Homélie du Dimanche de Pâques 2025 par Serge Molla

Homélie du Dimanche de Pâques 2025 par Serge Molla

 

Mtt 28,1-10 Col 3,1-14

Le premier jour de la semaine, un ven-dredi malsain aux yeux des hommes, un Vendredi saint aux yeux de Dieu, Marie de Magdala et l’autre Marie (probable-ment la mère de Jacques et Joseph) vien-nent de découvrir le tombeau vide. Crainte et joie les saisissent, lorsque l’évangile ajoute cette surprenante notation Et voici que Jésus vînt à leur rencontre. Cette précision n’a l’air de rien et pourtant elle soulève une ques-tion que souvent l’on ne se pose plus en Eglise, parce qu’on est rassemblé pour un office lorsqu’en entend collective-ment la lecture de ce récit et que l’anor-mal devient normal et ne surprend plus. Pourtant la question qui se pose est la suivante : ce matin-là, d’où vient Jésus ?  Et évidemment, la réponse ne passe pas par la mention d’un lieu.  Il vient bien plutôt d’un non-lieu, de la mort, d’où habituellement on ne vient pas, de la mort d’où on ne revient pas. Et celui qui vient, c’est le Ressuscité ; Jésus vient donc aussi de la vie nouvelle, où person-ne n’est encore allé.

Alors, autant dire qu’elle est abyssale cette petite mention Et voici que Jésus vînt à leur rencontre.

Jésus vient donc d’abord de tout ce qui caractérise l’humain et qui est appelé à trouver un terme. Il vient de tout ce qui est terrestre, limité et en sursis, de tout ce qui marque nos vies, l’inachevé com-me le passager, quelle qu’en soit la du-rée, qu’elle qu’en soit l’intensité. La mort de Jésus a été celle d’un criminel jugé et condamné, tout devait donc s’ar-rêter là, sur une croix. Ce Jésus de Naza-reth a subi un châtiment parce qu’en lui Dieu avait voulu vivre une existence hu-maine. Dieu avait désiré attester de sa proximité. Dieu avait voulu exprimer combien l’humanité comptait à ses yeux. Mais non seulement Dieu en Jésus de Nazareth n’a pas été reçu, mais plus en-core, l’expression offerte de son enga-gement en faveur de l’homme déran-geait. Il fallait donc s’en débarrasser définitivement. La mort se présentait alors comme la solution radicale, car la mort n’est-elle pas celle qui prétend effacer à tout jamais ?

Or voici que Jésus revient d’entre les morts, pour reprendre une expression fréquente dans le Nouveau Testament. Il est revenu du trépas, du tombeau. Dé-sormais par cet homme, tout ce que l’on ne peut avoir que devant soi se trouve derrière lui. Mais il revient non slmt de la mort, mais également de la résurrection d’entre les morts. Et ce témoignage, le Nouveau Testament se borne à attester sans jamais essayer de le décrire, ce qui est décisif. D’ailleurs qu’y aurait-il à décrire ? Dieu n’a ressuscité Jésus ni pour que ns en sachions davantage sur l’au-delà qui intrigue tant, ni pour que soit satisfaite quelque curiosité. Ainsi est-ce dans l’homme visible, audible et tangible, dans cet homme Jésus revenu d’un non-lieu que 2 femmes, puis les disciples vont découvrir que leur maître, jugé, condamné et mis à mort, l’ami abaissé de façon incompréhensible se voit élevé de même manière, tout aussi incompréhensible.

L’au-delà qui fait signe dans la résurrec-tion de Jésus ne désigne pas un monde inconnu, un imaginaire de paradis, ni même une éternité immobile calquée sur l’image inversée de l’écoulement du temps. L’au-delà d’où vient Jésus est sans représentation. Cet au-delà ne relève donc pas d’un savoir. Une fois encore, le savoir s’efface au défi ou plutôt au profit d’une confiance. En ce sens, la résurrection est un accueil et non pas 1 récompense. On ne peut pas la représenter. Et même les icônes de la résurrection ne sont jamais des peintu-res descriptives, mais toujours des fenê-tres ouvrant sur l’intérieur, faisant naître au plus secret, au plus intime, là où Dieu veut se faire présent.

Ainsi, la mention Et voici que Jésus vînt à leur rencontre ne décrit rien que l’on pourrait soupeser et analyser et pour-tant tout se modifie et est appelé à changer. Le mouvement des corps tra-duit le mouvement intérieur. Les 2 Marie, venues pour prendre soin du corps du défunt passent suite à cette rencontre incroyable, elles passent, d’un instant à l’autre, à un tout autre mouve-ment. Tout à coup ce n’est plus leur vo-lonté qui guide leur action, mais celle de Jésus venu à leur rencontre. De suite, elles vont aller annoncer aux frères l’in-croyable et les enjoindre de se rendre en Galilée.

Quant à nous, nous pourrions en rester là, et demeurer comme les voyeurs d’une scène. Or l’évangile n’invite jamais à cela, bien au contraire.

Si ns n’accompagnons donc pas ces fem-mes, c’est que le Ressuscité vient aussi à notre rencontre, pour retourner égale-ment notre mouvement intérieur si sou-vent suscité par nous-même. Or si vous découvrez qu’il vient à votre rencontre, si je perçois cela, votre volonté, ma vo-lonté vont laisser place à la sienne.  Non pas pour un instant ou juste aujourd’hui, mais pour la suite de l’existence. Et nul doute qu’il va nous envoyer vers des frè-res et des sœurs pour partager l’incroya-ble. Et qui sont-ils/elles, sinon ttes ces femmes, tous ces hommes qui croisent notre chemin, qui ne partagent peut-être pas nos convictions, mais qui aspirent tt comme chacun·e d’entre nous à une vie forte.

Certes nos limites ne vont pas s’estom-per, mais le centre s’est déplacé irrémé-diablement. Quelle que soit ma force, ma faiblesse voire mon handicap, ma facilité à partager ou ma difficulté à témoigner. Le Ressuscité m’envoie moins pour que je parle de lui que pour que le mouvement qui me porte expri-me et atteste que c’est Lui qui désormais m’ouvre aux autres comme à moi-mê-me.  Le désir d’accomplir ma volonté devrait baisser en intensité au profit de la sienne. Non pas ma volonté mais la tienne.  Cette rencontre dont aucun·e n’a l’initiative, elle fait tout basculer.

Rien ne dépend plus de moi. Même la mort même perd de sa force. D’ailleurs, elle n’en a que tant que je lui privilégie mon regard et surtout mon regard intérieur. Il vient à votre rencontre. Cela change tout, car la surprise et la joie vous étreignent. Et celles-ci ne sont pas près de vous quitter. Il vient à notre rencontre pour notre plus grande joie. Car personne d’autre que lui, rappelle le poète, ne peut faire de chaque être humain qu’il rencontre une sorte de commencement.et la joie qui nous étreint est imprenable, car il n’y a que lui pour venir ainsi à notre rencontre et allumer l’éternité à tout bout de champ, petit et grand champ. Oui, soyez-en sûres, mes sœurs en Christ… Non, n’en doutez pas, mes frères en Christ : Il n’y a que lui pour printaniser nos heures. Amen

 

Homélie du Jeudi Saint 2025 par Serge Molla

Homélie du Jeudi Saint 2025 par Serge Molla

eLc 22,14-20              Ex 12,1-14

J’ai tellement désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Voici l’un des rares passages où Jésus parle de lui-même, et l’expression est forte puisqu’on pourrait dire littéralement j’ai désiré d’un désir.  C’est un moment-clé. Nous ne sommes pas encore au Mont des Oliviers où Jésus prie que si les nuages qui s’amoncellent pouvaient se dissiper, si son chemin pouvait ne pas entraîner sa mort… L’angoisse n’est pas encore au rendez-vous. Ce n’est pas encore Lui qui est au centre, si je puis dire, mais les siens, vous et moi aujourd’hui, les siens dont il veut prendre soin et les placer en situation où plus jamais ils ne seront seuls, abandonnés. Plus jamais.

S’il prend du pain, c’est bien sûr en écho au Seder, le repas de la fête juive de la Pâque. Mais ce soir-là il fait plus que célébrer le rite où l’on commémore la libération de l’esclavage et la sortie d’Egypte. Il réinterprète le geste traditionnel en liant le pain à sa personne et à sa mort imminente : Cette Pâque, jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le Royaume de Dieu. C’est dire qu’il charge d’un sens nouveau le pain préparé pour le rite.  En le rompant, il instaure une relation nouvelle, car cette rupture du pain permet le partage. Ce pain, comme rompu par le supplice et la mort toute proche, ne vient pas du tout diviser. Au contraire, sa fraction transfigure la division. Ce soir-là Jésus relie ses disciples séparés, et d’abord séparés de lui par leur compréhension limitée pour ne pas dire leurs incompréhensions. Et ce qui est vrai des disciples est tout aussi vrai de nous, quand bien même, nous répondons à l’injonction de Jésus de faire mémoire de ce repas pascal auquel il a donné un sens tout particulier en le liant à sa personne. Est-ce que je ne ressemble pas à ce disciple qui se tait en écoutant son maître ? A ce disciple qui ne comprend pas bien le sens de ses paroles ? Pourquoi parle-t-il de mort et d’un Royaume qui m’échappe ? Ne sommes-nous pas nous aussi parmi les 12 qui font ce qu’il leur demande, mais sans vraiment saisir l’enjeu de cette Pâ-que ? Ne faut-il pas parfois beaucoup de temps pour que des paroles fortes, et peut-être plus encore des gestes forts, descendent au plus profond de nous et génèrent ou plutôt fassent mûrir du sens à la manière de graines déposées en nous ? Or voici que le pain rompu se met à nous relier de nouvelle façon.

Ce soir, après avoir partagé l’agneau et les herbes amères, écho du repas pascal juif, du pain et du vin sont déposés sur la ta-ble. Et ces éléments eux aussi parlent. Ils sont un aide-mémoire qui n’est pas un simple rappel intellectuel, mental. Cet aide-mémoire passe par le corps, il ne peut s’accomplir que par le corps. Rappel d’un corps mis à mort, avec tout ce que cela sous-entend en termes de violence et de meurtre, d’effacement de dignité et de visage. Rappel d’un corps dont on se débarrasse en pensant mettre fin à certains troubles. Rappel de tant de corps aujourd’hui encore ainsi broyés et éradiqués dans la bande Gaza, en Cisjordanie, au Soudan de la République du Congo, en Ukraine…, comme s’il était possible d’effacer des existences comme l’on gomme un trait de crayon.  Eléments aide-mémoire non seulement de ce Jésus qui va mourir, mais de ces tous ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants rompus par la violence, la vengeance, le viol et l’horreur dont leurs frères et sœurs en humanité sont capables. Aide-mémoire offert par Dieu qui se souvient de chacun·e, sans prix et à la valeur unique, qd bien même les actualités qui ns submergent semblent affirmer que certaines vies valent + que d’autres au point que certains ne méritent pas de vivre.

Cependant, le pain rompu et le vin raisin broyé font bien plus encore qu’exprimer la solidarité divine. Si ce n’était que cela, ce ne serait – ce qui compte déjà beau-coup – qu’ajouter les larmes de Dieu aux nôtres. Mais il y a bien plus encore puis-que ce pain et ce vin sont aussi des signes annonciateurs qui ne projettent plus en arrière vers la mort de Jésus, ni vers la mort qui engloutit tant d’êtres dans la guerre.

Ce pain et ce vin à portée sont une annonce, c’est-à-dire qu’ils représentent du nouveau. Avec les expressions de venue du Royaume, de nouvelle alliance scellée en son sang, Jésus ouvre un demain qui écarte toute connaissance et tout calcul. Il délaisse le travail, le savoir, l’analyse qui décomposent les éléments pour ensuite mieux les relier, aboutir à un savoir et servir un désir de puissance.

Voici que ces pain et vin qui évoquent à nos yeux une histoire de mort, voici qu’en même temps, au-delà de leur matérialité, ils ouvrent sur la vie et la confiance. Alors, si devant ces pain et vin, je pense à la mort de Jésus et à celle qui engloutit au-jourd’hui tant d’êtres humains, en même temps je ne réfléchis pas à la vie offerte, je risque la confiance. Le mouvement in-térieur est tout autre. Il n’est plus seule-ment mental. Il ne se fonde pas sur une histoire, une interprétation, une analyse. Le mouvement de confiance ne dissèque ni ne décompose les éléments, car en elle tout est lié : le sensoriel, l’affectif et le mental ne font qu’un.

Et si le but de la connaissance est le savoir, le but de la confiance est tout autre, car il pointe vers le don de soi dans l’amour. La différence est fondamentale. Ce qui les distingue c’est un enjeu de vie. La confiance exprime un oui inconditionnel à cela qu’elle ne connaît pas, mais que d’avance elle aime.

Et c’est un tel oui que mon corps et tout mon être expriment lorsque je reçois un morceau de pain et une gorgée de vin. Je n’acquiesce pas intellectuellement à une idée. Je prends le risque de confier mon parcours à un Autre qui veut me nourrir, c’est-à-dire restaurer mes forces, non pour que tout aille bien, sans souci ni pro-blème, mais pour tout revête du sens et que ne se dilue pas le goût de la vie reçue.

Ce soir, la mort de Jésus habite tout particulièrement nos mémoires et pourtant la vie s’invite au cœur des textes réentendus et des gestes répétés. La vie s’invite pour que demain et chaque jour, malgré la mort qui rôde, malgré tous les discours qui ferment l’avenir, malgré les bruits de guerre, malgré l’éco-anxiété qui menace, la confiance soit plus forte et donne à chacun·e de ne pas perdre pied, envers et contre tout.

En recevant pain et vin, je témoigne de mon désir de risquer la vie à la suite du Christ, de me jeter à corps perdu dans la confiance, de la vie offerte, de Sa vie offerte.

Amen

Dimanche des Rameaux, le 13 avril par la pasteure Martine Sarasin

Dimanche des Rameaux, le 13 avril par la pasteure Martine Sarasin

 

Rameaux 2025      Grandchamp     Matthieu 21 :1-11

Arrêt sur image : un homme sur un ânon…. des acclamations…

Et « toute la ville fut secouée ».

Matthieu utilise un verbe de la famille des séismes, que l’on ne trouve chez lui que 2 autres fois dans son évangile : quand la terre tremble, au moment où le voile du temple se déchire; et quand les gardiens deviennent comme morts en voyant un ange descendre comme l’éclair et rouler la pierre du tombeau .

C’est dire, si l’ultime entrée de Jésus dans la ville sainte, et de cette façon, est un évènement décisif et dramatique. Pour en souligner encore l’importance, elle est dépeinte comme une arrivée triomphale. Il est vrai que par le passé Jésus circulait à Jérusalem dans la discrétion et limitait toute publicité ; cette fois oui, son attitude contraste avec le passé : il prépare son entrée avec une certaine solennité, il sort de l’incognito, il s’expose. Pourtant il n’y a pas unanimité quant à l’identité de cet homme. « Qui est-il ? » demandent certains. Ceux qui posent la question sont des gens de Jérusalem, ceux qui y répondent sont ceux qui escortent fièrement Jésus et entrent avec lui. Et peut-être que les premiers joignent leurs cris à ceux des autres, sans trop savoir de quoi il s’agit, entraînés par l’élan général. « Hosanna ! Hourra pour le salut !» Cette acclamation d’espoir et de joie a subi un glissement de sens au fil du temps ; elle était à l’origine un appel à l’aide : « viens sauver ! au secours ! ».

Dans les deux cas ce cri a tout son sens. Car celui qui entre dans la ville sainte est proclamé comme étant de la descendance de David, comme le Messie attendu, le Sauveur. D’autres le désignent prophète, de Nazareth -ce qui n’ augure rien de bon quant à son sort… En vérité il vient de plus loin que Nazareth : il vient de Dieu. Il porte Dieu. Sur un ânon.

Un ânon. La monture des pauvres. De quoi s’exposer au ridicule, commente Calvin. La fête des Rameaux, met en lumière de manière condensée, en une image, la nature paradoxale du Christ et de son Royaume, déjouant ainsi toutes les significations courantes de royauté, de salut, et de divinité. Une collègue française l’exprimait ainsi : Jésus est un Messie sans gloire et qui n’en veut pas: entrant à Jérusalem il laisse toute la gloire à Dieu ; il laisse à Dieu le règne, obéissant par amour à la volonté de Celui qu’il appelle son Père. Lui qui marche vers sa mort, il laisse à Dieu la puissance, celle qui le relèvera, plus tard. Car c’est à Dieu qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire.

Dans le Fils en effet, nul esprit de conquête, de défi ou de revendication. Il s’offre. Il descend. Il se présente sans couronne, sans défense et sans apparence. Il se livre au regard, aux cris, aux mains, au bon vouloir de la foule, et à notre bon vouloir. Comme elle, nous avons ce pouvoir de l’accueillir ou de le rejeter, de l’aimer ou le mépriser. Car c’est ainsi qu’il vient à nous aujourd’hui, n’est-ce pas, comme autrefois.

La liturgie a couplé cet évènement avec la lecture du grand hymne aux Philippiens, qui donne à contempler le trajet du Christ, né de Dieu, et se dépouillant de tout signe de grandeur, de toute aura, consentant à se recevoir de Dieu seul. Cette manière d’ être-au-monde-et-à-Dieu, cette posture fondamentale avec toutes ses exigences et ses conséquences jusqu’à la mort même, Dieu l’honorera dans l’acte de la résurrection et de l’élévation de son Fils. Car, comme l’a écrit une bibliste de chez nous, Dieu s’y retrouve ; Dieu retrouve dans le Christ ce qu’il est : une seigneurie  qui se présente comme une offrande. Alors, qui est effectivement maître… ? celui, celle, qui, à l’image presqu’insensée de Dieu ainsi dévoilé dans le Christ, va vers tout et tous, aime sans limite, sans retour à soi ni menace pour l’autre, sans rien posséder, ouvert à tout, à la vie à la mort.

Oui celui, celle… Car il s’agit de ne pas « sauter » les mots qui introduisent la célèbre hymne paulinienne: Ayez le comportement, ou plutôt ayez en vous la disposition intérieure, la manière d’être ou les sentiments (selon les traductions) qui étaient en Jésus-Christ. Ces « sentiments » on le sait, n’ont rien de sentimental. Quels étaient-ils, ceux du Christ entrant à Jérusalem ? Seule la foi peut entrer dans une autre perception de ce qui se passe. L’amour de Dieu, dont le Christ vit, et dans lequel il nous introduit, est une puissance de création et de recréation, un engagement, un combat, une passion. Et peut-être Jésus était-il habité par une prière semblable à celle de Etty Hillesum le jour de sa déportation à Auschwitz : Mon Dieu prenez-moi par la main, je vous suivrai bravement, sans beaucoup de résistance. Je ne me déroberai à aucun des orages qui fondront sur moi, je soutiendrai le choc avec le meilleur de mes forces.

Ayez en vous ce qui habitait le Christ ; Celui qui l’habitait. Pour aller au bout de ce qui vous est demandé. Ici, là, maintenant, quotidiennement ; quiconque est fidèle dans les petites choses le sera dans les grandes à venir. Ayez en vous la force de l’amour, même si ça fait mal. En ce dimanche de fête, ce n’est pas la souffrance ni les peurs que nous célébrons, c’est la puissance d’un Amour bouleversant, qui se donne sans rien retenir pour lui, pour notre salut.

Pâques est devant. La vie délivrée de ses étranglements. La joie.

Et nous en serons tous et toutes secoués.

Hosanna !

 Prédication, le 10 avril par le pasteur Dominique Guenin

 Prédication, le 10 avril par le pasteur Dominique Guenin

 

Grandchamp 10 avril 2025, D. Guenin, Morat

He 13,1-3+5-9a Jn 10,37-42

 

Pour l’homélie je ferai combinaison du début de la deuxième lecture, l’évangile pour aujourd’hui

« Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ! » Jn 10,37,

avec la fin de la première lecture, l’Epître, He 13,9a :

« Ne vous laissez pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. »

Chers sœurs et frères en Christ,

En ces temps d’un usage abusif de la vérité en dimensions mondiales qui va jusqu’à un système de relations du pouvoir basé sur le mensonge il est d’autant plus important d’être clair.

On a pris usage de parler de « faits alternatifs » comme s’il existait une autre vérité – eh bien il existe une autre vérité si on la veut. Et il s’agit bien d’un faire.

C’est un faire systématique qui abolit les œuvres de mon Père pour introduire une autre réalité, le pouvoir du monde ou de ce monde ou d’ici-bas comme il est exprimé dans les Évangiles à plusieurs reprises.

Pour nous Chrétiens dans la tradition judéo-chrétienne la consigne He 13,9a « Ne vous laissez pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. » est bien claire: Tout ce qui nous rend étrange aux œuvres de mon Père est du diable. Il faut bien comprendre le mot : dia-ballo en grec veut dire : je « lance à travers » je suis « perturbateur » ou « disruptif ».

Je tiens à une distinction théologiquement importante : Le diable dans le monde est un faire, pas une personne. N’acceptons jamais que le diable prenne personnalité, c’est une responsabilité spirituelle. Le diable est trompeur. Mais le trompeur n’est pas le diable.

Cependant dans ce monde (puisqu’on parle d’incarnation) le Christ est une personne, parce que c’est par Lui et avec Lui que per-sonne, qu’est fait la volonté de Dieu. Nous croyons en Christ, en sa Personne. Que notre faire, nos faits soyent l’écho de la Parole de Dieu !

« Je fais le diable » si je me lance à travers la volonté de Dieu. Le diable dans le monde est le faire, l’action de l’homme perverti, détourné de Dieu.

« Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ! » « Ne vous laissez pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. »

Ce donc qui agrandit l’étrangement vis-à-vis Dieu et son Christ est du diable, c’est un processus d’égarement.

Le contraire est un processus d’unification. Chers sœurs et frères en Christ, que l’amour fraternel demeure est ce que l’Épître aux Hébreux souhaite. Mon Père, notre Père qui est aux cieux nous unit.

Et si nous demandons avec les hébreux quels sont les œuvres de mon Père nous ne manquerons pas de réponses.

Mon Père a voulu la vie, il en est le Créateur. Et le Sauveur. Et il a voulu à plusieurs reprises que la vie l’emporte sur la mort. La Nouvelle vie ! Une Pâque après l’oppression en Égypte, une Résurrection suit à la Passion, ce sont les fameux « faits alternatifs » de mon Père, bien alternatifs aux œuvres du perturbateur.

Avec Dieu et tous les croyants juifs et chrétiens je veux donc décidément que vie soit. Ainsi-soit-il ! Je ne me laisse pas égarer par toutes sortes de doctrines étrangères. Je m’en tiens au Créateur en sa création, et non pas aux dominateurs destructifs avec leur haine, au Sauveur en son amour et non pas au perturbateur, au diable.

Si le monde ne croit pas en Jésus-Christ, nous croyons d‘autant plus. Car la nécessité d’un autre choix s’impose encore plus fort.

Avec vous, chers sœurs et frères, uni dans cet amour fraternel qui est dû au Père et au Fils et au Saint-Esprit, je tiens à la priorité de la vie sur la mort. « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ! »  

Amen.

Homélie du pasteur Pierre-Yves Brandt, le 16 mars 2025

Homélie du pasteur Pierre-Yves Brandt, le 16 mars 2025

Grandchamp, Dimanche 16 mars 2025 / 7h30

Lectures : Gn 35,1-15 / 2 Tim 1,8-10 / Lc 9,28-36

 

Mes sœurs, mes frères,

Ils étaient trois adolescents dans le bus, l’autre jour. Ils devaient avoir autour de quatorze ans. Le

premier dit au deuxième : « mais alors t’es orthodoxe ! T’avais dit que t’étais catholique. Mais t’es

quoi en fait ? ». Suite à quoi, le deuxième bredouille quelque chose d’incompréhensible. Les deux

autres essaient d’obtenir une réponse claire, mais celui qui était interpellé n’a manifestement pas eu

envie d’exposer son appartenance religieuse en public et l’on en est resté là.

« N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » dit l’apôtre dans sa Deuxième Lettre

à Timothée (2 Tm 1,8). Cette recommandation fait écho à ce que disait Jésus à ses disciples dans

l’Évangile selon Luc, juste avant le récit de la Transfiguration : « si quelqu’un a honte de moi et de

mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui quand il viendra dans sa gloire, et dans celle du

Père et des saints anges » (Lc 9,26).

Est-ce que l’adolescent qui a esquivé la demande de s’expliquer sur son appartenance religieuse avait

honte de rendre témoignage à son Seigneur ? Avait-il honte de Jésus ? Probablement pas. Mais il

devait sûrement ressentir une certaine honte à devoir dévoiler publiquement son appartenance

religieuse. Pourquoi ? Probablement parce qu’il ne savait pas ce qu’il risquait s’il s’affichait avec un

avis qui n’est pas celui de la tendance générale parmi ses camarades d’école. Ce n’est jamais facile

d’être différent dans un groupe. La honte, c’est le sentiment qui peut nous habiter quand on perçoit

la réprobation des autres, quand on se sent vulnérable et qu’on entrevoit la menace d’être exclu.

Quand Jésus parle, il sait très clairement les risques de persécution qui attendent ceux qui le suivent.

Quand l’apôtre écrit à Timothée, il sait bien les persécutions subies par les premiers chrétiens. Jésus

et l’apôtre savent aussi que tous ne seront pas prêts à affronter la persécution, que certains auront

honte et le renieront. Jésus entrevoit que tous ses disciples l’abandonneront au moment de son

arrestation. L’apôtre sait que même les premiers disciples ont renié le Seigneur. Il sait aussi que des

chrétiens ont renié Jésus non seulement avant la résurrection, mais aussi après.

Pourtant, l’apôtre comme Jésus n’hésitent pas à dire qu’il ne faudrait pas avoir honte. Comment

peuvent-ils être aussi exigeants ? Et comment Jésus peut-il dire qu’il aura honte de ceux qui auront

eu honte de lui ? N’est-il pas en train de rendre encore plus honteux ceux qui n’auraient pas le

courage de confesser leur foi lorsque cela peut être risqué ?

Jésus savait que certains allaient le renier et il les prévient. Espérait-il que certains auraient assez de

foi pour le suivre jusqu’au bout, au moment ultime ? Comment est-ce que Pierre et les autres

apôtres ont réentendu, après la résurrection, la parole de Jésus disant que si quelqu’un avait honte

de lui, le Fils de l’homme aurait honte quand il viendra dans sa gloire ? Ne leur était-il pas devenu

impossible de dire aux autres de ne pas avoir honte s’ils avaient un minimum de lucidité sur eux-

mêmes ? Dans un autre contexte où on lui demande de juger un cas d’adultère, Jésus avait invité

ceux qui n’avaient jamais péché à jeter la première pierre (Jn 8,3-11). Et ceux qui voulaient

condamner la femme qu’ils avaient amenée à Jésus s’en vont tous, à commencer par les plus âgés.

Dans ce cas, Jésus ne condamne pas. Alors pourquoi Jésus dit-il qu’il aura honte de ceux qui auront

honte de lui ? Lui qui s’est présenté comme celui qui ne condamne pas la femme qu’on lui présentait

1comme adultère, annonce-t-il ailleurs qu’il condamnera ceux qui lui auraient été infidèles ? Jésus se

contredirait-il ?

Je vous propose une autre lecture.

Lorsqu’il dit qu’il aura honte, Jésus évoque la venue du Fils de l’homme dans sa gloire, à la fin des

temps. Entre maintenant et la venue du Fils de l’homme dans sa gloire, il y a du temps pour un

cheminement. Et c’est par rapport à ce cheminement que cela a du sens de parler maintenant de

honte. Quand l’apôtre dit « N’aie pas honte », ce n’est pas pour rendre plus honteux. Au contraire.

En parlant maintenant de honte, on met en lumière ce qui est caché et qui fragilise. Quand je dis

« N’aie pas honte », c’est une manière de dire : il se pourrait que tu puisses te sentir honteux, oui

cela pourrait arriver. Ose le regarder pour ne pas en rester là. Il y a un chemin possible. Ne te

reproche pas un sentiment de honte que tu pourrais ressentir. « N’aie pas honte », cela ne veut pas

dire que ce sentiment est inadmissible. Cela veut plutôt dire : le fait que tu aies honte n’est pas une

fatalité ; que tu n’aies pas honte t’est possible. De même, Jésus dira à la femme qu’on lui avait

amenée pour la condamner pour adultère : « je ne te condamne pas : va, et désormais ne pèche

plus » (Jn 8,11). Cela ne veut pas dire « Désormais il t’est interdit de pécher », mais « Désormais, il

t’est possible de ne pas pécher ». C’est une bonne nouvelle.

C’est pourquoi Jésus, juste après avoir dit « si quelqu’un a honte de moi et de mes paroles, le Fils de

l’homme aura honte de lui quand il viendra dans sa gloire, et dans celle du Père et des saints anges »

(Lc 9,26), poursuit en disant : « Vraiment, je vous le déclare, parmi ceux qui sont ici, certains ne

mourront pas avant de voir le Règne de Dieu » (Lc 9,27). Telle est la bonne nouvelle. Et selon

l’évangéliste Luc, cette parole s’accomplit pas plus que huit jours plus tard, lorsque Jésus emmène

avec lui Pierre, Jean et Jacques et monte sur la montagne pour prier. Là, sur la montagne, s’accomplit

ce que chantait le psalmiste : « Qui regarde vers lui est rayonnant de joie, et son visage n’aura pas à

rougir de honte » (Ps 34,6). C’est cela que raconte le récit de la transfiguration par l’évangéliste Luc.

Jésus est monté avec ses disciples pour prier. Or, prier, selon le psalmiste, c’est regarder vers le

Seigneur. Sur la montagne, au moment où Jésus est en prière, c’est-à-dire au moment où il regarde

vers son Père du ciel, il est rayonnant. Et selon le psalmiste, ce rayonnement est l’indice que l’on est

sans honte. C’est le seul moyen de résister à la honte. Pour résister au regard réprobateur des autres

et au risque d’être exclu, il faut pouvoir puiser la force dans une source fiable, la relation au Seigneur.

C’est ce que le jeune adolescent rencontré dans le bus ne trouve pas lorsqu’il est sommé de décliner

son appartenance religieuse. Mais l’histoire n’est pas finie pour lui. La honte qu’il a probablement

ressentie vient le questionner sur l’importance qu’il accorde à son appartenance religieuse et, peut-

être, à Dieu dans sa vie. Peut-être qu’elle l’amènera à un cheminement qui traverse et dépasse la

honte. Ce que lui promet le récit de la transfiguration, c’est qu’il peut trouver cette force s’il regarde

vers notre Père du ciel. C’est ce qu’indique aussi l’apôtre à Timothée lorsqu’il lui écrit : « Mais souffre

avec moi pour l’Évangile, comptant sur la puissance de Dieu, qui nous a sauvés et appelés par un

saint appel, non en vertu de nos œuvres, mais en vertu de son propre dessein et de sa grâce. Cette

grâce, qui nous avait été donnée avant les temps éternels dans le Christ Jésus, a été manifestée

maintenant par l’apparition de notre Sauveur le Christ Jésus. C’est lui qui a détruit la mort et fait

briller la vie et l’immortalité par l’Évangile (2 Tm 1,8-10) ».

Le fondement de notre espérance se trouve dans la victoire de Jésus sur la mort que nous nous

préparons à célébrer à Pâques. La confiance qu’on peut aller au-delà de toute honte, nous la

trouvons dans la transfiguration. C’est dans la prière que Jésus a puisé sa force pour traverser sa

passion et affronter la mort ignoble sans honte. Montons sur la montagne pour prier avec lui.

Homélie du pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 13 mars 2025

Homélie du pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 13 mars 2025

 

PREDICATION DE MATTHIEU 19, 1-12 ET JACQUES 3 POUR L’EUCHARISTIE

Sœurs et frères,

L’Evangile de ce soir, comme l’épître qui l’accompagne, contiennent une dimension de radicalité. Radicalité dans deux domaines de la vie : comment se conduire lorsque l’on prend un conjoint, et comment se conduire lorsque l’on prend la parole. Deux domaines sensibles, où se jouent le rapport à l’autre, tel que voulu par Dieu, pour le meilleur comme pour le pire.  

La vie prévue pour les couples dans le projet créateur de Dieu devait et devrait être source de bénédiction, – une bénédiction incarnée dans des liens à la fois corporels et spirituels, davantage que dans des liens juridiques et moraux. Seulement voilà. Cette belle et bonne vie conjugale telle que prévue par le Créateur comme une source de bénédiction, cette vie tourne hélas parfois, souvent, trop souvent en malheur. A noter que c’est la première fois que je commente cet Evangile en dehors des célébrations de mariage, où il est suggéré aux couples.  

Le miroir que nous tend l’Evangile est celui-ci : comment ce lieu de vie si prometteur qu’est le couple, – ici le mariage, – peut-il tourner en un véritable désert, quand ce n’est pas en un véritable enfer, portant, à la fois ou successivement, de bons et de mauvais fruits. Et parmi ces fruits amers, la mort de l’amour, la mort de cette entité que pouvait être le couple, cette entité qu’avait été peut-être le couple : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair. » Ambivalence d’une création voulue différente par Dieu au commencement. Et comment se conformer à ce commencement, quand il faut tout recommencer sur un échec ? 

Le miroir radical que nous tend l’épître est celui-ci : comment cette capacité humaine si prometteuse qu’est la parole, ici la langue, peut-elle allumer un incendie de forêt aux conséquences désastreuses non seulement chez la sœur ou le frère en religion, le frère ou la sœur en humanité, mais encore sur un plan cosmique ?!

Comment une seule et même source, la bouche, et la langue qu’elle contient sans la maîtriser, saurait-elle produire du doux et de l’amer, prononcer, donc provoquer, de la bénédiction et de la malédiction ? Ambivalence encore.

La parole peut-être au service de la destruction, autant sinon davantage, que de la construction. Et ici encore, comme dans l’Evangile, même si c’est différemment, la toile de fond est celle d’un pessimisme anthropologique très marqué. A l’écoute d l’Evangile, je pourrais me dire : ne te marie pas.

A l’écoute de l’épître de Jacques, je pourrais me dire : tais-toi, car tôt ou tard ta parole va blesser l’autre, ne serait-ce que par insinuation. Mais ce n’est pas ce que demande l’épître. L’exhortation de Jacques ne débouche pas sur un appel à l’amputation de la langue, mais sur son possible contrôle.

Pourvu que ce soit au service d’une sagesse d’en haut, non animale, non polluée de rivalités et de jalousies, mais animée de pureté, de paix, de douceur, de conciliation, de pitié, de justice, et surtout, surtout, une sagesse qui se vérifie dans une conduite. Et cette conduite a pour noms, moins piégés que les œuvres : un comportement, une attitude, une posture.

Le passage de l’épître de Jacques, dans sa radicalité, ouvre un passage lumineux à une vie sanctifiée, j’ose le mot. A la suite de Simone Pacot, et avec elle, je puis affirmer ceci : « La Parole pousse vers la vie, même si elle est exigeante et vigoureuse, (même) si elle demande de quitter ce à quoi nous nous accrochons et qui fait mal. Elle relie, elle ne divise pas. Si elle oriente vers certaines séparations nécessaires, c’est pour un amour plus juste, mieux situé. Elle éclaire nos contradictions. »

Et qu’en est-il du passage de l’Evangile selon saint Matthieu ? En est-il aussi ainsi ? Est-il capable de sanctification, davantage que de sanctions ? Oui, je le crois. Pour autant que nous lisions, pour autant que nous écoutions et intégrions cette parole du Christ, non pas, non plus, non point d’abord comme des paroles de codification, mais comme des paroles d’édification.

Car enfin, que n’a-t-on pas codifié dans nos sociétés civiles, longtemps influencées par l’enseignement des Eglises. A commencer par cette société israélite du temps du Deutéronome, suivie de cette société juive ou judéenne du temps du ministère terrestre de Jésus, pour continuer sur des siècles, deux millénaires d’histoire de l’Eglise codifiant, entre pastorale et discipline, la vie conjugale des fidèles.

A noter que du Deutéronome attribué à Moïse par les Pharisiens aux plus récents commentaires que j’ai pu lire de cet Evangile, ce sont des hommes, encore des hommes, et toujours des hommes qui débattent et commentent une affaire dont on ne connaît pas beaucoup l’avis de l’autre moitié de l’humanité concernée, à savoir les femmes. En revanche, la comparaison des Evangiles marque déjà une évolution entre une position radicale excluant absolument le divorce et l’intégration d’un possibilité d’y recourir. Dans l’Evangile de Marc, le plus ancien, c’est un non absolu.

L’enseignement du Christ chez Matthieu introduit une exception dont Marc ne faisait aucun cas : en cas d’union illégale, c’est envisageable. Quoi d’étonnant alors que les Eglises soient en travail de réinterprétation constant, exigeant pour elles, entre une radicalité salutaire, telle que décrite par une Simone Pacot, et une exclusion mortifère, telle que vécue et subie par tant de couples, et en particulier par tant de femmes, dans certaines Eglises. Et l’on sait toute la palette qui peut exister entre les théologies du mariage qu’elles, les Eglises, professent et qu’elles appliquent, lorsqu’elles en professent et en appliquent une…

La radicalité de l’enseignement de Jésus est étonnante, placée qu’elle est, dans notre Evangile, entre un enseignement sur le pardon jusqu’à 70 fois 7 fois et une bénédiction de ces exclus qui ont pour nom les enfants. Je ne peux pas ne pas lire, dans ce qu’il a voulu dire aux Pharisiens, un appel à protéger les femmes, plutôt qu’à les accabler.

Dans les lignes et entre les lignes d’une polémique rabbinique de l’époque, entre libéraux et conservateurs, je lis ceci dans la controverse de Jésus : cessez de marchander la répudiation de vos épouses. Et si vous vous appuyez sur la Loi de Moïse, ce n’est qu’en raison de votre dureté. Vos femmes sont, tout comme vous, créées à l’image et ressemblance de Dieu. Lisez donc le premier chapitre de la Genèse. C’est dans un « ensemble », à égalité de dignité et de divinité, que vous étiez, au commencement, appelés à former cette entité unique et irréductible qui a pour nom le couple. Irréductible, oui, avant d’avoir été déclaré par l’Eglise d’indissoluble.

Pour moi, sœurs et frères, les mots « au commencement » sont de la plus grande importance pour commenter cette parole du Christ. Ils ont tout leur poids. Soit il faut les entendre, avec toute la tradition, comme un nouvel impératif impliquant l’indissolubilité absolue du mariage. Soit, et c’est ma lecture de pasteur pourtant marié et toujours heureux de l’être, un commencement que l’on ne saurait imposer à autrui comme un absolu dans une vie où la conjugalité est gravement blessée.

Après ce commencement de Genèse 1, certes toujours prometteur, n’y a-t-il pas eu cet autre commencement tissé de malentendus et de ruptures depuis le 3ème chapitre de la Genèse ? Et l’on pourrait relire ici Genèse 3 à la lumière de Jacques 3. Comment la parole s’est-elle donc infiltrée comme puissance de doute et de destruction. Mais on n’a pas le temps ce soir…

Les disciples de Jésus ne s’y sont pas trompés, lorsqu’ils affirment à leur Maître, en dehors des micros des Pharisiens, que, s’il en est ainsi, eh bien l’homme a tout avantage à ne pas se marier. A quoi j’ajoute, ce soir, au nom de la moitié de l’Eglise et de l’humanité : et la femme non plus. A chacun et à chacun son chemin, et même davantage, sa vocation.

Il est urgent, sœurs et frères, urgent d’entendre encore une fois, avec le Christ, le projet de Dieu pour l’homme et pour la femme, que ce soit ensemble, ou séparément, et même sous la forme d’autres conjugalités. Ce projet est fondé dans une volonté divine créatrice initiale, non légaliste, mais ce projet s’inscrit dans une création blessée, où les blessés ne sont pas condamnés, mais toujours appelés à un recommencement.

Au nom de ce qui vient et que le Christ appelle ici le Royaume des cieux. Un Royaume capable de nouveauté, ici et maintenant, et pas seulement pour ceux que l’Evangile nomme les eunuques par nature, par accident ou par choix. Pour chacune et pour chacun. Quel que soit son état en ce monde. Dans le sens de ce qu’écrivait Jean Cocteau : « Le poète se souvient de l’avenir ». Le poète se souvient … de l’à venir.

Seigneur Jésus, nous venons à toi à cette Eucharistie et nous souvenons avec toi de l’avenir que tu ne cesses de nous donner, par-delà nos fidélités et nos ruptures d’alliance passées ou présentes, appelés que nous sommes à être sanctifiés aujourd’hui, vers un demain.

Amen