Homélie par Pierre-Yves Brandt, le 28 septembre 2025

Homélie par Pierre-Yves Brandt, le 28 septembre 2025

 

Chers frères et sœurs,

Les textes de ce dimanche nous parlent des riches. Aucun de ces textes ne condamne la richesse en soi, mais tous mettent en garde contre la cupidité et les risques de mettre sa confiance dans les biens matériels et l’argent. La Première Lettre à Timothée dit ainsi sans ambages que « la racine de tous les maux est l’amour de l’argent » (1 Tm 6,10). Ceux qui possèdent de grand bien risquent de s’enorgueillir et de mettre leur espoir dans des richesses incertaines (1 Tm 6,17). Le risque, c’est l’autosuffisance. Grâce à ce que j’amasse, je me crois en sécurité. Or c’est une sécurité incertaine. La guerre, un incendie, un tremblement de terre, un effondrement de la bourse ou la faillite d’une banque peuvent me ruiner en un rien de temps.

Mais le risque de tout perdre n’est pas le risque principal que veut souligner la Lettre à Timothée. Nous mourrons tous un jour et nous perdrons tout. L’impermanence du monde matériel est le lot commun de chacun et le bouddhisme a bien souligné que d’y être attaché nous expose à des souffrances dont on peut se libérer en se détachant de l’attrait des biens de ce monde. Si l’on en restait là, ce serait une question à résoudre entre soi et soi : veux-tu diminuer les sources de souffrance en te détachant ?

Les textes de ce dimanche vont plus loin que d’avertir sur les souffrances qui attendent ceux qui s’attachent à ce qui est impermanent. Les textes de ce dimanche mettent en lumière le danger principal qui guette les riches : à force d’avoir les yeux fixés sur l’appât du gain et sur leurs possessions, les riches risquent de ne plus voir ceux qui ont moins et ceux qui n’ont rien. Cela peut aller jusqu’à les tromper, les exploiter, les traiter comme des marchandises. Le prophète Amos est sévère à l’égard des élites du royaume d’Israël, telles qu’il les voit se comporter à son époque. Au chapitre 8 lu dimanche dernier, il fustigeait les marchands qui faussent les balances et qui pratiquent la traite de leurs semblables : ils achètent un pauvre pour le prix d’une paire de sandales. Au chapitre 6 lu aujourd’hui, il décrit les autorités qui vivent dans le luxe, laissent aller le pays à la ruine et n’en ressentent aucun tourment.

La richesse peut centrer sur soi et boucher la vue sur la misère de ceux qui n’ont rien. C’est aussi ce qui est reproché au riche de la parabole que Jésus raconte. Il y a un pauvre du nom de Lazare qui git à sa porte et personne ne s’en soucie. Ce n’est que quand le riche se trouve au séjour des morts qu’il lève les yeux et regarde Lazare. Là, on découvre que le riche avait bien dû connaître l’existence de Lazare puisqu’il connaît son nom. Mais il l’a ignoré. Son confort l’avait rendu insensible à la misère de Lazare. Il comprend bien que c’est là la cause de son tourment actuel. Ainsi, quand Abraham lui dit qu’il est maintenant impossible que Lazare vienne l’en soulager, il demande alors que Lazare soit envoyé auprès de ses cinq frères pour les avertir.

Pour les avertir… Mais les avertir de quoi ? Le texte ne le dit pas. Comme si cela était si évident qu’il n’y avait pas besoin de le dire explicitement. Le problème n’était pas la richesse, mais le manque d’humanité du riche à l’égard de Lazare, l’absence de relation qui respecte la dignité de Lazare, l’absence de compassion face à sa faim et à ses plaies.

La Première Lettre à Timothée dit que quand on fuit l’amour de l’argent, alors on est capable de rechercher la justice, la piété, la foi, l’amour, la persévérance et la douceur. A l’inverse, l’amour de l’argent engendre des relations injustes, qui bafouent la piété, sans foi, sans amour, versatiles et dures. C’est pourquoi, quand nous constatons que nous nous comportons de manière injuste à l’égard de ceux qui nous entourent ou que nous avons soudain des paroles ou des gestes durs à leur encontre, cela devrait nous alerter. Qu’est-ce qui est en train de me séduire et de capter toute mon attention, au point que je me mets à maltraiter ceux qui sont à ma porte ? De même, lorsque nous sommes prêts à considérer soudain comme sans valeur des objets, coutumes ou lieux pour lesquels nous avions jusque-là une dévotion, il vaut la peine de nous interroger sur ce qui a pu brusquement nous rendre si irrespectueux. Quels sont nos mobiles, qui justifient brusquement des comportements qui ne manifestent plus aucune considération pour ce que nous respections jusque-là ? Ou si nous perdons toute constance, prêt à tout bousculer dans un sens puis dans un autre, sans motif clairement apparent, juste en nous rassurant nous-mêmes que c’est ainsi que l’on peut se prouver qu’on est libre. On achète des affaires pour les revendre, on saute d’une relation affective à une autre, d’une communauté religieuse à une autre, etc. Qu’est-ce qui m’anime secrètement ? Me voici soudain comme si j’étais devenu sans foi en Dieu ou dans les autres. Dans quel « Bien » suis-je en train de mettre ma foi ? Ou me voici devenu comme sans amour de Dieu ou des autres, mais mettant mon amour dans l’argent ou une autre forme de richesse ? Oui, tous ces comportements devraient être des alertes qu’il y a anguille sous roche. Je me suis attaché à un bien que je veux posséder à tout prix, et donc je suis prêt à tout au mépris des autres et tout spécialement de ceux qui n’ont que de pauvres moyens pour accéder à une vie bonne sans la solidarité de ceux qui les entourent.

Car l’amour qui nous attache à mort, n’est pas seulement l’amour de l’argent. Il y a d’autres formes de richesses qui ne sont pas les biens que Dieu dispense en abondance (1 Tm 6,17). On peut être obnubilé par la recherche de l’admiration des autres, par la recherche d’une réputation, par l’exercice du pouvoir. Quel est le bien, ou plutôt le pseudo-bien, dont la recherche m’amène à devenir dur à l’égard des autres, sans pitié, prêt à les tromper, à m’en méfier… ?

A l’opposé de l’amour qui nous attache à mort, il y a l’amour qui engendre la vie, qui suscite des liens vivants où l’autre, les autres deviennent des partenaires pour construire un monde plus juste où l’on peut vivre en paix. Cet amour commence à germer dans notre cœur quand nous nous mettons à l’écoute des commandements de Dieu, des lois de vie disait Simone Pacot, des repères qui nous aident à trouver notre juste place. Écouter la voix de Dieu au milieu de toutes les voix qui s’élèvent autour de nous n’est pas toujours simple. La Première Lettre à Timothée parle du beau combat de la foi. Il s’agit d’un acte intérieur, du choix de mettre toute sa confiance dans la Parole que Dieu nous adresse, à chacun de nous personnellement. C’est actif, un choix à refaire parfois plusieurs fois par jour. Oui, un combat pour dire à Dieu et à nous-même, parfois aussi à haute voix devant les autres : je crois. Je crois dans ce Dieu dont Jésus est le visage que nous pouvons contempler à taille humaine. Je crois dans ce Dieu si humble qu’il a parlé par la bouche d’un homme qui venait de la périphérie mais qui cependant ne craignait pas de se considérer comme son fils bien aimé. Je crois dans ce Dieu qui, en Jésus, s’est livré entre nos mains. Je crois en ce Fils de Dieu qui raconte une parabole qu’il conclut en disant que même si un homme ressuscite des morts, ce que cet homme enseignera ne convaincra que ceux qui l’auront déjà été à l’écoute de la loi de Moïse et des prophètes (Lc 16,31). La conclusion de la parabole s’est parfaitement accomplie à la résurrection de Jésus. N’ont mis leur foi en lui que ceux qui ont reconnu en lui l’accomplissement de ce qu’annonçait la foi d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, la loi de Moïse, les prophètes d’Israël. Accomplissement si puissant qu’il a traversé les siècles jusqu’à nous, mais si fragile qu’il paraît sans apparence dans le tumulte du monde.

Alors vous aussi, femmes et hommes de Dieu, fuyez ce qui vous égare loin de cette foi. Combattez le beau combat de la foi, conquérez la vie éternelle, mettez votre espérance en Dieu qui nous dispense tous les biens véritables en abondance.   

Prédication par la pasteure Martine Sarasin, le 5 octobre 2025

Prédication par la pasteure Martine Sarasin, le 5 octobre 2025

 

Luc 17 :5-10         Grandchamp 10/2025

Curieux assemblage, que cet enchaînement de prises de paroles par Jésus… Ont-elles vraiment été prononcées l’une après l’autre ??

La 1ère se veut une réponse à l’inquiétude des apôtres devant les exigences de la mission. Comment vivre un tel programme ?? On les comprend. Alors ils demandent : « augmente en nous la foi ! ». Et Jésus réplique : « la foi, si on l’a, et même si elle n’a l’air de rien, peut réaliser l’impensable : dites à cet arbre d’aller se planter dans la mer, et il le fera! » .

Puis sans transition une parabole, mettant en scène un serviteur obéissant, qui ne fait que des choses utiles, ordonnées par son maître. Ce dernier va-t-il être reconnaissant ? Jésus ne le dit pas. Mais il pose cette conclusion : « Vous, quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles ».

En quoi ces paroles sont-elles « bonne nouvelle » ?? Qu’ont-elles pour rassurer, stimuler, vivifier notre service, notre mission ?

Il y a d’abord cette histoire d’arbre ; Jésus fustige-t-il simplement le manque de foi des apôtres, par un exemple extrême ? Mais tout de même, étrange exemple. Quel intérêt pour le Royaume, de réaliser cette performance ? C’est irrationnel et inutile, osons le dire…ça ne sert ni Dieu ni l’homme, sauf peut-être celui qui accomplit ce prodige. L’exemple donné ressemble plutôt une prouesse, et me paraît plutôt un contre-exemple. On n’a pas pour mission d’épater la galerie, ce n’est pas ce que Jésus demande aux siens, ni ce qu’il a recherché pour lui-même, bien au contraire.

Vu sous cet angle le serviteur, lui, par contraste, évolue dans le cadre d’une relation, qui est relation d’obéissance. Il n’agit pas de son propre chef mais il accomplit les ordres qu’il reçoit d’un maître. Toute la différence est là, d’avec le précédent. Alors penchons-nous un peu sur ce serviteur qui, je l’espère, nous représente. « Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles ». Soulignons d’entrée que ce n’est ni Dieu ni le Christ qui qualifient le serviteur ainsi. Il n’est pas dit que nous comptons pour rien aux yeux de Dieu, ni qu’un serviteur en vaut un autre, ni que Dieu peut très bien se passer de nous. Non, ce qui est écrit c’est : dites, dites vous-mêmes, à propos de vous-mêmes, que vous êtes des serviteurs, des servantes inutiles.

Ainsi, qu’est-ce que le Christ pointe ? Il soulève la question de NOTRE RESSORT INTERIEUR quand nous servons, quand nous témoignons, quand nous rendons service, quand nous suons à la tâche, quand nous accomplissons des miracles, quand nous prions…. Dans quel esprit faisons-nous les choses, dans l’obéissance même à notre Maître ? qui servons-nous ? et avec quelle intention ? Qu’est-ce qui anime l’Eglise dans l’exercice de sa mission ? et moi ? à quoi, à qui suis-je accrochée, quand je travaille, quand je prêche, quand je regarde, quand je prie… Suis-je accrochée à moi ou au Christ ? C’est tout.

On n’est pas dans la parabole des talents. Ici, « l’inutilité » ne porte pas sur le service accompli -qui lui est hautement désirable, précieux, indispensable- mais elle porte sur l’opinion que nous avons de nous-mêmes. Ayez en vous cette posture qui ne revendique rien pour soi ni n’attend de félicitations quand vous donnez votre temps, vos forces, votre amitié, vos efforts pour servir le Maître. Un enfant ne se regarde pas jouer, il joue ! De la même façon, le serviteur ne se regarde pas servir ; il est à sa tâche, rien qu’à sa tâche, sans s’évaluer lui-même. Et sa tâche, c’est d’exécuter la Parole entendue de la manière la plus ajustée possible, en gardant les yeux fixés sur son maître.

Tant qu’on a les yeux fixés sur le bien qu’on fait ou ne fait pas, tant qu’on a le souci de savoir ce qu’on vaut et d’en recevoir validation, on se préoccupe de soi, on tourne autour de soi. Qui veut sauver sa vie, la perdra ! Dietrich Bonhoeffer l’exprimait à sa façon dans ses écrits de prison: « qui suis-je ? ce gentilhomme ferme et serein, souriant et parlant comme un homme accoutumé à vaincre, ainsi que me le disent mes gardiens ? ou cet homme que moi seul connais, inquiet, malade de nostalgie, affolé comme un oiseau en cage, et cherchant mon souffle comme si on m’étranglait ?...Qui suis-je ? celui-ci aujourd’hui ? celui-là demain ? ou les deux à la fois ? Dérision que ce monologue ! Qui que je sois tu me connais, ô Dieu, et je t’appartiens ». Quelle libération !

Jésus, le Serviteur par excellence, disait de lui-même : « Je ne fais rien de moi-même, mais j’agis selon ce que le Père m’a ordonné. Je ne fais rien pour moi-même, mais pour que le Père soit glorifié. » Soli Deo gloria. Tel est le ressort profond de toute sa vie, mort comprise. Il s’est rendu volontairement obéissant, sans automatisme ni soumission servile. Il a choisi de se laisser conduire et porter par l’Esprit pour faire la volonté de son Père, qu’il (qui l’) aime. Le Fils a effacé de son programme toute prétention à se faire valoir, il s’est abandonné à l’élan venu d’en-Haut, essentiel, salutaire à savoir : exprimer, traduire, donner dans sa personne et sa vie la puissance de l’amour et de la vie divine.

Aujourd’hui dans son élévation, le Seigneur nous invite à laisser le passage à Dieu (tiens ? passage !…) comme lui l’a fait; afin que son Royaume advienne ici, par notre obéissance et notre Père sera glorifié. La valeur du vase d’argile, c’est le trésor qu’il porte… Telle est la révélation de l’évangile, que l’apôtre Paul nous enjoint de garder « dans toute sa beauté ».

Ainsi, aimons être ce simple vase que Dieu façonne. Il est bon que nous existions. « Merveille que je suis ! » s’exclame le psalmiste dans sa louange ; il se reçoit du regard de l’Autre. Tout est une question de justesse, celle d’être à sa juste place, sans se mépriser ni se complaire en soi-même. Qu’importe nos réussites et nos ratages, nous avons été saisis par le Christ et nous lui appartenons.

Pour terminer, une grâce qui découle de cette appartenance ; j’en ai trouvé l’expression en cherchant l’équivalent hébreu de l’inutile. L’un de ses très rares emplois, dans le 2ème livre de Samuel ch.6, désigne David à moitié nu qui saute et danse de toutes ses forces devant l’arche du Seigneur. Et voilà que la fille de Saül ricane devant ce comportement d’un roi et le traite de « bon à rien », littéralement d’homme « vain et inutile ». Où est l’honneur en effet, où est l’utilité de sauter et danser et chanter devant son Dieu ? Ni honneur ni prouesse il est vrai, mais gratuité… qui dévoile que la relation au Maître est de l’ordre de l’amour.

 

Et de cette gratuité naît la JOIE. La joie… parfaite.

Amen.

Prédication le 25 septembre par la pasteure Aline Lasserre

Prédication le 25 septembre par la pasteure Aline Lasserre

Votre titre va ici

 

Prédication Veuve de Naïn, Luc 7, 11 à 17 :  Résurrection du fils de la veuve de Naïn.

 

Mon Dieu, que lui dire à la veuve de Naïn ? Comment être proche d’elle, comment la consoler ?

Quand j’ai appris la mort de son fils unique je suis restée sans voix. Mais pourquoi elle à nouveau ? Quand je l’ai connue, elle était déjà veuve, elle élevait seule son petit garçon, son fils unique. Le drame de la mort de son mari avait ébranlé toute la bourgade de Naïn. Quand on parlait d’elle, on ne mentionnait plus jamais son prénom, on l’appelait toujours du nom de son malheur, la veuve de Naïn. Et parfois on ajoutait : « la pauvre ». Maintenant un nouveau deuil la frappait, son unique fils, celui qui avait été sa raison de vivre, était mort.

Que lui dire à la veuve de Naïn ?

Je ne peux pas lui dire que je comprends ce qu’elle vit, moi dont les deux fils sont en bonne santé. Je ne peux pas lui dire que ça va aller, moi qui n’en sais rien.

Faudrait-il lui parler de Dieu ? Mais justement que fait-il Dieu ? Pourquoi n’est-il pas intervenu ? J’ai parlé d’elle à Dieu mais à elle je n’ai rien dit. Je n’avais rien à dire. J’aurais même voulu détourner mon regard, fuir ce visage bouleversé, être au loin, ne pas savoir, ne pas voir. Fuir au loin, mais une amie ne se dérobe pas, alors je suis juste allée m’asseoir près d’elle et je lui ai pris la main et j’ai pleuré à ses côtés. Il a bien fallu se lever pour se mettre en route pour accompagner le cercueil, on était nombreux à marcher vers la porte de la ville, presque toute la bourgade.

Tout à coup notre marche bien silencieuse fut interrompue par la marche d’un autre cortège, un cortège exubérant, qui chantait et qui parlait fort. C’était indécent. C’était le cortège des disciples avec Jésus leur maître, ils le fêtaient lui, Jésus, qui venait de guérir le serviteur d’un centurion romain.

Alors j’ai pensé mais pourquoi pas son fils à elle ?

Une grande foule les suivait, tout comme nous.

Deux cortèges qui se croisent, l’un empli de tristesse et l’autre de joie. Ce n’est pas compatible et pourtant n’est-ce pas ainsi souvent dans la vie, joie et tristesse se mêlent et s’entremêlent. D’ailleurs, j’en ai fait moi-même l’expérience. Dans les jours heureux du mariage de notre fille, mon mari a perdu son frère.

Est-ce une aide de la vie pour que la joie se faufile dans la peine ? Je ne sais pas.

Est-ce le signe que la vie se fraye un chemin même dans la tristesse pour inscrire sur notre horizon une lueur de joie, comme l’enfant qui sourit alors qu’une larme coule encore sur sa joue ?  Ou serait-ce un signe que Dieu nous donne de savoir que tout n’est pas englouti dans la mort ? Je ne sais pas.

Ce que j’ai vu c’est que lorsqu’ils ont été tout près de nous, leur maître s’est approché. Lui n’a pas détourné son visage, au contraire il a longuement regardé la veuve de Naïn avec tant de douceur et de compassion que cela nous a touchés au cœur. Ses yeux étaient humides quand il lui a dit : « Ne pleure pas ».

IL n’a pas dit cela comme nous le disons parfois quand nous ne supportons plus les pleurs de l’affligé ou quand nous trouvons que le chagrin a assez duré, non il l’a dit comme si devant lui le chagrin n’avait plus de raison d’être. Comme si le temps annoncé et espéré où Dieu séchera toutes les larmes de nos yeux était arrivé, là, maintenant.

Et puis il a posé sa main sur le cercueil, en disant : « Je te l’ordonne, reviens à la Vie » Alors les porteurs se sont arrêtés net devant cette parole qui avait arrêté la mort. Le fils de la veuve de Naïn s’est assis, il a retrouvé la parole et Jésus l’a remis à sa mère.

A nouveau je suis restée sans voix et puis les mots sont revenus. Des deux foules la joie s’est répandue dans la danse et le chant.

« Un grand prophète s’est levé parmi nous, Dieu a visité son peuple « 

Oui ce jour-là nous avons vu Dieu au milieu de nous, manifester que sa Vie est plus forte que la mort, qu’il est le Dieu de toute vie qui ouvrira toujours devant nos pas un chemin de Vie, le chemin de sa Vie.

On serait bien restés là, tous ensemble dans cette joie qui nous portait et nous faisait rire et chanter.

Mais Jésus s’est remis en route et moi j’ai changé de cortège.

Je l’ai accompagné sur le chemin qui le menait à Jérusalem porter l’amour de Dieu qui relève, sauve et guérit. Et j’ai vu aussi les regards de haine qui cherchaient à le faire mourir.

Quand il est mort, je n’étais pas là, j’avais fui, comme beaucoup, emportant avec moi toutes mes questions que parfois je hurle à Dieu :

« Pourquoi lui, pourquoi tant de haine sur cette terre ? Pourquoi tant de peuples en guerre, tant d’injustices, de tortures d’innocents, d’enfants affamés, de parents mutilés ? »

J’ai appris qu’il était revenu à la vie, que Dieu avait prononcé pour son propre fils cette parole : « Je te l’ordonne, reviens à la Vie »

Jésus est revenu chercher ses disciples, comme il revient nous chercher dans nos lieux de désolation les plus profonds, pour leur porter et nous porter cette Parole de Vie plus forte que toute mort.

La mort n’a pas pu le prendre, elle a dû le rendre, parce que la Vie de Dieu est plus forte que la mort.

Cette parole de Vie que Jésus a prononcé ce jour-là à la porte de la ville de Naïn, Dieu l’a prononcée à Pâques et il la prononcera à notre mort, parce qu’il est le Dieu de toute vie.

Il est et il restera le Dieu de toute vie, même quand la mort nous frappe.

Que le regard qu’il pose maintenant sur nous, nous relève et nous console parce qu’il se tient là pour toujours à nos côtés pour nous porter sa Vie, jusque dans les lieux de la mort même.

Que cette certitude nous console, nous porte et nous fortifie. Amen

 

Grandchamp, 25 sept. 2025  AL

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Prédication Veuve de Naïn, Luc 7, 11 à 17 :  Résurrection du fils de la veuve de Naïn.

 

Mon Dieu, que lui dire à la veuve de Naïn ? Comment être proche d’elle, comment la consoler ?

Quand j’ai appris la mort de son fils unique je suis restée sans voix. Mais pourquoi elle à nouveau ? Quand je l’ai connue, elle était déjà veuve, elle élevait seule son petit garçon, son fils unique. Le drame de la mort de son mari avait ébranlé toute la bourgade de Naïn. Quand on parlait d’elle, on ne mentionnait plus jamais son prénom, on l’appelait toujours du nom de son malheur, la veuve de Naïn. Et parfois on ajoutait : « la pauvre ». Maintenant un nouveau deuil la frappait, son unique fils, celui qui avait été sa raison de vivre, était mort.

Que lui dire à la veuve de Naïn ?

Je ne peux pas lui dire que je comprends ce qu’elle vit, moi dont les deux fils sont en bonne santé. Je ne peux pas lui dire que ça va aller, moi qui n’en sais rien.

Faudrait-il lui parler de Dieu ? Mais justement que fait-il Dieu ? Pourquoi n’est-il pas intervenu ? J’ai parlé d’elle à Dieu mais à elle je n’ai rien dit. Je n’avais rien à dire. J’aurais même voulu détourner mon regard, fuir ce visage bouleversé, être au loin, ne pas savoir, ne pas voir. Fuir au loin, mais une amie ne se dérobe pas, alors je suis juste allée m’asseoir près d’elle et je lui ai pris la main et j’ai pleuré à ses côtés. Il a bien fallu se lever pour se mettre en route pour accompagner le cercueil, on était nombreux à marcher vers la porte de la ville, presque toute la bourgade.

Tout à coup notre marche bien silencieuse fut interrompue par la marche d’un autre cortège, un cortège exubérant, qui chantait et qui parlait fort. C’était indécent. C’était le cortège des disciples avec Jésus leur maître, ils le fêtaient lui, Jésus, qui venait de guérir le serviteur d’un centurion romain.

Alors j’ai pensé mais pourquoi pas son fils à elle ?

Une grande foule les suivait, tout comme nous.

Deux cortèges qui se croisent, l’un empli de tristesse et l’autre de joie. Ce n’est pas compatible et pourtant n’est-ce pas ainsi souvent dans la vie, joie et tristesse se mêlent et s’entremêlent. D’ailleurs, j’en ai fait moi-même l’expérience. Dans les jours heureux du mariage de notre fille, mon mari a perdu son frère.

Est-ce une aide de la vie pour que la joie se faufile dans la peine ? Je ne sais pas.

Est-ce le signe que la vie se fraye un chemin même dans la tristesse pour inscrire sur notre horizon une lueur de joie, comme l’enfant qui sourit alors qu’une larme coule encore sur sa joue ?  Ou serait-ce un signe que Dieu nous donne de savoir que tout n’est pas englouti dans la mort ? Je ne sais pas.

Ce que j’ai vu c’est que lorsqu’ils ont été tout près de nous, leur maître s’est approché. Lui n’a pas détourné son visage, au contraire il a longuement regardé la veuve de Naïn avec tant de douceur et de compassion que cela nous a touchés au cœur. Ses yeux étaient humides quand il lui a dit : « Ne pleure pas ».

IL n’a pas dit cela comme nous le disons parfois quand nous ne supportons plus les pleurs de l’affligé ou quand nous trouvons que le chagrin a assez duré, non il l’a dit comme si devant lui le chagrin n’avait plus de raison d’être. Comme si le temps annoncé et espéré où Dieu séchera toutes les larmes de nos yeux était arrivé, là, maintenant.

Et puis il a posé sa main sur le cercueil, en disant : « Je te l’ordonne, reviens à la Vie » Alors les porteurs se sont arrêtés net devant cette parole qui avait arrêté la mort. Le fils de la veuve de Naïn s’est assis, il a retrouvé la parole et Jésus l’a remis à sa mère.

A nouveau je suis restée sans voix et puis les mots sont revenus. Des deux foules la joie s’est répandue dans la danse et le chant.

« Un grand prophète s’est levé parmi nous, Dieu a visité son peuple « 

Oui ce jour-là nous avons vu Dieu au milieu de nous, manifester que sa Vie est plus forte que la mort, qu’il est le Dieu de toute vie qui ouvrira toujours devant nos pas un chemin de Vie, le chemin de sa Vie.

On serait bien restés là, tous ensemble dans cette joie qui nous portait et nous faisait rire et chanter.

Mais Jésus s’est remis en route et moi j’ai changé de cortège.

Je l’ai accompagné sur le chemin qui le menait à Jérusalem porter l’amour de Dieu qui relève, sauve et guérit. Et j’ai vu aussi les regards de haine qui cherchaient à le faire mourir.

Quand il est mort, je n’étais pas là, j’avais fui, comme beaucoup, emportant avec moi toutes mes questions que parfois je hurle à Dieu :

« Pourquoi lui, pourquoi tant de haine sur cette terre ? Pourquoi tant de peuples en guerre, tant d’injustices, de tortures d’innocents, d’enfants affamés, de parents mutilés ? »

J’ai appris qu’il était revenu à la vie, que Dieu avait prononcé pour son propre fils cette parole : « Je te l’ordonne, reviens à la Vie »

Jésus est revenu chercher ses disciples, comme il revient nous chercher dans nos lieux de désolation les plus profonds, pour leur porter et nous porter cette Parole de Vie plus forte que toute mort.

La mort n’a pas pu le prendre, elle a dû le rendre, parce que la Vie de Dieu est plus forte que la mort.

Cette parole de Vie que Jésus a prononcé ce jour-là à la porte de la ville de Naïn, Dieu l’a prononcée à Pâques et il la prononcera à notre mort, parce qu’il est le Dieu de toute vie.

Il est et il restera le Dieu de toute vie, même quand la mort nous frappe.

Que le regard qu’il pose maintenant sur nous, nous relève et nous console parce qu’il se tient là pour toujours à nos côtés pour nous porter sa Vie, jusque dans les lieux de la mort même.

Que cette certitude nous console, nous porte et nous fortifie. Amen

 

Grandchamp, 25 sept. 2025  AL

Homélie du 7 septembre par la pasteure Diane Friedli

Homélie du 7 septembre par la pasteure Diane Friedli

 

Prédication sur Luc 14,25-33 : Des suiveurs invités à suivre

 

Lectures bibliques : Sagesse 9,13-18 ; Philémon 8-17

 

Quelle exigence !

J’ai beau lire et relire ces versets de l’évangile de Luc, les laisser tourner dans mon esprit, les méditer, lire des commentaires,… ils continuent à me perturber.

 

« Quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple. »

Ces mots sont si forts, cette exigence si entière que je me sens bien loin d’être à la hauteur.

Est-ce tout ou rien ?!?

 

 

 

De grandes foules faisaient route avec Jésus…

Ainsi débute le texte.

De grandes foules.

Les foules dans les évangiles sont toujours anonymes. C’est un groupement de personnes qui perdent de leur individualité du fait même de faire partie de cette entité foule.

La foule suit. Elle est curieuse, elle veut voir Jésus, le toucher peut-être. Assister à une guérison, entendre son enseignement.

La foule n’a pas d’autre ambition que d’être passive. Faire route avec lui ne l’engage pas.

La foule a des attentes vis-à-vis de Jésus : elle veut du spectaculaire, des guérisons miraculeuses ou des disputes verbales avec les pharisiens.

Mais a-t-elle conscience que Jésus aussi a des attentes vis-à-vis d’elle ? Ou plus exactement vis-à-vis des individus qui la composent ?

 

Tout commence par un retournement.

La foule anonyme qui suivait Jésus se retrouve soudain face à face avec lui. Elle n’est plus passivement observatrice des actions ou des paroles de Jésus mais elle en devient le destinataire. Jésus s’adresse à eux : aux hommes, aux femmes, aux vieillards, aux enfants.

 

Et il leur dit ces paroles qui font l’effet d’un coup de tonnerre.

Le suivre vraiment, c’est autre chose.

 

Vous attendez beaucoup de moi, mais savez-vous ce que j’attends de vous ?

L’exigence est élevée.

Il s’agit de préférer le Christ. De faire le choix du Christ.

 

En nommant ce qui unit une personne à son père, à sa mère, à sa femme, à ses enfants, à ses frères, à ses sœurs, c’est aux liens les plus intimes qu’il fait référence.

 

Bien sûr, on pense tout de suite à des liens beaux, forts et sains.

Même si la réalité de beaucoup de personnes ne correspond pas à cet idéal. Dans de nombreuses familles, il y a des liens dysfonctionnels, des personalités toxiques, de la violence phyisque ou psychique.

Il convient d’être attentifs lorsque nous évoquons cet idéal des liens familiaux à l’écho douloureux que l’idéalisation de ces liens peut produire chez certaines personnes.

 

Que les liens soient sains ou problématiques, il y a une chose qui demeure : ce sont des liens qui sont appelés à évoluer.

 

On est toujours l’enfant de sa mère et de son père.

Le parent de son enfant et la sœur ou le frère du reste de la fraterie.

Mais l’enfant que nous sommes à 2, 5 ou 10 ans n’a pas la même relation avec son parent que celui que nous sommes à 40 ans.

Un tout petit enfant a besoin de manière vitale du soin et du lien avec son parent. En grandissant la relation évolue.

Dans une relation saine, l’enfant devenu adolescent développe son autonomie ce qui lui donne les outils pour devenir adulte. S’ouvre alors une nouvelle relation, sur pied d’égalité, d’adulte à adulte.

Les années passant, le relation parent-enfant finit par s’inverser. A l’automne de la vie, ce sont les parents qui se trouvent avoir besoin de leurs enfants.

 

 

Dans toutes ces relations, il y a des passages, des moments clé. Des intersections.

A Moïse, Dieu a dit : je place devant toi la vie et la mort. Choisis donc la vie !

Au coeur de ces relations appelées à évoluer au fil de l’existence, Jésus affirme : être son disciple, c’est préférer le Christ. Préférer le Christ, c’est choisir la vie.

 

Préférer le Christ, ce n’est pas nécessairement rompre avec ses proches, renier son passé ou les liens.

C’est refuser de s’enfermer dans des relations si celles-ci n’avancent pas avec la vie. Les recherches psychologiques relèvent l’importance de quitter ses parents pour entrer pleinement dans la vie d’adulte. C’est à dire de clore une forme de relation enfant-parent pour en développer une nouvelle.

Préférer le Christ, c’est choisir la vie qui avance.

 

 

Comme à son habitude, Jésus fait usage du langage des paraboles.

Nous obligeant à réfléchir autrement, à aborder les questions sous un autre angle que celui du discours direct.

 

Et étonnamment, au premier abord, alors que l’affirmation qui précède est radicale, les deux paraboles semblent mettre en avant le calcul rationnel de la pesée d’intérêts.

 

Avant de se lancer dans la construction d’une tour, on s’assied. On prend le temps de calculer et de juger si on a les moyens de réaliser le projet.

Avant de se lancer dans une guerre, un roi évalue ses chances de victoire.

 

Est-ce à dire qu’avant de se lancer comme disciple du Christ, il convient de calculer les chances d’y parvenir ?

Et si le défi semble trop élevé, convient-il de renoncer ?

Cet esprit semble contraire à d’autres paroles de Jésus qui insistent sur l’urgence de l’engagement, sur l’immédiateté de la conversion, sur la spontanéité de la suivance. Lâcher ses filets et se mettre à la suite de Jésus.

 

S’inscrire à la suite du Christ est une décision fondamentale. Et elle mérite de prendre le temps de s’asseoir, d’en mesurer l’impact.

Nous avons le privilège de vivre dans une région du monde dans laquelle nous ne sommes pas persécutés pour notre foi.

Mais ce n’est de loin pas le cas pour une grande partie des chrétiennes et des chrétiens. Décider de suivre Jésus, c’est parfois mettre sa vie et celle de ses proches en danger.

 

Affirmer sa foi peut impliquer ici des mécompréhensions, parfois des jugements. La décision d’entrer dans une vie monacale suscite certainement des questions, peut-être des rejets.

 

Il y a quelque chose d’absolu dans la décision d’entrer dans la vie de foi. Et celle-ci peut provoquer des ruptures.

En prendre la mesure, le soin d’en peser les enjeux est fondamental.

 

La parabole du roi qui mesure ses chances de remporter une guerre avant de la provoquer ouvre une nouvelle perspective.

S’il évalue que ses chances ne sont pas suffisamment élevées, il ouvre la voie diplomatique. Il négocie, il fait des compromis.

Mieux vaut une paix, même avec des concessions, qu’une guerre perdue.

 

Au milieu des paroles de Jésus si radicales, s’ouvre un autre chemin.

Et celui-ci nous interdit de tomber dans un écueil : celui de penser qu’il y aurait deux catégories de personnes. Les bons croyants et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui suivent vraiment et pleinement le Christ et ceux qui lui tournent le dos.

 

Le roi qui réalise qu’il n’a pas complètement le moyen de ses ambitions cherche une autre voie. Dans l’objectif de la paix.

Oeuvrer pour la paix, en refusant la violence, est un autre chemin qui mène au Christ.

 

Les yeux dans les yeux, Jésus interpelle ceux et celles qu’il invite à sortir de l’anonymat de la foule pour accéder à une vie plus vraie.

 

Oseras-tu le saut de la foi ?

Quand intellectuellement tu adhères aux valeurs de l’évangile, oseras-tu la confiance ?

Oseras-tu passer du discours sur Dieu à la relation avec Dieu ?

 

Les yeux dans les yeux, Jésus interpelle.

Et la réponse appartient à chacune et à chacun.

Si tu doutes, prends le temps de t’asseoir, de méditer.

De peser le pour et le contre. D’évaluer les conséquences pour toi et pour ceux que tu aimes.

Si tu hésites, explore une autre voie. Celle de la solidarité et de l’amour du prochain.

 

Et à toi, qui que tu sois et où que tu te trouves : bonne suite !

 

Amen

 

Homélie du pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 4 septembre, Fête des récoltes

Homélie du pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 4 septembre, Fête des récoltes

Deutéronome 16, 1317, 1 Timothée 4, 45 ; Luc 14, 1214

Sœurs et frères, la Création de Dieu est belle et bonne. Il faut le dire encore et toujours, à temps et à contre-temps. A temps, quand c’est le temps œcuménique de la Création, du 1er septembre au 4 octobre... A temps, quand c’est la fête des récoltes ici, dans nos paroisses. Mais à contre-temps aussi, quand les festivités sont terminées et que le cycle liturgique est achevé. A quoi, à qui, nous auront ouvert nos fêtes des récoltes et notre temps de la création ? Parenthèse dans l’année, ou parénèse pour tous les jours de l’année ? –

C’est toute l’année, c’est au quotidien, que les croyantes et les croyants sont appelés à vivre sous le regard d’un Dieu qui n’est pas tantôt sauveur, tantôt créateur ; selon le temps liturgique, selon l’humeur théologique (en fonction, par exemple, de la personne de la Trinité que l’on mettrait en avant : le Père pour la création, le Fils pour l’Avent, le Carême et Pâques et l’Esprit pour le temps de l’Eglise...)..

Non, tout se tient ! Et la première lettre à Timothée est on ne peut plus claire : tout est bon, dans la création, puisque la parole de Dieu et la prière la sanctifient.Rien n’est à rejeter, si tant est qu’on le prenne avec action de grâce.

Pour vendanger les fruits de nos lectures de ce soir, je vous propose de garder à l’esprit ce passage qui s’opère, dans la prière du Seigneur, entre la troisième et la quatrième demande : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »immédiatement suivie, et sans césure artificielle, par « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Que dire de cette volonté divine, sinon qu’elle s’exprime à la fois dans des rites particuliers aux religions et aux communautés, la fête des tentes pour le peuple hébreu et le judaïsme, les diverses fêtes ecclésiales des récoltes, mais que cette volonté est un projet de salut pour tous les humains.

Et c’est même un thème tout au long de notre épître : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Sauvés au ciel seulement, comme on a coutume de le comprendre ? Pour moi pas. Ce salut est intégral et commence par une incarnation dans cette création, dans cette condition humaine, dans cette identité de créatures. La volonté de Dieu sur la terre comme au ciel appelle chacune et chacun à se situer dans une condition de dépendance et d’interdépendance : donne-nous notre pain, non point mon pain, mais notre pain.

Un pain qui fait de nous des compagnons de route, des compagnons de prière et de lutte. Le pain demandé l’est, à chaque fois, pour toutes les bouches à nourrir.Sinon, c’est du « chacun pour soi », jusqu’à cette dérive gravissime qui consisteà affamer l’autre, passivement comme activement, comme on le voit hélas aujourd’hui.

Prier le Notre Père de manière non inclusive, c’est faire le lit de tous les communautarismes, de tous les nationalismes, et de tous les autoritarismes. Etrejuif, être chrétien, être musulman, – être de quelque communauté religieuse ou politique que ce soit, – conduit-il à inclure ou à exclure ? Telle est la grande question.

La réponse est claire, tant dans l’Evangile de Luc que dans le livre du Deutéronome. L’une et l’autre lecture offre, à sa manière, un antidote, un antidote puissant à toute dérive communautariste. Au nom de notre condition de créature. Au nom de cette création commune à habiter dans l’action de grâce suivie d’actions concrètes pour les autres, ces autres qui ne sont pas de la famille, pas du groupe, pas de la synagogue ou de l’Eglise, pas du bon parti, etc...

Jésus, dans cet Evangile, Jésus est à table chez un Pharisien. Il en profite pour interpeller les invités : quelle place avez-vous choisie pour vous-mêmes ? Veillez à ne pas viser la première, de peur d’être placés à la dernière.

Et maintenant, c’est l’invitant du soir, et avec lui tous les invitants, qui sont appelés à réfléchir et à agir autrement. Non plus dans le donnant-donnant. Non plus dans le don et le contre-don. Non plus dans cette réciprocité pourtant gardienne d’un soi-disant vivre-ensemble. En effet, dans ce système-là, dans un système tellement naturel qu’il existe toujours, il y a ceux qui en font partie et ceux qui n’en feront jamais partie, parce qu’ils n’auront jamais les moyens de rendre ce qu’ils ont reçu. Un vivre ensemble comme celui-ci est exclusif ! C’est un vivre-ensemble indigne de l’Evangile, comme également, et même premièrement, de la Tora.

En un mot : sortez de vos conventions stériles, elles vous enferment dans l’entre-soi. Les fêtes sont-elles encore des fêtes si on y voit toujours les mêmes têtes ? Créez du neuf avec ces créatures qui sont comme vous, à l’image de Dieu, malgré leur fragilité, et même à cause de leur fragilité. Invitez plutôt des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles.

Je note que Jésus n’appelle pas à inviter les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles, mais bel et bien, et de manière faisable, quelques-unes de ces personnes. Il faut attendre la parabole du festin qui suit pour découvrir la volonté et la capacité divine, où ce sont carrément les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux (v.21) qui sont invités à la fête, dont les premiers invités s’étaient désistés.

A chaque fois que nous faisons le pas d’inviter en dehors du cercle, ce n’est plus la personne que j’ai invitée qui est redevable, mais Dieu. Dieu est le garant de celui et de celle que j’ai invité sans aucun espoir de retour sur investissement. C’est pourquoi, la résurrection des justes révélera cette justice qui ne pouvait pasattendre, attendre des lendemains qui chanteraient peut-être un jour pour être activée. On est aux antipodes de la croyance, au fond désespérante, qu’il faudraitattendre la fin des temps pour que les faims soient rassasiées. Ce que l’homme de la parabole dite du festin fera pour toutes et tous, l’homme, la femme ordinaire que je suis peut le faire ici-bas déjà, avec ses moyens.

Fêter la création. Fêter les récoltes et les vendanges, c’est fêter le Créateur avecses créatures et au travers de ses créatures. A commencer par les plus faibles et les plus vulnérables. Pour que Sa volonté soit fête, il faut que le pain soit reçu et partagé avec tous. Dans un vivre ensemble qui articule à la fois l’identité d’une communauté et les identités de celles et ceux qui vivent sur le même territoire. Pour terminer, je noterai que le Deutéronome prêche le même message, dans le fond, et qu’il va même encore plus loin.

La fête des Tentes, appelée aussi fête des tabernacles ou fête des huttes, en hébreu Soukkot, est la troisième des fêtes de pèlerinage. Comme les deux autres, comme Pessach et Chavouot, Soukkot combine une signification agricole et une signification historique. Ici, les produits de l’aire et du pressoir avec la condition de nomades dans le désert, où il fallait habiter des tentes. Soukkot célèbre à la fois le Dieu créateur et le Dieu sauveur, sa providence pour ses filles et ses fils en itinérance.

Or il s’agit, comme dans l’Evangile du Christ selon Luc, de sortir de l’entre-soi pour rejoindre, dans un vrai vivre-ensemble, dans le partage et surtout dans la joie : le serviteur, la servante, le lévite, l’émigré, l’orphelin et la veuve, qui n’ont pas de terre, pas de sécurité. Il y a quelque chose de profondément évangélique dans cette fête, longtemps appelée LA fête chez les israélites. Mais il y a aussi ce quelque chose de plus admirable : faire l’expérience, sept jours durant, de cette fragilité à ciel ouvert.

Les huttes doivent être couvertes de branches permettant de voir les étoiles la nuit, peut-être comme de cette grange ouverte en son toit. Faire mémoire, en paroles et en actes, de cette dépendance fondamentale de Dieu. Une dépendance qui s’inscrit dans une histoire particulière, mais qui ouvre à l’universel. Ainsi soit-il aussi pour nous, croyantes et croyants à la suite du Christ, puisqu’en Lui, Dieu a planté sa Tente parmi nous, et puisqu’il a choisi aussi d’habiter en nous et entre nous. Amen

Homélie par la pasteur Sylvane Auvinet, le 14 août 2025 la Fête de Marie

Homélie par la pasteur Sylvane Auvinet, le 14 août 2025 la Fête de Marie

 

Marie est une jeune fille, peut-être encore une enfant.

Et j’aimerais vous lire un poème qui à mon sens l’évoque si bien. Je

n’y ai apporté qu’une très légère adaptation : j’ai intégré le nom de

Marie. Ces vers sont l’oeuvre d’une poétesse tamoule

contemporaine Malathi Maithri. Ils s’intitulent :

Celle qui assemble les cieux

A l’image du ciel qui emplit

La coquille vide

Après la naissance de l’oisillon

Ainsi le désir emplit

Tout.

Marie assemble

Des morceaux de ciel

dispersés

Par le battement d’ailes

Des oiseaux migrateurs.

Comme un jeu mystérieux.

Le bleu colle à ses mains.

– Malathi Maithri

Il est question de ciel, de naissance, de désir, de mystère, de jeu,

de bleu. Le bleu est la couleur que les peintres ont choisi pour

représenter Marie, évoquant ainsi son affinité avec le ciel.

Celle qui assemble les cieux

A l’image du ciel qui emplit Après la naissance de l’oisillon Marie assemble Par le battement d’ailes Comme un jeu mystérieux.

Le bleu colle à ses mains.

La coquille vide

Ainsi le désir emplit Tout.

Des morceaux de ciel dispersés

Des oiseaux migrateurs.

1 Marie:

Tandis que Zacharie est venu au temple et que c’est là que l’ange

Gabriel lui est apparu, Marie est chez elle, elle ne se déplace pas

pour aller vers Dieu, c’est l’ange Gabriel qui vient à elle. Et on

pressent que l’humble vierge de Nazareth sera mystérieusement

temple du Seigneur.

Après le départ de l’ange, elle part trouver Elisabeth avec un désir

impatient. Littéralement, on peut traduire ainsi l’expression en hâte.

Depuis un certain temps, l’Esprit de Dieu plane, il est avec Jean-

Baptiste dès sa conception. Il couvre Marie. Il offre à Elisabeth de

percevoir la grossesse de Marie et le fabuleux projet de Dieu : « Bénie

es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! Et comment

m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » Enfin, il

permet à Marie de répondre Magnificat: « Mon âme exalte le

Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur. »

Sous quel angle interpréter ce texte, tant et tant de fois prêché,

pour qu’il révèle son évangile pour nous aujourd’hui ? Eh bien

j’aimerais choisir un point d’ancrage dans notre actualité. Depuis

quelques années, il y a un vent de protestation contre les violences

qui sont faites aux femmes, en particulier dans le domaine sexuel.

Le mouvement me too, mais aussi des faits divers qui ont ébranlé

les interprétations traditionnelles de ce qui était admis, ont ramené

sur la scène publique ce sujet profondément tabou.

Femmes ou fillettes séduites et abusées, contraintes d’accepter des

relations sexuelles dont elles ne veulent pas, violées. Et l’opprobre

retombe sur elles, tantôt elles sont carrément accusées de ce qui

leur arrive ; tantôt elles sont plaintes, mais restent enfermées dans

le rôle de victime impuissante. En tous les cas, une étiquette de

honte leur colle à la peau. À quand le statut de combattante

redoutable, de celle qui se relève plus forte qu’avant, devenue forte

pour elle et pour les autres ?

2 Marie:

Marie est une jeune fille, peut-être encore une enfant.

Devenir enceinte pour une femme qui n’est pas mariée n’est pas

une bénédiction, c’est un terrible malheur qui l’expose à un grand

danger. Elle sera jugée et condamnée. Sa vie dépendra de la

protection qu’on voudra bien, ou non, lui accorder. Peu importera

les raisons qui l’auront amenée là, qu’elle ait été abusée depuis sa

tendre enfance par un membre de sa famille ou qu’elle ait été violée

par un occupant étranger, elle en portera seule toute la honte. C’est

dans ce contexte dramatique que l’ange Gabriel annonce une

naissance à Marie, comme une bénédiction suprême. Marie garde

le magnificat pour plus tard, au moment de l’annonce, elle n’est pas

encore dans la joie, elle obéit. Qu’il me soit fait selon ta parole. Ce

n’est que petit à petit qu’elle peut s’approprier la bénédiction de

Dieu sur ce qui n’en semble pas une, ou sur un malheur bien réel

que Dieu vient transfigurer, le couvrant tout entier de son Esprit. *

Notre passage de l’évangile vient immédiatement après l’annonce

de l’ange Gabriel et poursuit ainsi, vous l’avez entendu : Marie se

leva en ces jours-là et partit en hâte vers les montagnes dans une

ville de Judée. Cette phrase commence par le mot : anastasa. C’est

le verbe anistemi, le même que celui qui désigne la résurrection du

Christ. On peut donc le lire au sens propre comme un simple

déplacement ou au sens figuré comme une résurrection. Elle s’est

relevée, Marie, durant ces jours-là. La parole de l’ange la relève, lui

redonne de l’espérance, lui redonne vie. Elle peut maintenant se

mettre en route pour donner suite à l’annonce de l’ange, visiter

Elisabeth et laisser la bénédiction de Dieu se déployer. Alors la

reconnaissance et la joie jaillissent.

Marie, comblée de grâce. C’est ainsi que l’ange Gabriel salue la

jeune femme : kecharitoomene, celle qui a été couverte de faveur,

qui a été bénie, à qui il a été donné gratuitement. Ainsi, le regard de

3 Dieu s’était déjà posé sur Marie, l’avait transformée en la couvrant

de son don (charis).

Elle est comblée de grâce, comme si elle en était remplie à ras-bord.

La grâce emplit tout l’espace de sa personne. A l’image du ciel qui

emplit la coquille vide, après la naissance de l’oisillon… Plus de place

pour la malédiction. Celle-ci ne concurrence pas la grâce : tantôt

l’une, tantôt l’autre prenant le dessus. Non la grâce emplit tout et

absorbe toute forme de malédiction. Toutes les souffrances de Marie,

passées, présentes, mais aussi à venir et qui culmineront au pied de

la croix, toutes sont teintées par la grâce.

C’est un message d’espérance pour chacune, chacun, d’entre nous.

Cela veut dire que nos malheurs, nos échecs et nos souffrances ne

cohabitent pas avec la grâce, côte à côte dans un espace commun,

se partageant notre vie. Non, la grâce occupe l’entier de notre

paysage intérieur. Non que les malédictions disparaissent, mais elles

sont intégrées, venant nuancer le ton qui donne à chaque existence

son caractère unique et irremplaçable. Pour chaque femme qui subit

ou a subi des violences sexuelles, avec des conséquences

désastreuses qui semblent occuper tout leur espace intérieur, Marie

est l’espérance qu’aucune malédiction ne saurait faire disparaître la

grâce, à aucun moment. La grâce emplit tout. De la même façon, les

nuages ne peuvent que nuancer le bleu du ciel. Le ciel reste le ciel

avec ou sans nuage. Ainsi en va-t-il de la grâce. Elle est la trame de

fond de toute vie.

La grâce emplit tout, elle est désir, elle est mystère, elle est jeu, elle

est bleue. Le bleu colle à nos cœurs.

Amen