Homélie du 4 mai 2025 par Marc Balz

Homélie du 4 mai 2025 par Marc Balz

 

Jn 21,1-14,   3e dimanche de Pâques, Pêche miraculeuse

Grandchamp, 4 mai 2025

Deux mondes semblent s’opposer dans notre récit :

la nuit et l’aube

la mer et la terre ferme,

le côté gauche et le côté droit de la barque

le monde d’avant et le monde nouveau

le deuil – ou la perte -, et la joie-

J’aimerais bien prudemment aborder avec vous  deux lectures possibles de ce récit :

  • tout d’abord  ce que vivent disciples (le désarroi, la perte, la peur), et ce qui émane du Christ (la joie, la confiance, et tous les possibles qui sont là)
  • et aussi ce fameux côté gauche de la barque et voir avec vous ce qui se passe du côté droit.

Pour commencer, ce que vivent les disciples et du Christ, que tout semble opposer ici.

Les disciples se retrouvent ensemble après avoir tout perdu lors de la mort en croix de leur Seigneur, leur cœur est en deuil, ils ont perdu : l’épisode de l’apparition du Christ deux semaines de suite, la seconde fois avec Thomas semble oubliée. Une parenthèse de vie heureuse s’est refermée, les voilà de retour dans leur vie d’avant, dans leurs habitudes d’avant, dans leur métier d’avant. Au moins, être ensemble leur permet de ne pas rester seuls dans dans ce qu’ils vivent, et c’est déjà une consolation. Maigre pourtant.

On pourrait dire qu’il sont revenus dans leur zone de confort et de compétences : ils pêchent (ça, ils savent le faire). Comme toujours, sauf qu’avant, ça marchait, et là, malgré leurs effort, ça ne marche plus du tout. Demeurer dans leur zone de confort par peur les conduits à une impasse.

Sur la terre ferme cette fois, le Christ se tient seul, debout et vivant. Il a travaillé dans l’ombre, discrètement : il a pêché peut-être lui-même des poissons et façonné le pain, ramassé le bois, fait le feu et attendu qu’il devienne braise. Tout cela non pas pour lui, mais pour eux. Ayant tout préparé, comme à son habitude, il amorce le dialogue : «vous n’avez pas un peu de poisson ?».

Deux mondes paraissent s’opposer, je l’ai dit :

Le monde de l’habitude et de la perte, du désarroi, peut-être de la peur : ce qui marchait ne marche plus, mais ça occupe, ça distrait, et de toute manière, ils sont dans l’incapacité d’entrevoir d’autres options…

Et le monde de la nouveauté, de la vie où tous les possibles sont là ; le monde de l’aube, de la terre ferme, du feu de braise et de la nourriture partagée.  Pour entrer dans ce monde-là, il faut que les yeux et le coeur s’ouvrent, il faut «changer de niveau de conscience», il faut la rencontre avec le Christ.

La peur (ou le désarroi, la perte) des disciples bloque tout. La peur n’ouvre sur aucune nouveauté, aucun changement de perspective. Parce que la peur est une énergie ou une vibration basse, qui empêche tout renouveau possible. Elle les fait rester dans le manque : une nuit à jeter les filets pour ne rien prendre.

A l’opposé, la joie et la vie du Ressuscité, elle, sont créatives, communicatives. La joie permet aux désirs les plus profonds de se réaliser. La joie est une énergie, une vibration haute, qui ouvre et permet tous les possibles. C’est le physicien Philippe Guillemant qui développe cette idée, très porteuse spirituellement.

La réalité de Pâques se réalise quand la nuit des disciples et l’aube du Christ se rejoignent, quand le dialogue se noue entre eux, quand les habitudes stériles sont rejointes par la créativité du Vivant, quand le deuil des disciples est touché par le Vivant. La réalité de Pâques, c’est ce va-et-vient entre la mer et la terre ferme : Eh les enfants, vous n’avez pas un peu de poisson ? Non ! Jetez les filets de l’autre côté et vous trouverez (là, on n’a pas la réponse des disciples, mais je me suis demandé ce qu’ils ont bien pu penser à ce moment-là…), puis tout d’un coup «C’est le Seigneur» et ça continue :  Pierre s’habille et se jette à l’eau (on aurait pu imaginer le contraire, mais bon…), les disciples reviennent sur la rive, Pierre remonte dans la barque, puis après avoir compté les poissons, ils vont déjeuner : ils savent alors que c’est le Seigneur.

 

Vous voyez tous ces va-et-viens entre ces deux mondes ? La vie circule enfin. Et c’est ce que veut le Christ, rejoindre nos peurs, nos deuils, nos échecs et y insuffler la vie de Pâques afin que tous nos possibles, toutes nos aspirations, puissent se concrétiser.

La seconde lecture que je vous propose se situe sur un plan plus symbolique : elle s’attarde brièvement sur le côté gauche et le côté droit de la barque.

Les disciples jettent leurs filets du côté gauche de la barque, dans la nuit, dans une eau noire où ils ne voient rien. Or, c’est impossible de ne rien prendre en jetant ses filets, impossible de n’attraper aucun poisson car ces eaux (à l’époque) étaient très poissonneuses. Cette impossibilité nous interroge donc.

Il s’agit donc pour les disciples – mais surtout pour nous, Frères et Soeurs – de jeter nos filets du côté droit de nos vies, à la lumière de l’aube (et non plus dans la nuit), à l’invitation du Christ (et non plus tout seuls), et là une grande quantité de poissons vont remonter de nos profondeurs jusqu’à terre ferme. N’est-ce pas là le travail d’une vie entière, puiser dans nos profondeurs, nos ténèbres, nos obscurités, aller voir, faire remonter, accueillir, identifier et nommer ces poissons qui épouvantent parfois. Et il y a du travail, nos eaux intérieures sont tellement poissonneuses ! Mais pas infinies non plus : car après 153, ça s’arrête.

L’Evangile de Pâques nous invite donc, avec le Christ à nos côtés, à nous laisser transformer en regardant tous ces poissons qui remontent. Et vous vous souvenez,  «poisson», ichthus en grec, est l’acronyme de Jésus Christ, fils de Dieu, Sauveur.

Alors bonne pêche, avec le Christ !

Homélie du Lundi de Pâques 2025 par Serge Molla

Homélie du Lundi de Pâques 2025 par Serge Molla

 

Jn 21,1-14    Ap 3,19-22  

Quand bien même nous avons célébré Pâques et la vie plus forte que toute mort, le risque est toujours de retomber dans les ornières d’hier. Tentation forte de se dire que c’était bien beau, mais qu’il faut se remettre à l’ouvrage. Et si les disciples se sont remis à pêcher et ns allons sous peu reprendre nos activités, rentrer chez nous. Nous leur ressemblons tellement ! Les disciples, quelques jours après la résurrection, sont restés ensemble, mais ils ont repris leurs anciennes activités. Ils se sont même évertués toute une nuit à pêcher sans succès. Or voici qu’au matin une voix se fait entendre :  Eh, les enfants, n’avez-vous pas un peu de poisson ?

Pas de suspense pour vous et moi, auditeur ou lecteur de ce récit, nous le savons bien, c’est le Ressuscité qui pose cette question. Mais les disciples, c’est un inconnu qui les interpelle et sait très bien que ces pêcheurs n’ont rien pris. Du coup, la question résonne autrement et rejoint ces hommes, peut-être tout comme nous ce matin. N’avez vs pas quelque chose qui nourrit ?

Voilà que le Ressuscité, avant même d’être reconnu interroge fondamentalement sur ce qui restaure les forces, redonne confiance au pas… N’as-tu pas quelque chose qui te nourrit ? Non ? Alors comment fais-tu ? Le jeûne c’est bien, mais il ne peut qu’être limité. Notre corps le souligne : le manger et le boire lui sont nécessaires. Et les injustices sont telles qu’aujourd’hui encore, des millions de gens meurent en raison de malnutrition ou de la famine, alors que d’autres sont gagnés par l’obésité. Cela n’est que le corps, important certes, mais la question de l’inconnu dépasse le registre du corps pour s’intéresser à ce qui tient un être debout, à ce qui lui permet de résister à ce qui est susceptible de l’atteindre et de le blesser. Et dès l’enfance, chacun·e s’est peu à peu confronté à cette question soulevée par l’entourage, les tribulations, les difficultés, en un mot soulevée par l’existence. Qu’est-ce qui te tient et te maintient debout ? Qu’est-ce qui fait que tu vis, ne vivotes pas seule-ment et ne survis pas simplement ? Or il n’est pas si simple de répondre. Beaucoup n’osent pas avouer à quiconque, Non, je n’ai rien qui me nourrit vraiment. Et s’il est déjà difficile de répon-dre avec franchise à autrui, cela l’est plus encore à soi-même.

C’est comme le comment ça va ? Autrui répond presque toujours, tout comme moi tout va bien, alors que parfois la posture, l’attitude, le ton de l’autre, ses yeux, fenêtre de l’âme, énoncent le contraire, tout comme moi, souvent, alors que j’ai l’impression de ne pas m’en sortir. C’est ainsi que tant d’êtres dénient qu’ils vont mal, que de l’aide leur serait nécessaire, c’est ainsi que tant de x je n’ai aucune envie de montrer où j’en suis, d’avouer ma faiblesse.

Car répondre vraiment, si on ne le fait pas machinalement, cela signifie prendre un risque, commencer à écouter une voix, un interlocuteur, prendre conscience d’une présence. Cela revient à se situer devant cet autre. Et si l’inconnu, c’était Lui ? Lui, le Ressuscité dont parle ce récit. Et si c’était Lui, cela attesterait qu’Il se soucie de moi, de ce qui équi-libre mon existence. Cela voudrait dire qu’il n’interroge pas pour me prendre en défaut et me culpabiliser. Ça, je le reconnais, j’y arrive bien tout seul ! Il interroge pour rendre son interlocuteur capable non seulement de répondre lui-même, mais surtout de lui-même et cela à l’autre, avec minuscule ou majuscule.

Face à cette question, j’oscille souvent entre la fuite et la réponse franche. Répondre non, je n’ai pas quelque chose qui me nourrit, jusqu’à dire oui, je l’a-voue, je suis en manque, c’est difficile, c’est vrai. Articuler de tels mots révèlent ma faiblesse, mais la question qui nous a rejoints était précédée d’un Hé, les enfants, attestant d’une chaleureuse proximité. La question n’était donc pas posée pour mettre mal à l’aise, mais pour susciter un mouvement intérieur. C’était une interrogation pour conduire à un changement, jusqu’à découvrir que ce qui nourrit est lié à la parole d’un autre. Bien sûr, tout comme vous, je connais, ces mots l’homme ne vivra pas seulement de pain, mais de toute parole… Je les connais, mais les ai-je pris au sérieux, marquent-ils mon existence ? Et si oui, à quelle parole je veux faire confiance ? Voici qu’une question toute simple révèle mon désir profond de ne pas seulement voir assurer mes besoins physiques, primaires, ce dont chacun est capable tout seul, mais cette question souligne le désir d’être nourri de l’essentiel. Or l’inconnu qui me réveille n’attend pas que j’aille vers lui. Sa question est au fond marque d’attachement. C’est pourquoi elle n’invite pas à la déprime, du genre décidément, je ne m’en sors pas, mais elle incite à la réévaluation de mon propre parcours : qu’est-ce qui me nourrit vraiment ?

Eh, les enfants, n’avez-vous pas un peu de poisson ? N’avons-nous pas tout d’abord entendu cette question comme si l’on assistait à une scène bucolique sur le bord d’un rivage, semblable à celui du lac à qqes centaines de mètres cette chapelle. Oui, je l’imagine bien cette scène, au risque d’en rester spectateur, pour ne pas dire voyeur. Or je fais partie de cette équipe confrontée à une pêche infructueuse. Je fais partie de cette communauté humaine appelée à s’en remettre à la parole d’un inconnu qui l’interpelle et l’interroge, avant de l’inviter à manger et qu’elle découvre son identité autour du repas.

Lorsqu’un inconnu vient nourrir mon existence, nul doute qu’il s’agit du Ressuscité, quel que soit son visage. Et si je ne l’ai pas reconnu, l’important, c’est que lui m’a reconnu, et a discerné mon manque.

Sa question en apparence anodine s’insinue en moi, en vous, pour le meilleur, c’est-à-dire la vie. Et me voici, vous voici, nous voici appelés à laisser sa parole prendre le pas sur nos atermoiements, en même temps que nous reconnaissons l’identité de cet inconnu, que ns découvrons à la fraction du pain et du vin partagé qu’il s’agit du Ressuscité. L’ayant reconnu pour notre plus grande joie, nous voici appelés donner priorité à la parole de notre Seigneur qui seul peut donner en abondance ce qui nourrit vraiment. Non pas des biens susceptibles, non pas des idées, mais une parole qui fait vivre, une parole qui ressuscite à chaque instant la vie en chacun·e. Amen     

 

Homélie du Dimanche de Pâques 2025 par Serge Molla

Homélie du Dimanche de Pâques 2025 par Serge Molla

 

Mtt 28,1-10 Col 3,1-14

Le premier jour de la semaine, un ven-dredi malsain aux yeux des hommes, un Vendredi saint aux yeux de Dieu, Marie de Magdala et l’autre Marie (probable-ment la mère de Jacques et Joseph) vien-nent de découvrir le tombeau vide. Crainte et joie les saisissent, lorsque l’évangile ajoute cette surprenante notation Et voici que Jésus vînt à leur rencontre. Cette précision n’a l’air de rien et pourtant elle soulève une ques-tion que souvent l’on ne se pose plus en Eglise, parce qu’on est rassemblé pour un office lorsqu’en entend collective-ment la lecture de ce récit et que l’anor-mal devient normal et ne surprend plus. Pourtant la question qui se pose est la suivante : ce matin-là, d’où vient Jésus ?  Et évidemment, la réponse ne passe pas par la mention d’un lieu.  Il vient bien plutôt d’un non-lieu, de la mort, d’où habituellement on ne vient pas, de la mort d’où on ne revient pas. Et celui qui vient, c’est le Ressuscité ; Jésus vient donc aussi de la vie nouvelle, où person-ne n’est encore allé.

Alors, autant dire qu’elle est abyssale cette petite mention Et voici que Jésus vînt à leur rencontre.

Jésus vient donc d’abord de tout ce qui caractérise l’humain et qui est appelé à trouver un terme. Il vient de tout ce qui est terrestre, limité et en sursis, de tout ce qui marque nos vies, l’inachevé com-me le passager, quelle qu’en soit la du-rée, qu’elle qu’en soit l’intensité. La mort de Jésus a été celle d’un criminel jugé et condamné, tout devait donc s’ar-rêter là, sur une croix. Ce Jésus de Naza-reth a subi un châtiment parce qu’en lui Dieu avait voulu vivre une existence hu-maine. Dieu avait désiré attester de sa proximité. Dieu avait voulu exprimer combien l’humanité comptait à ses yeux. Mais non seulement Dieu en Jésus de Nazareth n’a pas été reçu, mais plus en-core, l’expression offerte de son enga-gement en faveur de l’homme déran-geait. Il fallait donc s’en débarrasser définitivement. La mort se présentait alors comme la solution radicale, car la mort n’est-elle pas celle qui prétend effacer à tout jamais ?

Or voici que Jésus revient d’entre les morts, pour reprendre une expression fréquente dans le Nouveau Testament. Il est revenu du trépas, du tombeau. Dé-sormais par cet homme, tout ce que l’on ne peut avoir que devant soi se trouve derrière lui. Mais il revient non slmt de la mort, mais également de la résurrection d’entre les morts. Et ce témoignage, le Nouveau Testament se borne à attester sans jamais essayer de le décrire, ce qui est décisif. D’ailleurs qu’y aurait-il à décrire ? Dieu n’a ressuscité Jésus ni pour que ns en sachions davantage sur l’au-delà qui intrigue tant, ni pour que soit satisfaite quelque curiosité. Ainsi est-ce dans l’homme visible, audible et tangible, dans cet homme Jésus revenu d’un non-lieu que 2 femmes, puis les disciples vont découvrir que leur maître, jugé, condamné et mis à mort, l’ami abaissé de façon incompréhensible se voit élevé de même manière, tout aussi incompréhensible.

L’au-delà qui fait signe dans la résurrec-tion de Jésus ne désigne pas un monde inconnu, un imaginaire de paradis, ni même une éternité immobile calquée sur l’image inversée de l’écoulement du temps. L’au-delà d’où vient Jésus est sans représentation. Cet au-delà ne relève donc pas d’un savoir. Une fois encore, le savoir s’efface au défi ou plutôt au profit d’une confiance. En ce sens, la résurrection est un accueil et non pas 1 récompense. On ne peut pas la représenter. Et même les icônes de la résurrection ne sont jamais des peintu-res descriptives, mais toujours des fenê-tres ouvrant sur l’intérieur, faisant naître au plus secret, au plus intime, là où Dieu veut se faire présent.

Ainsi, la mention Et voici que Jésus vînt à leur rencontre ne décrit rien que l’on pourrait soupeser et analyser et pour-tant tout se modifie et est appelé à changer. Le mouvement des corps tra-duit le mouvement intérieur. Les 2 Marie, venues pour prendre soin du corps du défunt passent suite à cette rencontre incroyable, elles passent, d’un instant à l’autre, à un tout autre mouve-ment. Tout à coup ce n’est plus leur vo-lonté qui guide leur action, mais celle de Jésus venu à leur rencontre. De suite, elles vont aller annoncer aux frères l’in-croyable et les enjoindre de se rendre en Galilée.

Quant à nous, nous pourrions en rester là, et demeurer comme les voyeurs d’une scène. Or l’évangile n’invite jamais à cela, bien au contraire.

Si ns n’accompagnons donc pas ces fem-mes, c’est que le Ressuscité vient aussi à notre rencontre, pour retourner égale-ment notre mouvement intérieur si sou-vent suscité par nous-même. Or si vous découvrez qu’il vient à votre rencontre, si je perçois cela, votre volonté, ma vo-lonté vont laisser place à la sienne.  Non pas pour un instant ou juste aujourd’hui, mais pour la suite de l’existence. Et nul doute qu’il va nous envoyer vers des frè-res et des sœurs pour partager l’incroya-ble. Et qui sont-ils/elles, sinon ttes ces femmes, tous ces hommes qui croisent notre chemin, qui ne partagent peut-être pas nos convictions, mais qui aspirent tt comme chacun·e d’entre nous à une vie forte.

Certes nos limites ne vont pas s’estom-per, mais le centre s’est déplacé irrémé-diablement. Quelle que soit ma force, ma faiblesse voire mon handicap, ma facilité à partager ou ma difficulté à témoigner. Le Ressuscité m’envoie moins pour que je parle de lui que pour que le mouvement qui me porte expri-me et atteste que c’est Lui qui désormais m’ouvre aux autres comme à moi-mê-me.  Le désir d’accomplir ma volonté devrait baisser en intensité au profit de la sienne. Non pas ma volonté mais la tienne.  Cette rencontre dont aucun·e n’a l’initiative, elle fait tout basculer.

Rien ne dépend plus de moi. Même la mort même perd de sa force. D’ailleurs, elle n’en a que tant que je lui privilégie mon regard et surtout mon regard intérieur. Il vient à votre rencontre. Cela change tout, car la surprise et la joie vous étreignent. Et celles-ci ne sont pas près de vous quitter. Il vient à notre rencontre pour notre plus grande joie. Car personne d’autre que lui, rappelle le poète, ne peut faire de chaque être humain qu’il rencontre une sorte de commencement.et la joie qui nous étreint est imprenable, car il n’y a que lui pour venir ainsi à notre rencontre et allumer l’éternité à tout bout de champ, petit et grand champ. Oui, soyez-en sûres, mes sœurs en Christ… Non, n’en doutez pas, mes frères en Christ : Il n’y a que lui pour printaniser nos heures. Amen

 

Homélie du Jeudi Saint 2025 par Serge Molla

Homélie du Jeudi Saint 2025 par Serge Molla

eLc 22,14-20              Ex 12,1-14

J’ai tellement désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Voici l’un des rares passages où Jésus parle de lui-même, et l’expression est forte puisqu’on pourrait dire littéralement j’ai désiré d’un désir.  C’est un moment-clé. Nous ne sommes pas encore au Mont des Oliviers où Jésus prie que si les nuages qui s’amoncellent pouvaient se dissiper, si son chemin pouvait ne pas entraîner sa mort… L’angoisse n’est pas encore au rendez-vous. Ce n’est pas encore Lui qui est au centre, si je puis dire, mais les siens, vous et moi aujourd’hui, les siens dont il veut prendre soin et les placer en situation où plus jamais ils ne seront seuls, abandonnés. Plus jamais.

S’il prend du pain, c’est bien sûr en écho au Seder, le repas de la fête juive de la Pâque. Mais ce soir-là il fait plus que célébrer le rite où l’on commémore la libération de l’esclavage et la sortie d’Egypte. Il réinterprète le geste traditionnel en liant le pain à sa personne et à sa mort imminente : Cette Pâque, jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le Royaume de Dieu. C’est dire qu’il charge d’un sens nouveau le pain préparé pour le rite.  En le rompant, il instaure une relation nouvelle, car cette rupture du pain permet le partage. Ce pain, comme rompu par le supplice et la mort toute proche, ne vient pas du tout diviser. Au contraire, sa fraction transfigure la division. Ce soir-là Jésus relie ses disciples séparés, et d’abord séparés de lui par leur compréhension limitée pour ne pas dire leurs incompréhensions. Et ce qui est vrai des disciples est tout aussi vrai de nous, quand bien même, nous répondons à l’injonction de Jésus de faire mémoire de ce repas pascal auquel il a donné un sens tout particulier en le liant à sa personne. Est-ce que je ne ressemble pas à ce disciple qui se tait en écoutant son maître ? A ce disciple qui ne comprend pas bien le sens de ses paroles ? Pourquoi parle-t-il de mort et d’un Royaume qui m’échappe ? Ne sommes-nous pas nous aussi parmi les 12 qui font ce qu’il leur demande, mais sans vraiment saisir l’enjeu de cette Pâ-que ? Ne faut-il pas parfois beaucoup de temps pour que des paroles fortes, et peut-être plus encore des gestes forts, descendent au plus profond de nous et génèrent ou plutôt fassent mûrir du sens à la manière de graines déposées en nous ? Or voici que le pain rompu se met à nous relier de nouvelle façon.

Ce soir, après avoir partagé l’agneau et les herbes amères, écho du repas pascal juif, du pain et du vin sont déposés sur la ta-ble. Et ces éléments eux aussi parlent. Ils sont un aide-mémoire qui n’est pas un simple rappel intellectuel, mental. Cet aide-mémoire passe par le corps, il ne peut s’accomplir que par le corps. Rappel d’un corps mis à mort, avec tout ce que cela sous-entend en termes de violence et de meurtre, d’effacement de dignité et de visage. Rappel d’un corps dont on se débarrasse en pensant mettre fin à certains troubles. Rappel de tant de corps aujourd’hui encore ainsi broyés et éradiqués dans la bande Gaza, en Cisjordanie, au Soudan de la République du Congo, en Ukraine…, comme s’il était possible d’effacer des existences comme l’on gomme un trait de crayon.  Eléments aide-mémoire non seulement de ce Jésus qui va mourir, mais de ces tous ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants rompus par la violence, la vengeance, le viol et l’horreur dont leurs frères et sœurs en humanité sont capables. Aide-mémoire offert par Dieu qui se souvient de chacun·e, sans prix et à la valeur unique, qd bien même les actualités qui ns submergent semblent affirmer que certaines vies valent + que d’autres au point que certains ne méritent pas de vivre.

Cependant, le pain rompu et le vin raisin broyé font bien plus encore qu’exprimer la solidarité divine. Si ce n’était que cela, ce ne serait – ce qui compte déjà beau-coup – qu’ajouter les larmes de Dieu aux nôtres. Mais il y a bien plus encore puis-que ce pain et ce vin sont aussi des signes annonciateurs qui ne projettent plus en arrière vers la mort de Jésus, ni vers la mort qui engloutit tant d’êtres dans la guerre.

Ce pain et ce vin à portée sont une annonce, c’est-à-dire qu’ils représentent du nouveau. Avec les expressions de venue du Royaume, de nouvelle alliance scellée en son sang, Jésus ouvre un demain qui écarte toute connaissance et tout calcul. Il délaisse le travail, le savoir, l’analyse qui décomposent les éléments pour ensuite mieux les relier, aboutir à un savoir et servir un désir de puissance.

Voici que ces pain et vin qui évoquent à nos yeux une histoire de mort, voici qu’en même temps, au-delà de leur matérialité, ils ouvrent sur la vie et la confiance. Alors, si devant ces pain et vin, je pense à la mort de Jésus et à celle qui engloutit au-jourd’hui tant d’êtres humains, en même temps je ne réfléchis pas à la vie offerte, je risque la confiance. Le mouvement in-térieur est tout autre. Il n’est plus seule-ment mental. Il ne se fonde pas sur une histoire, une interprétation, une analyse. Le mouvement de confiance ne dissèque ni ne décompose les éléments, car en elle tout est lié : le sensoriel, l’affectif et le mental ne font qu’un.

Et si le but de la connaissance est le savoir, le but de la confiance est tout autre, car il pointe vers le don de soi dans l’amour. La différence est fondamentale. Ce qui les distingue c’est un enjeu de vie. La confiance exprime un oui inconditionnel à cela qu’elle ne connaît pas, mais que d’avance elle aime.

Et c’est un tel oui que mon corps et tout mon être expriment lorsque je reçois un morceau de pain et une gorgée de vin. Je n’acquiesce pas intellectuellement à une idée. Je prends le risque de confier mon parcours à un Autre qui veut me nourrir, c’est-à-dire restaurer mes forces, non pour que tout aille bien, sans souci ni pro-blème, mais pour tout revête du sens et que ne se dilue pas le goût de la vie reçue.

Ce soir, la mort de Jésus habite tout particulièrement nos mémoires et pourtant la vie s’invite au cœur des textes réentendus et des gestes répétés. La vie s’invite pour que demain et chaque jour, malgré la mort qui rôde, malgré tous les discours qui ferment l’avenir, malgré les bruits de guerre, malgré l’éco-anxiété qui menace, la confiance soit plus forte et donne à chacun·e de ne pas perdre pied, envers et contre tout.

En recevant pain et vin, je témoigne de mon désir de risquer la vie à la suite du Christ, de me jeter à corps perdu dans la confiance, de la vie offerte, de Sa vie offerte.

Amen

Dimanche des Rameaux, le 13 avril par la pasteure Martine Sarasin

Dimanche des Rameaux, le 13 avril par la pasteure Martine Sarasin

 

Rameaux 2025      Grandchamp     Matthieu 21 :1-11

Arrêt sur image : un homme sur un ânon…. des acclamations…

Et « toute la ville fut secouée ».

Matthieu utilise un verbe de la famille des séismes, que l’on ne trouve chez lui que 2 autres fois dans son évangile : quand la terre tremble, au moment où le voile du temple se déchire; et quand les gardiens deviennent comme morts en voyant un ange descendre comme l’éclair et rouler la pierre du tombeau .

C’est dire, si l’ultime entrée de Jésus dans la ville sainte, et de cette façon, est un évènement décisif et dramatique. Pour en souligner encore l’importance, elle est dépeinte comme une arrivée triomphale. Il est vrai que par le passé Jésus circulait à Jérusalem dans la discrétion et limitait toute publicité ; cette fois oui, son attitude contraste avec le passé : il prépare son entrée avec une certaine solennité, il sort de l’incognito, il s’expose. Pourtant il n’y a pas unanimité quant à l’identité de cet homme. « Qui est-il ? » demandent certains. Ceux qui posent la question sont des gens de Jérusalem, ceux qui y répondent sont ceux qui escortent fièrement Jésus et entrent avec lui. Et peut-être que les premiers joignent leurs cris à ceux des autres, sans trop savoir de quoi il s’agit, entraînés par l’élan général. « Hosanna ! Hourra pour le salut !» Cette acclamation d’espoir et de joie a subi un glissement de sens au fil du temps ; elle était à l’origine un appel à l’aide : « viens sauver ! au secours ! ».

Dans les deux cas ce cri a tout son sens. Car celui qui entre dans la ville sainte est proclamé comme étant de la descendance de David, comme le Messie attendu, le Sauveur. D’autres le désignent prophète, de Nazareth -ce qui n’ augure rien de bon quant à son sort… En vérité il vient de plus loin que Nazareth : il vient de Dieu. Il porte Dieu. Sur un ânon.

Un ânon. La monture des pauvres. De quoi s’exposer au ridicule, commente Calvin. La fête des Rameaux, met en lumière de manière condensée, en une image, la nature paradoxale du Christ et de son Royaume, déjouant ainsi toutes les significations courantes de royauté, de salut, et de divinité. Une collègue française l’exprimait ainsi : Jésus est un Messie sans gloire et qui n’en veut pas: entrant à Jérusalem il laisse toute la gloire à Dieu ; il laisse à Dieu le règne, obéissant par amour à la volonté de Celui qu’il appelle son Père. Lui qui marche vers sa mort, il laisse à Dieu la puissance, celle qui le relèvera, plus tard. Car c’est à Dieu qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire.

Dans le Fils en effet, nul esprit de conquête, de défi ou de revendication. Il s’offre. Il descend. Il se présente sans couronne, sans défense et sans apparence. Il se livre au regard, aux cris, aux mains, au bon vouloir de la foule, et à notre bon vouloir. Comme elle, nous avons ce pouvoir de l’accueillir ou de le rejeter, de l’aimer ou le mépriser. Car c’est ainsi qu’il vient à nous aujourd’hui, n’est-ce pas, comme autrefois.

La liturgie a couplé cet évènement avec la lecture du grand hymne aux Philippiens, qui donne à contempler le trajet du Christ, né de Dieu, et se dépouillant de tout signe de grandeur, de toute aura, consentant à se recevoir de Dieu seul. Cette manière d’ être-au-monde-et-à-Dieu, cette posture fondamentale avec toutes ses exigences et ses conséquences jusqu’à la mort même, Dieu l’honorera dans l’acte de la résurrection et de l’élévation de son Fils. Car, comme l’a écrit une bibliste de chez nous, Dieu s’y retrouve ; Dieu retrouve dans le Christ ce qu’il est : une seigneurie  qui se présente comme une offrande. Alors, qui est effectivement maître… ? celui, celle, qui, à l’image presqu’insensée de Dieu ainsi dévoilé dans le Christ, va vers tout et tous, aime sans limite, sans retour à soi ni menace pour l’autre, sans rien posséder, ouvert à tout, à la vie à la mort.

Oui celui, celle… Car il s’agit de ne pas « sauter » les mots qui introduisent la célèbre hymne paulinienne: Ayez le comportement, ou plutôt ayez en vous la disposition intérieure, la manière d’être ou les sentiments (selon les traductions) qui étaient en Jésus-Christ. Ces « sentiments » on le sait, n’ont rien de sentimental. Quels étaient-ils, ceux du Christ entrant à Jérusalem ? Seule la foi peut entrer dans une autre perception de ce qui se passe. L’amour de Dieu, dont le Christ vit, et dans lequel il nous introduit, est une puissance de création et de recréation, un engagement, un combat, une passion. Et peut-être Jésus était-il habité par une prière semblable à celle de Etty Hillesum le jour de sa déportation à Auschwitz : Mon Dieu prenez-moi par la main, je vous suivrai bravement, sans beaucoup de résistance. Je ne me déroberai à aucun des orages qui fondront sur moi, je soutiendrai le choc avec le meilleur de mes forces.

Ayez en vous ce qui habitait le Christ ; Celui qui l’habitait. Pour aller au bout de ce qui vous est demandé. Ici, là, maintenant, quotidiennement ; quiconque est fidèle dans les petites choses le sera dans les grandes à venir. Ayez en vous la force de l’amour, même si ça fait mal. En ce dimanche de fête, ce n’est pas la souffrance ni les peurs que nous célébrons, c’est la puissance d’un Amour bouleversant, qui se donne sans rien retenir pour lui, pour notre salut.

Pâques est devant. La vie délivrée de ses étranglements. La joie.

Et nous en serons tous et toutes secoués.

Hosanna !

 Prédication, le 10 avril par le pasteur Dominique Guenin

 Prédication, le 10 avril par le pasteur Dominique Guenin

 

Grandchamp 10 avril 2025, D. Guenin, Morat

He 13,1-3+5-9a Jn 10,37-42

 

Pour l’homélie je ferai combinaison du début de la deuxième lecture, l’évangile pour aujourd’hui

« Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ! » Jn 10,37,

avec la fin de la première lecture, l’Epître, He 13,9a :

« Ne vous laissez pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. »

Chers sœurs et frères en Christ,

En ces temps d’un usage abusif de la vérité en dimensions mondiales qui va jusqu’à un système de relations du pouvoir basé sur le mensonge il est d’autant plus important d’être clair.

On a pris usage de parler de « faits alternatifs » comme s’il existait une autre vérité – eh bien il existe une autre vérité si on la veut. Et il s’agit bien d’un faire.

C’est un faire systématique qui abolit les œuvres de mon Père pour introduire une autre réalité, le pouvoir du monde ou de ce monde ou d’ici-bas comme il est exprimé dans les Évangiles à plusieurs reprises.

Pour nous Chrétiens dans la tradition judéo-chrétienne la consigne He 13,9a « Ne vous laissez pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. » est bien claire: Tout ce qui nous rend étrange aux œuvres de mon Père est du diable. Il faut bien comprendre le mot : dia-ballo en grec veut dire : je « lance à travers » je suis « perturbateur » ou « disruptif ».

Je tiens à une distinction théologiquement importante : Le diable dans le monde est un faire, pas une personne. N’acceptons jamais que le diable prenne personnalité, c’est une responsabilité spirituelle. Le diable est trompeur. Mais le trompeur n’est pas le diable.

Cependant dans ce monde (puisqu’on parle d’incarnation) le Christ est une personne, parce que c’est par Lui et avec Lui que per-sonne, qu’est fait la volonté de Dieu. Nous croyons en Christ, en sa Personne. Que notre faire, nos faits soyent l’écho de la Parole de Dieu !

« Je fais le diable » si je me lance à travers la volonté de Dieu. Le diable dans le monde est le faire, l’action de l’homme perverti, détourné de Dieu.

« Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ! » « Ne vous laissez pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. »

Ce donc qui agrandit l’étrangement vis-à-vis Dieu et son Christ est du diable, c’est un processus d’égarement.

Le contraire est un processus d’unification. Chers sœurs et frères en Christ, que l’amour fraternel demeure est ce que l’Épître aux Hébreux souhaite. Mon Père, notre Père qui est aux cieux nous unit.

Et si nous demandons avec les hébreux quels sont les œuvres de mon Père nous ne manquerons pas de réponses.

Mon Père a voulu la vie, il en est le Créateur. Et le Sauveur. Et il a voulu à plusieurs reprises que la vie l’emporte sur la mort. La Nouvelle vie ! Une Pâque après l’oppression en Égypte, une Résurrection suit à la Passion, ce sont les fameux « faits alternatifs » de mon Père, bien alternatifs aux œuvres du perturbateur.

Avec Dieu et tous les croyants juifs et chrétiens je veux donc décidément que vie soit. Ainsi-soit-il ! Je ne me laisse pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. Je m’en tiens au Créateur en sa création, et non pas aux dominateurs destructifs avec leur haine, au Sauveur en son amour et non pas au perturbateur, au diable.

Si le monde ne croit pas en Jésus-Christ, nous croyons d‘autant plus. Car la nécessité d’un autre choix s’impose encore plus fort.

Avec vous, chers sœurs et frères, uni dans cet amour fraternel qui est dû au Père et au Fils et au Saint-Esprit, je tiens à la priorité de la vie sur la mort. « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ! »  

Amen.