
Homélie de la pasteure Nicole Rochat, le 21 janvier 2024
Homélie à partir de Es 62, 1-5 / 1 Co 12, 4-11 / Jn 2, 1-12
Chères sœurs, chers frères,
Les textes de ce dimanche nous parlent encore de la Bonne Nouvelle de Noël : Dieu se rend présent et se manifeste dans le concret de nos vies. Il vient nous rejoindre dans nos réalités les plus humbles. A Bethléem, la réalité est celle d’une pauvre étable. L’enfant qui naît dans cette étable est un pauvre lui aussi. Il est de condition modeste. Et c’est dans cette condition que Dieu choisit d’accomplir sa présence au cœur de l’humanité. Après sa naissance, Jésus est présenté au Temple. Là encore, il partage la condition des gens de son peuple. Ses parents s’acquittent de ce que prévoit la loi de Moïse. Ils le font en suivant les prescriptions qui concernent les plus pauvres, ceux qui ne peuvent apporter un agneau : ses parents apportent deux petits pigeons (Lv 12,8 ; Lc 2,24). Puis il est menacé de mort par le massacre organisé par Hérode. Avec ses parents, il doit se réfugier en Égypte. Il fait l’expérience de l’exclusion, partage la condition des migrants (Mt 2,13-18).
Dans tous ces récits, nous voyons comment Dieu vient à nous en Jésus. Non pas de manière grandiose, avec fastes et honneurs, mais dans l’humilité. Il est parmi ceux qui occupent les derniers rangs de la société. Mais par sa seule présence à la périphérie, c’est le centre du monde qui se déplace. Il n’est ni à Rome ni à Jérusalem, mais dans une pauvre étable ou dans un lieu ignoré d’Égypte, ou même sur les chemins. Et, dès lors, c’est le monde entier qui est sauvé, car plus aucun lieu n’est délaissé, ignoré. Dans le lieu le plus insignifiant, Dieu peut révéler sa présence et en faire sa demeure.
C’est aussi la bonne nouvelle rapportée par le récit du miracle de Cana. « Ils n’ont pas de vin » dit Marie à Jésus (Jn 2,3). Qu’est-ce que sera la fête s’il n’y a plus rien à boire ? Jésus répond à cette carence. La présence de Dieu se manifestera discrètement au travers d’un signe qui se déroule dans les coulisses. Qui a été au courant ? Bien sûr, pas les mariés, aucun des convives, et même pas le maître de cérémonie qui s’étonne du bon vin qu’on lui fait goûter pour savoir s’il convient. Ce maître du repas s’étonne qu’on serve un meilleur vin que celui qu’on a bu jusque-là, mais rien ne lui est dit de sa provenance. Ceux qui sont au courant, ce sont uniquement Jésus, sa mère et les serviteurs. Or, ce qui est intéressant, c’est la manière dont Jésus s’y prend. Il ne fait pas providentiellement arriver sur place une caravane de marchands qui apporteraient du vin. Non. Il fait remplir les jarres d’eau. L’eau, c’est le breuvage le plus élémentaire pour satisfaire la soif. Et c’est de l’eau qu’il commande aux serviteurs de servir. Les serviteurs obéissent et puisent de l’eau. Et voici que lorsque le maître du repas goûte le breuvage qu’on lui apporte, il déguste un meilleur vin que le bon vin qui avait été servi. Le vin, c’est la boisson de la fête, de la joie partagée. L’eau, c’est la boisson de base. Quand nous buvons de l’eau, elle le goût de ce qui est le plus basique dans notre alimentation. Mais lorsque nous buvons l’eau que Dieu nous donne, elle se met à avoir le goût du vin le plus succulent. Quand Dieu habite nos lieux et nos habitudes les plus courantes, ceux-ci se transforment en lieux et moyens de communion avec Dieu.
C’est pourquoi le premier signe rapporté par l’évangéliste Jean se déroule lors d’un mariage, fête de la communion par excellence. Ce signe veut nous faire comprendre qu’il n’est plus temps de considérer Dieu comme un étranger, comme un être lointain, distant. En fait, Dieu n’a jamais été désintéressé par l’humanité. Mais peu nombreux étaient ceux qui le savaient et en vivaient. A Noël, Dieu sort d’un certain silence. Il choisit de se montrer à découvert. Mais pas où on l’attend en priorité : à Bethléem plutôt que dans le Temple de Jérusalem, venant de Nazareth dans la famille d’un charpentier plutôt qu’à la cour du roi. Et si Jésus opère un signe lors d’une fête, ce n’est pas lui qui est le centre de la fête mais un couple de jeunes mariés. Autrement dit, en Jésus Dieu choisit de se montrer à découvert, mais encore faut-il avoir les yeux ouverts pour le reconnaître parmi les gens qui voyagent sur les chemins de Palestine ou au milieu des convives invités à la noce.
C’est ainsi qu’il veut faire comprendre que les hiérarchies humaines ne sont pas celles qui priment lorsqu’il vient à notre rencontre. Il ne fait pas alliance avec le peuple en devenant l’ami de son roi et de ses chefs religieux. Il fait alliance avec le peuple en se rendant proche de ceux qui lui sont donnés à rencontrer. Comme il l’enseignera à ses disciples : ils sont invités à demeurer là où on les accueille (Lc 10,5-11). C’est ainsi que ceux qui sont touché par sa grâce ne sont pas d’abord les gens importants, mais des gens qui sont en attentes, en manque et en éveil, tels Syméon et Anne, mais aussi des lépreux, des sourds et des aveugles, des gens en deuil. Alors s’accomplit la prophétie d’Esaïe : « on ne te dira plus : ‘l’Abandonnée’, on ne dira plus à ta terre : ‘La Désolée’, mais on t’appellera ‘Celle en qui je prends plaisir’ et ta terre ‘l’Épousée’ » (Es 62,4). C’est ainsi que Dieu fait alliance avec l’humanité. Tel est le sens profond des noces durant lesquelles Jésus opère le signe du changement de l’eau en vin. Elles indiquent que Dieu ne laisse plus l’humanité seule dans ses divagations, son repli sur soi ou sa démesure. Il en fait l’objet de son amour électif.
Il n’y a rien d’uniformisant dans cet élan. Car quand Dieu s’approche de tous, il s’approche de chacun en particulier. Toutes les rencontres de Jésus sont éminemment personnelles, s’ajustant à chacun, chacune dans sa spécificité. Zachée n’est pas Nicodème, Bartimée n’est pas la Samaritaine venue puiser de l’eau à midi (Jn 4). Lors du signe accompli à Cana, Jésus se rend même présent dans la vie d’un tout jeune couple sans même avoir d’interaction directe avec eux. Plus tard, parlant de la diversité de la manifestation de Dieu dans la vie communautaire, Paul dira que la diversité des dons accordés aux uns et aux autres le sont dans l’unique et même Esprit : « c’est l’unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut. » (1 Co 12,11).
Un seul Seigneur Jésus pour une diversité de rencontres avec des personnes de toutes conditions. Un seul Esprit-Saint pour une diversité de dons accordés aux membres de la communauté : la vie de Dieu vient transformer notre terre. Elle rejoint chacun, chacune dans sa condition particulière. Mais en même temps, elle construit la communion entre tous, car c’est le même Seigneur qui crée un lien vivant avec chacun, chacune. Cette vie se manifeste à Cana par le vin donné à l’intention de tous les convives. Tous auront part à la même joie, sont convives de la même fête. Mais chacun, chacune à sa manière.
Telle est la Bonne Nouvelle de Noël : personne n’est délaissé, oublié, abandonné. Puis-je me rappeler de cela : moi non plus, je ne suis pas oublié. En douterais-je ? A Cana, Jésus a fait remplir 6 jarres pouvant contenir entre 80 et 120 litres. Au total, cela faisait donc environ 600 litres. C’était assurément bien plus que ce qui était nécessaire. Il y en a eu pour tous, et bien au-delà. Quand Dieu est là, personne ne manque de sa présence. Accueillons-le donc avec joie, puisqu’il se laisse trouver.
Chères sœurs, frères et sœurs en Christ, chers amis,
C’est incroyable car la dernière fois que je suis venu célébrer l’eucharistie et prêcher dans ce magnifique lieu, c’était à la Dormition, le 15 août… Et j’avais fini ma prédication (si vous ne vous en souvenez pas, ce n’est pas grave) sur la fameuse vision de la vierge qui enfante au chapitre 12 de l’Apocalypse.
Je vous avais alors brièvement résumé ce passage à peu près avec ces mots : Une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, couronnée de douze étoiles, enfante, elle met au monde un enfant, un fils. Et voilà qu’au sortir de son ventre le dragon se poste, avec sa queue qui balaye le tiers des étoiles, comme on balaye l’espérance, pour dévorer l’enfant dès sa naissance…
Et voilà, que je me trouve à nouveau devant vous précisément avec un texte de l’évangile qui fait référence à ce passage de l’Apocalypse : le dragon prêt à dévorer l’enfant, semble en effet être une référence évidente à Hérode, prouvant que les puissants de ce monde veulent la mort de l’enfant dès sa sortie du ventre… Bref, c’est une incroyable coïncidence… mais ce n’en est peut-être pas une ? C’est peut-être une providence… Une providence qui va initier le thème de cette prédication.
Vous voyez, tout en cette vie (et peut-être même dans l’entier de la Création) n’est que providence. Providence… Voilà un terme que l’on n’entend plus guère, malheureusement. Il a disparu de la plupart des bouches ! Providence… C’est bien autre chose que coïncidence, ce n’est pas du hasard. Ce n’est pas la même chose non plus que le destin ou même la destinée… Et c’est bien autre chose aussi que de la manipulation divine, tel qu’un grand marionnettiste, fût-il tout puissant, la ferait sur nos pauvres vies. Nous ne sommes pas des pions. Non, la providence, c’est autre chose : c’est la conduite de l’Histoire (la Grande comme chacune de nos petites) vers la gloire… vers ce que nous sommes appelés à être… vers ce que Dieu veut pour nous, c’est-à-dire l’accomplissement de sa volonté au-delà de nos volontés, à nous.
Chaque jour, nous vivons de petites providences… Et bien sûr, à l’échelle du monde ou de la Création, une grande providence gouverne.
Mais, même si Dieu conduit, la providence est un jeu subtil entre lui et chacun de nous, un jeu qui implique sa liberté et ma liberté, son Esprit et mon esprit. C’est une danse subtile avec Dieu, dans son histoire et dans mon histoire…
Paul l’exprime dans l’épître lue ce matin : L’Esprit de Dieu atteste lui-même à notre esprit (voyez la danse) que nous sommes enfants de Dieu.
Dieu conduit donc l’Histoire. Il conduit l’Histoire du salut. Pour cela, il a besoin d’un peuple qui soit un peuple de témoins, qui proclament justement cette providence de Dieu, l’action de Dieu dans ce monde. (C’est ce que nous avons lu dans la prophétie d’Esaïe 43). « Mes témoins à moi, c’est mon peuple ! Dis le Seigneur. Vous êtes mon serviteur, celui que j’ai choisi… (et plus loin). Le Seigneur, c’est moi et moi seul. A part moi, pas de sauveur. C’est moi qui apporte le salut. » Dieu donne donc le salut, les témoins l’annoncent… voilà comment la providence gouverne. Cette danse.
Vous avez sans doute déjà eu l’impression d’être conduits ou conduites, que les choses se mettaient en place indépendamment de vous… Même au cœur des épreuves et sans doute même surtout dans les épreuves, cette conduite s’est fait sentir… parfois on le découvre après coup. Et voilà que nous prononçons alors la fameuse phrase de Jacob : Pour sûr, le Seigneur est-là mais je ne le savais pas.
La danse de la providence que chaque être humain fait est celle de relire son histoire à la lumière constante de la Bonne Nouvelle pour y chercher l’action de Dieu ; tu étais là, tu m’as soutenu, tu m’as accompagné, porté, consolé, encouragé, protégé et tu as donné du sens à mon existence. Cette lecture providentielle du passé devient alors projection vers l’avenir : tu seras-là, je le sais, tu m’accompagneras, tu me consoleras, tu veilleras sur moi, tu me glorifieras… Et cela devient, la foi !
Jésus fut emmené en Egypte, Joseph ayant été averti providentiellement par un ange, pour que s’accomplissent les prophéties… Dans sa providence, donc… Dieu avait prévu une fuite en Egypte, lieu qui pour tout israélite signifie bien sûr, l’esclavage. Vous voyez comme la providence est parfaite.
C’est dans le pays de l’esclavage que Jésus va trouver son refuge et donc réhabiliter cette terre devenue maudite. Il va y grandir, y être en sécurité, y recevoir l’enseignement de base, celui de ses parents… Il grandit et prospère, à l’abri… jusqu’à ce qu’il soit prêt à revenir pour accomplir ce que Dieu prévoit pour lui.
Et c’est le propre de toute fuite que de différer le moment d’un destin (j’utilise ce mot pour signifier quelque chose qui va nécessairement devoir arriver). La mort ne devait pas être pour tout de suite, pas de la main d’Hérode, car il fallait absolument auparavant que Jésus, devenu adulte, puisse être un témoin du Père, Le Témoin, La figure de tous les témoins. (Que nous sommes nous aussi appelés à être.)
Toutes nos fuites n’ont que ce but, différer l’accomplissement de ce que nous devons accomplir… pour prendre de la force, faire le plein de courage, le plein d’Esprit-Saint. Toutes nos fuites servent à nous mettre en sécurité. Mais toutes nos fuites se passent dans le pays de l’esclavage. Car en fuyant, la liberté se perd. La liberté qui nous fait être pleinement, qui nous donne le courage d’être (comme le disait Tillich) est l’inverse de la fuite… Aucune fuite ne peut être définitive, il faudra toujours d’une façon où d’une autre sortir du pays de l’esclavage et assumer notre destin… et accomplir ce que demande la providence. Sortir de l’ombre et affronter sa destinée… (c’est aussi ce que Jésus va faire.)
D’ailleurs, mes amis, si l’on devait résumer en une seule phrase l’œuvre que Dieu, son père, a demandé à son fils d’accomplir, que proclamerions-nous ? Eh bien, nous pourrions dire que Dieu a envoyé son Fils unique pour libérer le monde de tous ses esclavages, tous ! jusqu’au dernier, toutes ses fuites en avant comme en arrière, jusqu’à l’ultime esclavage à savoir la mort implacable.
Il fallait pour cela 3 choses qui n’auraient pas été accomplies si Jésus était mort de la main d’Hérode : Une promesse, la filiation (Jésus est fils de Dieu, héritier du Père et nous sommes frères et sœurs du Christ, co-héritiers du Père). 2. Un enseignement (l’Evangile) : qui proclame la fin de la loi et le début d’une espérance, le Royaume, qui est déjà là, et qui se base sur l’amour de Dieu, du prochain et de soi, sur une compassion universelle qui fonde un monde nouveau. Et 3. Il fallait une victoire, une gloire nouvelle, une résurrection qui, face au dernier combat, proclame que Dieu peut vaincre toutes choses de la création, donc même la mort est vaincue.
Voilà… Comment cette fuite nécessaire sera providentielle à l’accomplissement de la promesse des prophètes.
Et toute personne qui vit de cette providence, qui en est consciente et l’a éprouvée dans sa vie, sait que Dieu est là et qu’il veille et que sans lui, il n’y a point de salut. Il sait se sentir appartenir au peuple de Dieu qui proclame et témoigne. Il sait que son seul travail est finalement d’œuvrer à l’amour, au pardon, à la compassion, à la réconciliation, avec Dieu, avec son prochain, avec lui-même. Il sait que c’est finalement cet unique témoignage qui donne du sens à son existence et fait advenir, petit à petit, le règne de Dieu, ici-même.
Amen
Homélie sur 1 Jn 5,3-12a et Jn 3,16-21
Mes très chères sœurs et frères en Christ,
Une année a pris fin – Je vous souhaite une bonne
nouvelle année benie !
Une année a pris fin, et qu’est-ce qu’elle a eue de la misère au monde entier, cette année. Une année a pris fin, mais ce ne’est pas fini. Qu’apportera la nouvelle ?
Le monde, dans les deux lectures, est un mot clef.
Nous entendons monde les yeux ouverts aux nouvelles de nos jours. Et c’est comme ça qu’il faut écouter la bonne nouvelle, la nouvelle du Christ.
Je cite l’Epitre : 4 puisque tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Et la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi. Et 6 C’est LUI qui est venu par l’eau et par le sang, Jésus Christ.
J’ajoute de l’Evangile : 17 Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
Le Christ est comme une clef – plus qu’un mot de clef, il nous ouvre une porte, un autre accès. Un accès à Dieu. Une autre vue sur le monde. Mais cette autre vue, cette autre perspective, cette autre nouvelle a à faire avec nos nouvelles, les mauvaises nouvelles de tous les jours. Le Nouveau veut transformer ce qui doit prendre fin.
Le monde, nous sommes en ces temps plus sensibles
par toutes ces nouvelles, qui ne sont pas des vraies des bonnes nouvelles, puisque c’est tout le temps comme ça, il y a trop longtemps. Le monde avec toutes ces guerres, problèmes de pollution, réchauffement climatique a une tendance négative, finale, menant à la fin, à la mort. Ce n’est pas seulement d’une actualité terrible, c’est plus profond.
Comme disait l’écrivain Franz Kafka : « Das Leben ist ein Prozess mit tödlichem Ausgang».
Alors comme si c’était une réponse de l’Evangile, et c’en est une, pas seulement à Kafka, mais au monde entier : 19 Le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
J’ai toujours pensé et jamais compris que c’était un choix libre, comment peut-on préférer l’obscurité ? Pourquoi les gens donnent-ils préférence à des œuvres mauvaises. Il ne faut pas généraliser, je sais, faut pas dire « les gens » préfèrent l’obscurité, il y en a d’autres, heureusement… Mais peut-être qu’effectivement c’est une tendance générale. Parce que c’est une tendance du monde, une tendance vers la mort, non par libre choix mais parce que la mort s’impose, partout. L’invitation aux œuvres mauvaises est omniprésente et s’impose, non tout premièrement par un manque de discipline, mais par cette tendance du monde vers la mort. Guerre et contre-guerre suit la logique de la mort. Abus du pouvoir, oppression des plus faibles, ravage des biens naturels jusqu’à une terre brûlée suit la logique de la mort – et c’est comme l’autre côte de la même monnaie : D’un côté le faux vainqueur, de l’autre côté la peur, la détresse. Pourquoi ai-je dit faux vainqueur ? Parce que la mort dans cette logique de la mort ne s’arrêtera pas chez l’autre. Cette tendance générale vers la mort n’a comme vainqueur que la mort qui s’impose partout. C’est pourquoi que cette préférence de l’obscurité à la lumière n’est pas un libre choix mais un tourbillon à un seul issu : la mort.
Qu’a à faire la foi dans tout cela ? – Tout !
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Et, l’acte du début, la création, n’est pas la création de la mort, mais la création de la vie ! J’entends – et c’est effectivement un acte de foi – une
priorité de la vie ! Et là en linguistique dans ce cas le français est beaucoup mieux que l’allemand : Quand je dis oui, en principe « j’accuse réception ». Oui en principe c’est « bien-entendu ». En allemand ce serait Jawohl, mais on omet le wohl, dommage. « Bien-entendu » ne va pas de soi. Il faut un consentement actif.
Alors si je dis oui à que Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui, il faut que mon consentement soit actif. Si je dis oui à la priorité de la vie, il faut que mon consentement soit actif. Le témoinage plus grand de Dieu (1 Jn 5,9) par Celui qui est venu par l’eau et par le sang (1 Jn 5,6) demande, attend mon oui. Mon oui au baptême qui est un vrai commencement par mon consentement actif, mon oui à que Jésus, le Christ, sur la Croix ait cassé la dictature de la mort en la surmontant vers la lumière est un témoignage qui surmonte la tendance du monde à l’obscurité, l’omniprésence de la mort.
Nous préférons activement la vie, la vie éternelle !
Nous ne sommes pas des ambassadeurs de la fin, de la mort, de l’obscurité inévitable. Notre témoignage part d’autres priorités. De la priorité de Dieu !
Et, que ceci soit dit encore pour la fin : Il nous faudra toujours – même s’il y aurait beaucoup de raisons pour le contraire – faire attention de ne pas juger le monde. Car le monde, même celui qui a fait un mauvais choix, même par méchanceté, est un monde qui est basé sur la création, sur la priorité de la vie, soumis – sans foi – sous la peur de la mort, et non seulement sous la peur de la mort, mais sous une peur encore beaucoup plus profonde.
Il y a pire que la peur de la mort : C’est la peur profonde du monde de périr (Jn 3,16).
En Ukraine,
en Russie,
en Israel,
au Gaza
est la peur de périr.
Le monde est un monde en peures.
Aussi chez nous, dans les craintes de beaucoup de gens de ne plus pouvoir payer les exigences de la vie.
La peur de périr à son règne clandestin aussi dans les richesses aveugles, le matérialisme impie de notre pays, qui, au fond, est une peur cachée que peut-être rien ne reste, rien de nous, rien du tout. C’est un râpage final selon la logique de la mort : Volons aujourd’hui vite tout ce qui saura perdu demain !
Nous ne témoignons pas de la fin, mais du commencement. Nous témoignons du créateur qui à donné priorité à la vie : Que la vie soit, et la vie fut !
Nous témoignos de celui qui sur la croix a brisé la dictature de la mort pour une ouverture à la vie en lumière.
Nous témoignons aujourd’hui à nouveau de la bonne nouvelle :
Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
Et nous ne temoignons pas de la haine du monde quoi qu’il soit coupable, mais de sa chance : Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
Amen – ainsi-soit-il !
Esaïe 35, 1 à 10, Actes 7, 55 à 60 et Jean 1, 9 à 13 – Pasteur J.-B. Lipp
Sœurs et frères,
Hier, nous fêtions un peu partout Noël, dans les paroisses et dans les familles. Aujourd’hui, nous sommes quelques-uns seulement à fêter, avec vous, et quelques autres communautés, la Saint- Etienne. Calendrier liturgique oblige. Le 26 décembre est devenu, dans l’Eglise, le jour de la commémoration du premier martyr chrétien, appelé pour cette raison protomartyr. Je me garderai bien de contester le bien-fondé de ce passage, à vrai dire quelque peu abrupt, du jour au lendemain, entre la nativité de notre Seigneur et la mort de son premier témoin. Je nous propose plutôt de nous laisser entraîner par les possibles mises en tension et mise en relation de ces deux célébrations.
Après tout, comment être étonné de cette proximité des extrémités, lorsque l’on sait que la naissance du Christ Jésus se passe d’entrée de jeu dans un univers certes d’accueil, mais principalement et principiellement, dans un univers de refus de la Lumière qu’il incarne pour le monde. L’Evangéliste le plus sévère, mais le plus lucide aussi, sur le bilan globalement négatif de la réception du Christ Jésus est celui de Jean, dont nous avons écouté un extrait du prologue. Le Verbe, en venant dans le monde, illumine tout être humain. Cependant, les siens ne l’ont pas accueilli. Seuls celles et ceux qui l’ont reçu sont devenus enfants de Dieu. A Noël, il s’agit ni plus ni moins que de naître, ou de ne pas naître, avec le Christ, à ma vocation de fils ou de fille de Dieu. Ainsi Jean, l’Evangéliste.
Chez Matthieu, cette alternative entre l’accueil et le refus se raconte autour de la figure des mages et de la figure d’Hérode. Comme l’a si bien relevé la théologienne Marion Muller-Colard dans sa grande interview pour le Temps : d’un côté, il y a Hérode, qui se sent menacé au point d’ordonner le massacre de tous les garçons de moins de deux ans, de l’autre, les Rois mages. Réagir en Rois mages, revient à dire, pour cette théologienne contemporaine : « Je m’incline devant la vie. » Est-ce que je suis au service de ma vie, ou au service de la vie ? Telle est la question.
C’est donc sous le signe du service que nous pouvons passer de la fête de Noël à celle de la Saint- Etienne : au service de cette vie incarnée par le Christ, né, mort et ressuscité pour que nous aussi, nous passions, avec lui, de la mort à la vie. Lui, au notre service de notre humanité : c’est ce que nous fêtions hier. Nous, au service de sa divinité : c’est ce que nous fêtons aujourd’hui. Le service n’est-il pas, au fond, le maître mot de la vie d’Etienne à la suite du maître Jésus ? Certainement, puisque le livre des Actes, au chapitre 6, nous fait connaître Etienne comme premier de la liste des sept ministres affectés au service des tables.
A ce stade, qui est celui du livre des Actes, les apôtres sont au service… au service de la Parole, et les sept nouveaux ministres au service… au service des tables. (Les premiers sont des juifs d’origine hébraïque, les seconds des juifs d’origine grecque.) Le point commun étant le service au nom d’un seul et même Seigneur. Et dans le cas d’Etienne, force est de constater que le service des tables du chapitre 6 va déborder sur un magnifique service de la parole qui rend témoignage au Christ Jésus, dans la droite ligne d’Abraham, de Joseph et de Moïse.
C’est le grand plaidoyer du chapitre 7 devant le Sanhédrin. Le discours magistral qui va tout faire basculer d’un procès sommaire, basé sur de faux témoignages, à un lynchage des plus arbitraires. S’il sera qualifié plus tard de diacre, et même de protodiacre, Etienne est ici un excellent théologien, dans sa manière de revisiter l’histoire de Dieu avec les humains, un Dieu préférant de loin habiter dans la vie des personnes plutôt que dans des institutions telles que le Temple de Salomon. Non, Etienne n’a rien ni contre Moïse, ni contre le Temple, comme le prétendent ses détracteurs.
Le premier martyr, le premier témoin ne renie rien, bien au contraire : il relit et il relie Moïse et le Temple à la venue de Jésus. En Jésus le Christ, Dieu est venu habiter notre humanité pour la transformer. En somme, Etienne témoigne de l’incarnation, cette incarnation que nous célébrons à Noël et dans le temps qui suit. Et ce faisant, Etienne va incarner lui-même le sort de son maître, dont nous ne cessons de rappeler, notamment dans la tradition protestante, à Noël, que cette naissance a lieu dans le bois de la crèche pour signifier le bois de la croix. Alors non, ce n’est pas tellement étonnant que l’Eglise nous fasse passer de Noël à la Saint-Etienne, comme nous le faisons ce matin.
Tenez, ce matin, avant que le soleil ne se mette à luire, j’entendais le chant d’un oiseau, et je me disais ceci : « L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. » Dans le récit de ce matin, c’est l’Esprit Saint qui ouvre les yeux d’Etienne sur le ciel, pour y voir la gloire de Dieu et Jésus, debout, à sa droite. Et le Saint-Esprit non seulement ouvre les yeux, mais encore la bouche d’Etienne pour en témoigner encore, une dernière fois, publiquement, comme un « amen » : c’est vrai, ce n’est pas qu’un discours que je vous fais. Je n’ai plus rien à perdre. Maintenant, j’ai tout à y gagner. Et peut-être même que l’une de ces pierres se transformera en un cœur ouvert…
Hier, il était question d’une naissance au monde. Celle de Jésus, la nôtre aussi. Aujourd’hui, il est question d’une naissance au Ciel, celle d’Etienne, à la suite de Jésus. Etienne passe aussi devant un pseudo tribunal. Il crie comme son Seigneur. Il prie comme son Seigneur. Il meurt comme lui. Jusqu’à prononcer deux paroles de son Seigneur en croix. Mais ici, c’est à Jésus qu’Etienne remet son esprit. Et comme lui, il invoque le pardon pour ses bourreaux. Il est pourtant une parole qu’Etienne ne prononce pas, et qu’un martyr serait en droit de prononcer : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Pourquoi, en un mot. Ou pour quoi, en deux.
Je me la pose. Nous nous la posons peut-être, pour lui, comme pour d’autres martyrs. Et je trouve une réponse dans la mention de ce jeune homme nommé Saul, et qui joue le rôle de vestiaire pour les témoins de cette horrible lapidation. Saint Augustin disait que si nous avions Saint Paul, c’était grâce à Saint Etienne. Sans oublier tous les autres qui ont suivi, puisque le livre des Actes nous dira que cette lapidation a engendré de grandes persécutions, et une mission hors de Jérusalem. Alors, je retrouve ma réflexion de ce matin : « L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. »
Oui, Etienne salue le monde du Ciel, où Jésus est assis à la droite du Père. Mais il salue aussi, de loin, et peut-être à la manière de ce Moïse dont il avait témoigné, le monde qui va recevoir l’Evangile. Le monde où nous sommes, ici et maintenant. Ce monde est promis à cheminer avec un Dieu vulnérable, comme nous le suggère déjà le prophète Esaïe. De même que Noël n’est que le germe d’une naissance, – mais quel germe ?!, – de même le martyr d’Etienne, comme celui de toute vie consacrée et qui vit ce qu’elle prêche, n’est que le germe d’une renaissance, – mais quel germe ?!
« L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. » Le monde qui est venu et qui va venir encore est comparable à cette image découverte chez vous, chères Sœurs : des galets visibles au bord de l’eau, sous l’eau claire, et qui forment comme un chemin. Ces galets ont peut-être été ceux d’une lapidation verbale ou physique. Ils sont devenus ceux d’un chemin de pacification et de clarification. Alors marchons, à la suite du Christ, à la suite d’Etienne et de tous les témoins, vers ce monde promis à la vie.
Amen