regard, qui rajoute de la vie à la vie, en mettant dans la bouche de Jésus, cette affirmation étonnante : « celui qui écoute ma parole et croit en moi a la vie éternelle ».

 

C’est une belle expression !

On la retrouve au fil des rencontres comme une révélation particulière qui est faite à Nicodème en sa nuit, à la Samaritaine au bord du puits, devant la foule nourrie du pain de vie et dans plusieurs messages adressés comme celui que nous avons écouté après la guérison du paralysé au bord de la piscine. La vie éternelle annoncée plus de 17 fois dans l’Évangile comme l’irruption d’une nouvelle réalité. ζωή αἰώνιος, deux mots accolés

« Celui qui croit à la vie éternelle »

Ce qui frappe c’est qu’elle se tient là, sans se projeter dans un horizon lointain ou une prolongation sans fin

Mais déjà, elle s’invite comme un présent. Celui écoute et croit, celui qui s’ancre dans le Fils et qui se tourne vers le Père a la vie éternelle.

Dans la brièveté de jours qui se consument, il n’y a non pas une quantité promise, mais une qualité acquise, non pas un sursis, mais une densité, non pas un après, mais un maintenant qui se donne librement, sans tarder.

La vie éternelle qui devient tout au long des paroles de Jésus, nouvelle naissance, source jaillissante, fleuve d’eau vive, pain partagé, nouvelle mobilité qui nous plonge tout entier dans une autre dimension, plus large et plus profonde à la fois.

Elle fait de la vie une traversée, une autre destinée : « celui qui croit en celui qui m’a envoyé a la vie éternelle, il est passé de la mort à la vie »

Nous sommes des ressuscités ! même si notre vie est limitée, nous le savons bien ! Même si nous sommes en prise avec le temps qui file entre nos doigts, il y a en nous, un fondement qui se greffe déjà sur une vie qui nous contient : celle que Dieu nous fait revivre en son Fils.

La vie non pas à garder jalousement, à justifier et à prouver sans cesse (c’est la vie d’avant que nous avons laissée derrière nous), mais celle à recevoir avec gratitude et amoureusement ! Elle abreuve notre âme, elle irrigue notre cœur, elle ravive la foi qui ne regarde plus la vie comme un itinéraire, qui irait d’un commencement à une fin, mais d’une Aurore à un Royaume, d’un premier jour à un éternel présent, d’un Amour à une plénitude, de ce « une fois pour toute » à cet instant…

C’est la foi de Pâques qui nous (r)anime

Mais avec cela, il faut aussi entendre cette autre parole, avec ce lien d’affection si tendre :

« C’est que le Père aime le Fils… »

Quand on aime on se dessaisit, on s’abandonne

Et il n’y a pas loin de croire à aimer…

La vie éternelle c’est l’amour du Dieu vivant qui agit en nous par le Fils en venant dilater le temps, élargir nos présents, ouvrir nos espaces, habiter nos journées dans une dynamique jamais épuisée

Car n’y a pas d’un côté la vie, la petite, l’ordinaire, celle que l’on porte parfois comme un fardeau, celle qui se fane ou se réduit, celle qui fuit, et puis l’autre, la grande, la plus digne d’être vécue, la trop rare, l’éphémère.

Non, le Christ de Jean nous dit que désormais toute la vie peut porter cette saveur d’éternité, qu’elle contient déjà ce qui ne passe pas, quand dans la pleine conscience de soi et des autres, l’amour se dépose en fines paillettes d’or, à l’image de ce sablier (…)

Alors oui, depuis Pâques, nous ne sommes plus dans le temps qui s’échappe, qui s’écoule sans fin, mais déjà dans celui qui grandit, ce qui petit-à-petit nous remplit, car il faut retourner le regard, faire ce geste de renverser, non plus considérer la vie entre un début et une fin, mais par ce foyer incandescent qu’est la Résurrection.

Par cette source qui illumine nos jours, par ce point de départ qui donne un nouvel éclairage quand tout est placé à la lumière d’un Amour qui est entré dans le temps pour le transformer

« Il est pareil à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à c que le jour paraisse et que l’étoile du matin illumine vos cœurs » nous dit Pierre dans sa lettre. »

Alors tout compte, et même l’infiniment petit, le banal et le simple deviennent parabole, le quotidien une merveille, la graine semée un arbre d’immensité, le levain caché la pâte qui se lève, le hasard un signe adressé, la fraction de seconde, une paillette d’éternité

Alors tout change quand l’éternité vient inscrire nos vies dans une continuité avec le matin de Pâques, car comme on l’avait entendu de Léon XIV, la semaine dernière « l’amour vaincra ». Il n’y a pas d’autre espérance que celle-là.

Oui, le Christ nous le dit : « l’heure vient – et maintenant elle est là, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l’auront entendue vivront. Car comme le Père possède la vie en lui-même, ainsi a été donné au Fils de posséder la vie en lui-même ».

Lors d’une marche de nuit dans le Jura, avec des jeunes du samedi au dimanche des Rameaux de cette année, alors que le soleil se levait sur la campagne, nous avons lu ce texte d’un journaliste du Guatemala, José Caldéron Salazar

    On dit que je suis menacé de mort corporelle. Qui n’est pas « menacé de mort“? Nous le sommes tous, depuis notre naissance. Car naître, c’est déjà mourir un peu. Menacé de mort, et alors ?

Il y a dans cet avertissement une erreur profonde. Ni moi ni personne n’est menacés de mort. Nous sommes menacés de vie, menacés d’espérance, menacés d’amour. Nous nous trompons. Chrétiens, nous ne sommes pas menacés de mort. Nous sommes menacés de résurrection. »

Il y a des menaces qui veulent notre bien !

C’est le Ressuscité qui habite déjà au cœur du temps pour nous entrainer dans la vie attentive qui jamais ne se lasse, mais reste réceptive

Dans la vie ouverte, qui jamais ne se ferme, mais accueille

Dans la vie compatissante, qui jamais ne juge, mais se laisse émouvoir

Dans la vie nouvelle, qui jamais ne se replie, mais s’étonne toujours et encore, d’un tel Amour qui est de toujours, de tous les jours, et … de chaque instant ! (sablier)

Amen

Prédication du 11 mai 2025 par Yves Bourquin

Prédication du 11 mai 2025 par Yves Bourquin

Chères sœurs, chers frères et sœurs en Christ,

Lorsque Jésus se tint devant Pilate, lors de son procès, il dit cette phrase inoubliable : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. ». Et Pilate de lui répondre, comme on le sait tous : « Qu’est-ce que la vérité ? »

Alors, en ce dimanche du bon berger, j’ai voulu commencer cette méditation en vous posant à vous la question… la fameuse question de Pilate : Qu’est-ce que la vérité ? Et surtout la vérité ultime, implacable, incontestable.

Je ne peux pas répondre pour vous. Mais je peux vous dire comment je m’y suis pris pour répondre à cette question.

Pour moi, la vérité passe d’abord par une acceptation absolue de ma condition, totale et sans détour, ni faux semblant, sans pic d’égo ni crise de rabaissement. Une parole juste sur moi-même.

Je suis une créature, qui est né et qui va mourir. Je suis une créature de Dieu pleine de finitude et tout à la fois empli dans mon cœur d’éternité. Mon imagination est sans limite, mais mon temps et ma possibilité d’agir m’imposent un cadre que je ne peux dépasser. Je dois faire des choix. Je veux le bien et parfois c’est le mal qui se produit. Je ne suis pas parfait, pas toujours aimant, pas toujours de bonne humeur.

Je suis à la fois pétri de peur et à la fois empli d’un courage immense qui me fait dépasser chacune de ses peurs, pour être.

Je suis un individu qui a besoin d’être seul et un homme pris dans une communauté qui me nourrit dans tous les sens du terme.

Il m’est donné de faire de grandes choses, mais leur aboutissement ne dépendra jamais entièrement de moi.

La Vérité, pour moi, commence par ce positionnement juste devant mon Dieu, qui est mon Père, qui est mon berger.

Au-delà de ma personne et donc de l’individualité, la vérité concerne aussi ce que Dieu proclame, par la bouche de Jésus-Christ : Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis, à la différence du mercenaire qui lorsque vient le danger fuit et sauve sa propre vie.

Je crois que la seule vérité qui compte vraiment, c’est que Dieu a une relation d’amour avec moi, avec nous. Voilà une affirmation bien convenue, mainte fois entendue, un peu galvaudée… Et pourtant.

Une relation d’amour ne va pas à sens unique, quoi que Dieu nous aime même si ce n’est pas réciproque. J’en conviens. Mais je crois que ça ne lui est pas indifférent.

Mais même sans réciprocité, cette proclamation nous met face à un choix. Lorsqu’un amoureux déclare sa flamme à sa bien-aimée ; celle-ci se trouve devant le choix d’y répondre ou non.

La relation d’amour engage.

Elle engage la liberté, la contraint même parfois. Elle engage la confiance. Elle engage la fidélité. La persévérance, l’équilibre sans cesse à ajuster entre soi et l’autre, l’envie, le désir, la recherche, la construction, le pardon, la volonté d’être en présence…

… et ce même dans la mort.

La mort…. J’ai toujours été fasciné par la phrase paradoxale d’Apocalypse 7,14 : Ces gens aux robes blanches viennent de la grande épreuve. Ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’agneau.

Inutile de vous dire à quel point le sang tache. Il est très difficile de blanchir son vêtement avec du sang.

Et pourtant, la grande épreuve, la plus grande dans la vie. C’est de rester fidèle à la vérité.

Ce n’est pas pour rien que le mot martyr (avec ou sans e), signifie en vrai témoignage ou témoin. Le témoignage mène potentiellement à la mort.

Il n’y a pas plus grand amour que de donner sa vie pour ses brebis quand le loup vient, dit Jésus.

La grande épreuve donc, c’est précisément celle que Jésus a connu… et que nous aussi nous pourrions connaître à sa suite.

Jésus est mort pour une seule raison. Il n’a jamais trahi l’amour de son Père. Car comme je vous l’ai dit, pour moi, c’est la plus grande Vérité qui soi.

Il n’a jamais trahi cette vérité. Il n’a jamais trahi l’enseignement qu’il a donné à propos de cette vérité.

Il ne s’est jamais mis sous l’égide d’une autre puissance. Il ne s’est pas soumis aux forces du mensonge. Il est resté parfaitement ajusté dans la relation d’amour qui a été proclamé entre Dieu et lui le jour de son baptême. Il est resté Fils bien-aimé, d’un Père qui aime au-delà de tout.

Et dans cette relation d’amour total et donc d’impossibilité de trahison (car l’amour véritable se montre au fait qu’il ne peut être trahi justement car même si on la tait, les pierres crieront.), Jésus est allé jusqu’à la mort… Cette mort n’aurait pu être évité que si Jésus avait trahi sa promesse de fidélité envers le Père et l’avait renié.

Avec la Vérité, on ne négocie pas. On ne peut pas, comme tentait de faire Pilate, la relativiser. On ne peut pas. Car elle est ! Elle s’impose de facto, car elle est.

Donc, le témoignage de cette vérité d’amour parfois engage notre vie : Devant l’injustice, le mal et l’horreur de la guerre, face aux dictatures, face aux totalitarisme, face à l’intégrisme. Face à toute tentative de dire de Dieu qu’il aime plus les uns que les autres, notre témoignage engage notre vie.

Dieu aime toutes ses brebis et on le sait, lorsqu’une brebis s’égare, il mettra tout en œuvre pour la retrouver. Voilà sa fidélité d’amour, voilà la Vérité.

Ainsi, ces braves gens de l’Apocalypse ont passé la grande épreuve. Ils n’ont pas renié l’amour de Père dans leur témoignage… Et oui, ils en sont morts.

Si Jésus avait évité la croix, il n’y aurait pas eu de Bonne Nouvelle. Cela aurait été le néant.

Mais le texte de Jean lu ce matin proclame encore autre chose : Nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père.

La mort n’arrache rien de la main du Père. C’est bien ce que veut exprimer aussi le passage de l’Apocalypse. La mort fait partie de la Vérité. Elle est là. Elle existe. Elle est dans la création de Dieu. Elle fait partie du cadre nécessaire à la vie, à sa saveur, à son sens. Elle est aussi là par la volonté de Dieu.

Mais la mort ne règne pas. Le loup et son pouvoir de mort ne règne pas.

On ne sait rien de la résurrection, si ce n’est qu’elle est aussi paradoxale qu’une robe blanchie par le sang.

Mais, notre cœur qui cherche sans cesse à approcher la vérité de l’éternité se l’imagine avec des symboles : plus de soif, plus faim, plus d’insolation et un berger qui prend soin de nous et nous amène vers des sources d’eau vives.

L’agneau crucifié est devenu le berger. Comme nous sommes des bergers à chaque fois que nous osons – même au risque de notre vie – rendre témoignage à la Vérité. Des brebis nous suivent…

Chères sœurs, chers frères et sœurs,

Il existe un courage qui donne tout son sens à notre existence.

Ce courage un jour a fait dire à Dostoïevski, dans une lettre à une amie, la phrase suivante:

Si l’on me démontrait que le Christ est en dehors de la vérité, et que la vérité est en dehors du Christ, je préférerais rester avec le Christ plutôt qu’avec la vérité.

Le courage d’affirmer cette vérité continue chaque jour de donner du sens à ma vie… au risque du doute, en dépit de ma finitude et de mon indignité.

Car je ne crois pas de façon aveugle, à des vérités qu’on m’aurait racontées ou imposées.

Je crois simplement à ce qui me donne la force d’être moi-même, à ma juste place dans ce monde… Cette Vérité qui dit que je suis aimé, conduis, voulu, digne de grande choses, parce qu’en dépit de mon indignité, Dieu m’aime inconditionnellement.

Et sans cette foi, finalement, je fais un constat. Sans cette foi, je serais déjà mort de toute façon.

Qu’en est-il pour vous ?

Amen

Homélie du 4 mai 2025 par Marc Balz

Homélie du 4 mai 2025 par Marc Balz

 

Jn 21,1-14,   3e dimanche de Pâques, Pêche miraculeuse

Grandchamp, 4 mai 2025

Deux mondes semblent s’opposer dans notre récit :

la nuit et l’aube

la mer et la terre ferme,

le côté gauche et le côté droit de la barque

le monde d’avant et le monde nouveau

le deuil – ou la perte -, et la joie-

J’aimerais bien prudemment aborder avec vous  deux lectures possibles de ce récit :

  • tout d’abord  ce que vivent disciples (le désarroi, la perte, la peur), et ce qui émane du Christ (la joie, la confiance, et tous les possibles qui sont là)
  • et aussi ce fameux côté gauche de la barque et voir avec vous ce qui se passe du côté droit.

Pour commencer, ce que vivent les disciples et du Christ, que tout semble opposer ici.

Les disciples se retrouvent ensemble après avoir tout perdu lors de la mort en croix de leur Seigneur, leur cœur est en deuil, ils ont perdu : l’épisode de l’apparition du Christ deux semaines de suite, la seconde fois avec Thomas semble oubliée. Une parenthèse de vie heureuse s’est refermée, les voilà de retour dans leur vie d’avant, dans leurs habitudes d’avant, dans leur métier d’avant. Au moins, être ensemble leur permet de ne pas rester seuls dans dans ce qu’ils vivent, et c’est déjà une consolation. Maigre pourtant.

On pourrait dire qu’il sont revenus dans leur zone de confort et de compétences : ils pêchent (ça, ils savent le faire). Comme toujours, sauf qu’avant, ça marchait, et là, malgré leurs effort, ça ne marche plus du tout. Demeurer dans leur zone de confort par peur les conduits à une impasse.

Sur la terre ferme cette fois, le Christ se tient seul, debout et vivant. Il a travaillé dans l’ombre, discrètement : il a pêché peut-être lui-même des poissons et façonné le pain, ramassé le bois, fait le feu et attendu qu’il devienne braise. Tout cela non pas pour lui, mais pour eux. Ayant tout préparé, comme à son habitude, il amorce le dialogue : «vous n’avez pas un peu de poisson ?».

Deux mondes paraissent s’opposer, je l’ai dit :

Le monde de l’habitude et de la perte, du désarroi, peut-être de la peur : ce qui marchait ne marche plus, mais ça occupe, ça distrait, et de toute manière, ils sont dans l’incapacité d’entrevoir d’autres options…

Et le monde de la nouveauté, de la vie où tous les possibles sont là ; le monde de l’aube, de la terre ferme, du feu de braise et de la nourriture partagée.  Pour entrer dans ce monde-là, il faut que les yeux et le coeur s’ouvrent, il faut «changer de niveau de conscience», il faut la rencontre avec le Christ.

La peur (ou le désarroi, la perte) des disciples bloque tout. La peur n’ouvre sur aucune nouveauté, aucun changement de perspective. Parce que la peur est une énergie ou une vibration basse, qui empêche tout renouveau possible. Elle les fait rester dans le manque : une nuit à jeter les filets pour ne rien prendre.

A l’opposé, la joie et la vie du Ressuscité, elle, sont créatives, communicatives. La joie permet aux désirs les plus profonds de se réaliser. La joie est une énergie, une vibration haute, qui ouvre et permet tous les possibles. C’est le physicien Philippe Guillemant qui développe cette idée, très porteuse spirituellement.

La réalité de Pâques se réalise quand la nuit des disciples et l’aube du Christ se rejoignent, quand le dialogue se noue entre eux, quand les habitudes stériles sont rejointes par la créativité du Vivant, quand le deuil des disciples est touché par le Vivant. La réalité de Pâques, c’est ce va-et-vient entre la mer et la terre ferme : Eh les enfants, vous n’avez pas un peu de poisson ? Non ! Jetez les filets de l’autre côté et vous trouverez (là, on n’a pas la réponse des disciples, mais je me suis demandé ce qu’ils ont bien pu penser à ce moment-là…), puis tout d’un coup «C’est le Seigneur» et ça continue :  Pierre s’habille et se jette à l’eau (on aurait pu imaginer le contraire, mais bon…), les disciples reviennent sur la rive, Pierre remonte dans la barque, puis après avoir compté les poissons, ils vont déjeuner : ils savent alors que c’est le Seigneur.

 

Vous voyez tous ces va-et-viens entre ces deux mondes ? La vie circule enfin. Et c’est ce que veut le Christ, rejoindre nos peurs, nos deuils, nos échecs et y insuffler la vie de Pâques afin que tous nos possibles, toutes nos aspirations, puissent se concrétiser.

La seconde lecture que je vous propose se situe sur un plan plus symbolique : elle s’attarde brièvement sur le côté gauche et le côté droit de la barque.

Les disciples jettent leurs filets du côté gauche de la barque, dans la nuit, dans une eau noire où ils ne voient rien. Or, c’est impossible de ne rien prendre en jetant ses filets, impossible de n’attraper aucun poisson car ces eaux (à l’époque) étaient très poissonneuses. Cette impossibilité nous interroge donc.

Il s’agit donc pour les disciples – mais surtout pour nous, Frères et Soeurs – de jeter nos filets du côté droit de nos vies, à la lumière de l’aube (et non plus dans la nuit), à l’invitation du Christ (et non plus tout seuls), et là une grande quantité de poissons vont remonter de nos profondeurs jusqu’à terre ferme. N’est-ce pas là le travail d’une vie entière, puiser dans nos profondeurs, nos ténèbres, nos obscurités, aller voir, faire remonter, accueillir, identifier et nommer ces poissons qui épouvantent parfois. Et il y a du travail, nos eaux intérieures sont tellement poissonneuses ! Mais pas infinies non plus : car après 153, ça s’arrête.

L’Evangile de Pâques nous invite donc, avec le Christ à nos côtés, à nous laisser transformer en regardant tous ces poissons qui remontent. Et vous vous souvenez,  «poisson», ichthus en grec, est l’acronyme de Jésus Christ, fils de Dieu, Sauveur.

Alors bonne pêche, avec le Christ !