Prédication par la pasteure Laurence Raymond, le 9 mars 2025

Prédication par la pasteure Laurence Raymond, le 9 mars 2025

Matthieu 4, 1-11 Les tentations du Christ

Aujourd’hui, premier dimanche du Carême, nous entrons dans un temps particulier.

40 jours pour cheminer avec le Christ, nous replacer devant Dieu dans une relation intime.

40 jours pour raviver notre foi, sortir d’une forme de ronron spirituel qui nous guette parfois.

Jésus vient d’être baptisé.

Il a solennellement été déclaré et reconnu Fils de Dieu. Le voilà assuré d’une relation unique et singulière avec Dieu, son Père.

Alors qu’au début de son évangile, Matthieu l’inscrit dans sa filiation humaine à travers sa généalogie.

Comment Jésus va-t-il vivre cette double filiation ?

Tout commence par une mise à l’épreuve, forte, décisive, une sorte d’examen d’entrée dans son ministère.

40 jours de solitude, de faim, de soif, dans la chaleur étouffante et l’aridité du désert, sans oublier les nuits froides peuplées de scorpions, serpents et autres charmantes créatures.

Et c’est laminé par ces 40 jours éprouvants que Jésus doit faire face à trois tentations.

Pour les auteurs bibliques, le désert est tout sauf une destination touristique, c’est le lieu de toute les peurs fondamentales de l’être humain !!!

Car dans le désert, elles sont concrètes et réelles : physique, spirituelle et existentielle.

La peur physique, d’abord, peur de la faim, de la soif jusqu’à en mourir.

Avoir faim dans le désert, c’est l’incarnation concrète de l’être humain en état de manque,

quand ses besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits

La peur spirituelle:

Le désert comme symbole de la peur du vide, de l’absurde, du non-sens.

Et si l’univers n’était qu’un grand désert vide de toute présence aimante

Et si Dieu n’avait aucun intérêt pour l’humanité…

Et si Dieu n’existait simplement pas,

La peur existentielle enfin.

Le désert concret comme symbole du désert affectif qui peut être parfois le nôtre… de n’être rien, juste un grain de sable sans aucune valeur ni à ses propres yeux, nos aux yeux des autres…

Image concrète de l’angoisse viscérale d’être rejeté, de ne pas être aimé, de sombrer dans l’isolement et la solitude.

 

Alors le premier acte de la vie de Jésus le Messie et de Jésus Fils de Dieu ?

Se confronter à nos peurs humaines les plus tenaces et nos angoisses les plus incontournables.

Dans la Bible, elles sont investies par la figure mythologique du diable.

Tour-à-tour séducteur, tentateur, accusateur, manipulateur, diviseur,

il représente la force destructrice des peurs  et des angoisses qui nous hantent.

Dans le cas présent, l’alternative que le diable propose à Jésus est simple :

« Soit tu es un homme, rien qu’un homme à la merci de ses manques, ses peurs et ses échecs.

Soit tu es dieu, qui nage dans l’abondance sans limite, dans une sécurité sans égale

et qui dispose de ce qu’il veut, quand il veut.

La proposition du Diable est simple : inciter Jésus à utiliser sa divinité pour échapper à son humanité, ses limites et ses peurs par 3x

1 – Changer les pierres en pain… subtil le diable !

Il propose à Jésus de l’aider. Cette tentation semble avoir du sens. Elle répond à un besoin vital, physique.

Cette tentation qui touche à notre peur de manquer, elle fait miroiter la satisfaction immédiate de nos besoins. « Tout ce que je veux, quand je veux, comme je veux. »

Jésus oppose une autre voie qui nous interroge sur notre relation à nos besoins. Est-ce que nous vivons pour assouvir nos besoins ou sommes-nous appelés à quelque chose de plus grand qui donne sens et direction à notre existence ?

  1. Deuxième tentation : sauter du toit du temple pour forcer Dieu à agir, exiger de lui une démonstration éclatante de sa protection, se sortir d’une peur bien spirituelle cette fois.

C’est l’enfant qui teste l’amour de ses parents en se mettant en danger pour voir s’ils viendront toujours le sauver. De même le croyant peut tester Dieu en particulier dans les périodes difficiles, « prouve que tu es là, que tu m’aimes et que tu es puissant ».

Nous aussi parfois, nous avons envie de demander à Dieu des signes visibles, des preuves évidentes de sa présence. Cette tentation touche à notre difficulté à faire confiance sans voir et sans expérimenter et aussi à notre peur du doute, de l’absurde, du non-sens.

Seulement quand on aime vraiment quelqu’un et que l’on place en lui sa confiance… on ne le manipule pas pour qu’il nous démontre son amour…

On lui laisse la liberté de le manifester…

Jésus refuse une foi basée sur la manipulation ou la peur, confiant dans la fidélité de Dieu.

3 – Avoir le monde entier à sa disposition et toute l’humanité qui le compose… ? Jouer la carte du Messie politique, tentation du pouvoir et du contrôle du monde… Oui nous sommes, comme humains, attirés par le pouvoir, le besoin de reconnaissance, de réussite.

C’est, par exemple, le leader politique ou le chef d’entreprise qui utilise la manipulation pour arriver à ses fins, croyant que l’important est de réussir, même au détriment des autres. Chercher la puissance et peut-être même la toute-puissance pour se donner de la valeur, pour se rassurer.

Jésus propose une autre voie : il choisit la méthode de Dieu pour gouverner le monde. Servir, toujours, sans aucune exclusion. Se rappeler que le vrai bonheur ne vient pas du pouvoir mais de relations authentiques et du don de soi.

Tout au fond et fondamentalement, le diable propose à Jésus d’accomplir sa mission sans passer par la croix, et sans entrer dans notre humanité, une royauté sans passage par l’amour, le service et le risque

C’est cela précisément que Jésus refuse, rejette.

Alors, oui un jour, il sera seul dans le jardin de Gethsémané, le plus grand désert de sa vie.

Un jour, il sera comme suspendu au-dessus d’un abîme de peur, d’angoisse, de doute.

C’est là au cœur de la peur, de l’angoisse et du doute qu’il fera l’acte de confiance suprême.

Dans ce récit haut en couleurs des tentations … confronté à tous les déserts de notre vie… Jésus, le Christ, le Messie, le Fils de Dieu a choisi notre chemin, le magnifique chemin de la vraie humanité. Amen

Prédication de Christian Miaz, le 2 mars 2025

Prédication de Christian Miaz, le 2 mars 2025

1 Corinthiens 13 ; Luc 18, 31-43

Chères sœurs, chers frères,

Quel texte extraordinaire que ce chapitre 13 de la Première Lettre de Paul aux Corinthiens. Il a été choisi par de nombreux couples pour leur célébration de mariage. Je l’ai aussi pratiqué en paroisse en lien avec les personnes que j’accompagnais. Aujourd’hui, à la retraite, sans responsabilité ecclésiale, je le lis en lien avec mes lectures et les nouvelles du monde.

L’ouverture au monde entier d’aujourd’hui m’interpelle : lire ce texte ici, en Suisse, ou par exemple dans les régions des grands lacs africains, des territoires occupés par Israël ou la Russie, à Gaza, en Ukraine, n’engendre certainement pas la même écoute, la même compréhension. Peut-on aimer tout en tuant pour se défendre ? Peut-on aimer tout en attaquant ? Peut-on aimer tout en étant violent pour que justice soit rendue ? Ces interrogations demeurent, car je n’ai jamais été placé dans une situation de violence comme peuvent le vivre des femmes, des hommes, des enfants, au sein de leur famille, de leur travail, de leur pays. Par conséquent, mon message est celui d’un privilégié et ne peut répondre à ces questions.

Ces questions sans réponses de ma part limitent la portée existentielle du message de ce matin à une part de notre société.

L’amour est un absolu, mais un amour absolu limité, ici et maintenant : limité par les désirs, les violences et l’orgueil des humains qui impactent les relations sociales. A cause de sa faiblesse et de sa dépendance envers ses parents lors des premières années de sa vie, l’être humain doit gérer les impacts psychiques des rapports de dépendance–domination qu’il a reçus : il doit gérer ces impacts sur sa manière d’être et d’agir en société au quotidien. L’amour s’immisce dans cette gestion des pulsions psychiques. Mais revenons au texte de la Première Lettre aux Corinthiens qui se trouve au cœur de notre tradition chrétienne :

Ce texte s’origine dans le double commandement de Jésus : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Dans quelques jours nous allons entrer dans le temps de Carême qui va nous conduire à Vendredi Saint : au don d’amour suprême de Jésus pour ses frères et sœurs humains. Cet amour inconditionnel de Jésus a conduit Paul à introduire cet éloge de l’amour dans son développement sur les dons de l’Esprit. Pourquoi l’amour est-il indispensable aux dons de l’Esprit ? La réponse est évidente : sans amour, les dons de l’Esprit peuvent devenir des instruments de pouvoir, d’oppression, de domination et d’exploitation. Et cela s’est vérifié au cours des siècles : que n’a-t-on légitimé au nom de l’Esprit Saint qui me parle et me dicte mes paroles pour mon bien propre ou mon institution. Sans amour, les dons de l’Esprit deviennent parfois les instruments du mal, de Satan. L’amour est la puissance, force, qui conduit les dons de l’Esprit aux biens du prochain, et par conséquent de soi.

A qui est destiné l’amour ? Dans les Evangiles, il y a trois destinataires : Dieu, le prochain, soi-même. Le destinataire du texte de 1 Corinthiens 13, c’est le seul prochain, l’autre. Par conséquent, ce matin je n’évoquerai que l’amour pour le prochain, pour l’autre. Paul ne définit pas le prochain, ni sa situation, ni son genre, ni son orientation sexuelle, ni la couleur de sa peau, ni sa religion. Paul parle du prochain, c’est-à-dire de toute personne qui vit ici et au loin. Il me parle de l’amour qui devrait m’habiter en tant que dépositaire des dons de l’Esprit Saint.

En quoi consiste l’amour, ici au sens d’agape ? Il est une puissance de transformation engendrée par l’Evangile de Jésus Christ. En tant que chrétien, sans amour, ce que je dis, ce que je suis, ce que je fais, n’est rien ; sans amour, je ne suis que bruit ; sans amour, je ne suis rien ; sans amour, je ne gagne rien.

Comment laisser jaillir en moi cette puissance d’amour du prochain ? Paul essaie de me guider en déterminant les capacités de l’amour, en les listant aux versets 4 à 7 que je résume par la fin : l’amour excuse tout, croit tout, espère tout, endure tout. Paul m’apprend que je n’ai rien à attendre du prochain, ni avant, ni pendant, ni après. L’amour du prochain dépend de moi, et de moi seul, de ma confiance en la force transformatrice de l’amour comme espace de vie, de pardon, de renouvellement et de partage.

Laisser jaillir durablement en moi cet amour du prochain m’est pourtant impossible. Je peux certes y parvenir parfois, mais seulement de manière brève. L’apôtre connaît les faiblesses humaines, il connaît dans sa chair cette épine. C’est pourquoi il développe ce passage entre le « maintenant » et le « alors ». Le maintenant est limité, imparfait, où je ne vois qu’à travers un miroir. Paul pousse à regarder en avant vers cet alors où je verrai face à face, en plénitude, ce que je suis, ce que sont les « autres » !

J’ai reçu la foi, l’espérance et l’amour pour avancer sans cesse vers la révélation ultime du face-à-face. Ici et maintenant, je ne peux que croire et espérer qu’un amour infini m’habite ; maintenant et ici, je ne peux qu’en révéler des bribes.

On dit que l’amour ne se commande pas, puisque c’est l’amour qui commande. L’amour révélé par le Christ s’élève contre une telle maxime. L’amour du Christ m’engage sur un chemin de foi et d’espérance envers mon prochain.

Et en ces temps, la force de l’argent et du pouvoir domine les politiques et les conduit à mépriser les petits, les pauvres, les pousse à abattre toute personne s’opposant à elles, à exclure les réfugiés, les migrants, à diviser les pays, à s’accaparer des biens pour leurs seuls profits. Nous vivons un présent angoissant, renforcé encore par le crash entre les présidents Trump et Zelensky, vendredi soir dernier. Pour nous chrétiennes et chrétiens d’Europe, poussés par un désir de justice et d’amour du prochain, les décisions américaines prises par Trump sont un cataclysme. L’orgueil, le mépris et la force sont les puissances qui régissent les grands de ce monde dont les USA. Que pouvons-nous faire ? Que puis-je faire ?

Paul, et à travers lui Jésus Christ, nous appelle à poursuivre notre chemin de foi, d’espérance et d’amour. Même si nos pensées et nos actes sont limités, même s’ils ne révèlent que partiellement l’amour du prochain, ils sont notre seul chemin de vie. Sur ce chemin de vie, l’amour est la lumière qui me donne confiance et soutient mon espérance : cette espérance que rien n’est définitif et qu’ensemble, nous pourrons avancer vers plus d’empathie et de bienveillance envers celles et ceux qui sont nos sœurs et frères en humanité sur toute la terre, et pas seulement dans les limites des nos frontières.

L’amour est la plus grande force de vie, nous rappelle Paul : l’amour fonde ma foi et mon espérance ici et maintenant, toujours, éternellement. Comme l’écrit Gerd Theissen : « La foi, l’espérance et l’amour sont la présence de Dieu dans l’être humain. La foi justifie l’humain. L’espérance justifie Dieu. Seul l’amour ne se justifie pas. C’est le plus grand des trois. Par l’amour, nous approuvons le monde, le prochain et la vie. » Je rajoute : et nous luttons pour la justice et la paix en n’écartant aucune stratégie, même celle de s’interroger sur la lutte armée contre la violence. Mais notre but reste toujours : la paix entre les nations pour que l’amour puisse se vivre entre des individus d’origines diverses.

Amen.

Prédication par Heiner Schubert, le 6 février 2025

Prédication par Heiner Schubert, le 6 février 2025

Mt 9,18-26 Grandchamp

 

Une femme s’approche de Jésus; son nom ne nous est pas donné. Cela se passe alors que Jésus, sollicité par un notable, est en route pour rappeler sa fille à la vie.  

J’aime ce mot « notable ». C’est quelqu’un bien dans sa chair; que l’on remarque, que l’on connait; qui a un statut: quelqu’un qui dispose de moyens considérables, il est entouré par ses subalternes. Habitué à être entendu, il ne doute à aucun moment que Jésus va exaucer sa demande.

Fort contraste entre cet homme sûr de lui et la femme!

Elle, elle n’ose même pas adresser la parole à Jésus. Cependant, elle doit se rassurer en se parlant à elle-même, en se disant que s’approcher de Jésus par-derrière, c’est la bonne démarche, qu’elle a pris la bonne décision.

Nous comprenons que cette femme est habitée par un profond désir. Elle perd du sang, tout le temps, elle est épuisée et rejetée comme impure. Elle est au bout de ses forces, elle est désespérée.

Le sang symbolise la vie, ce qui nous rend vivants et capables.

Son désir c’est de pouvoir enfin participer à la vie, de ne plus être exclue, de pouvoir contribuer à la marche de la société et d’en devenir un membre égal et respecté. L’écart entre ce désir et la réalité décrite par Matthieu est abyssal.

Cette femme me fait penser à ces personnes déçues de la vie, épuisées par des combats sans espoir; ces hommes et ces femmes à qui la vie n’a réservé que des défaites. Je me souviens de personnes qui ont donné, donné et donné tout au long de leur vie. Quand les forces diminuent, quand le moment vient de faire un bilan, c’est le grand désenchantement. Il leur semble que le résultat de tous leurs efforts ne correspond pas du tout à l’engagement dont elles ont fait preuve. L’amertume les guette, elles tombent dans un vide profond.

Mais, au milieu du récit il y a un tout petit geste, un geste qui déploie un grand effet et produit un grand bouleversement; un geste plein de lumière. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué.

Il est plutôt masqué par cette foule bruyante, déployée par la présence du notable.

Cette foule qui donne une sorte de cadre aux malheurs qui touchent la femme et la fille du notable; cette foule voyeuriste qui ne sait que fairedes commentaires destructifs en se moquant de Jésus.

Jésus se retourne et il voit la femme. Enfin, elle est vue, elle est remarquée, notée, elle aussi, comme le notable habitué à être vu. Cette femme désemparée et sans moyens; elle est enfin perçue; elle qui était sans cesse rejetée. Jésus crée un ilot de paix au milieu de cette foule agitée et excitée. Il est là, il est avec cette femme, il n’y a rien de plus important en cet instant.

C’est le moment clé de ce passage. Jésus regarde la femme qui vient de toucher les fils de son vêtement comme il regardera plus tard la petite fille et prendra sa main.

Les paroles que Marie a chantées quand elle a senti le bébé bouger dans son ventre se réalisent alors.: Il a précipité les puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles (Luc 1.52).

Le notable et la femme désespérée sont tous les deux désemparés face à la souffrance.

Jésus entend leur souffrance et il les délivre.

Le récit de Matthieu nous invite à nous retourner comme l’a fait Jésus, à nous laisser interrompre dans les occupations si importantes de notre vie.

Il nous invite à écouter, à être présents quand une personne nous sollicite. Il nous invite, nous qui animons des maisons de retraite àsoigner nos lieux d’accueil.

Ils sont plus précieux que nous ne l’imaginons.

Je suis profondément touché quand je vois Jésus se retourner.

Je veux apprendre de lui.

Je veux apprendre à discerner ce qui compte vraiment.

Je veux apprendre à voir son visage à travers autrui.

Il sera présent parmi nous quand nous partagerons le pain et le vin tout à l’heure.

Nous serons toutes et tous touchés.

Prédication de la pasteure Laurence Mottier, le 19 janvier 2025

Prédication de la pasteure Laurence Mottier, le 19 janvier 2025

Textes bibliques : Jean 2, 1-12 Esaïe 62,1-5 1 Co 12, 4-11

« Faites tout ce qu’il vous dira » Jean 2,5

Il y a des paroles qui font naître l’autre, qui l’autorisent ; des paroles qui initient un commencement ; qui provoquent et suscitent un nouveau champ de possibles ; « Faites tout ce qu’il vous dira », oui, il y a des paroles fertilisantes, comme il y a aussi des paroles, qui blessent, qui ferment, enferment et obturent l’autre, sans possibilité d’avenir. Des paroles qui assignent ou dévalorisent, quand d’autres permettent et donnent confiance.

La parole de la mère de Jésus aux personnes qui l’entourent, lors des noces de Cana, a la force d’une mise au monde, sans forceps, telle une proposition audacieuse et décalée. Car Jésus, lui, vient de la rabrouer en lui disant de se mêler de ses affaires à elle, plutôt qu’à lui.  Qu’y a t’il entre toi et moi ? De quoi te mêles-tu ? on entend la crainte, l’appréhension chez Jésus. « Je ne suis pas prêt. Arrête de me mettre la pression. Maman, tu m’énerves ».

Sempiternelle tension intrafamiliale, où le parent tente une parole qui n’est pas reçue, ni comprise, alors que l’enfant attend quelque chose qui ne vient pas et qui peut le/la laisser en déshérence. Contretemps, qui vont creuser les malentendus, nourrir l’agressivité, les ressentiments, les dissensions.

Là, sa mère ne se laisse pas démonter, car elle sait, elle a vu qui il est, mais elle n’a  pas besoin de lui prouver qu’elle a raison et qu’il devrait l’écouter. Elle parle à d’autres, autour, ouvrant le cercle d’un duo qui pourrait virer au duel stérile, tout en laissant entendre à son enfant qu’elle le sait capable de se lancer dans sa mission, de naître à sa vocation de fils, de Fils de Dieu. Et c’est sur sa parole à lui que l’eau se change en vin. 

S’il n’y a pas de récit de naissance dans l’Évangile Jean – prologue Au commencement était la Parole – j’ai envie de lire ce récit des noces à Cana comme un engendrement de la mère au fils. Une mise au monde. Sa mère – dont Jean tait le prénom étonnamment – n’est pas dépeinte dans son rôle biologique ni charnel mais dans son rôle symbolique tel le portique d’une parole inaugurale, qui donne naissance à Jésus le Messie. Sa mère l’incite et l’autorise, sans lui faire violence, ni le réprimander, ni le moquer. Un art parental, qui devrait nous inspirer.

Si les liens familiaux dans les Évangiles sont chargés d’ambiguïtés, si Jésus a l’audace de définir un nouveau type de famille autour de lui, non plus clanique, ethnique, étroitement religieuse, mais une famille de libre affiliation de cœur et d’esprit, il demeure néanmoins que la famille de Jésus est une donnée à prendre en compte. Car il est bien né et a grandi dans une famille humaine, une famille juive en Palestine occupée, une famille modeste, vivant dans les montagnes de Galilée, une famille, comme les autres, pétrie d’amour et de contradictions, berceau de son être au monde et premier lieu d’apprentissage de son métier d’homme.

Et si la part d’aliénation est présente dans nos liens familiaux, la part d’édification qu’ils apportent est aussi là, source de ce que nous devenons, de ce que nous pouvons déployer de nos potentialités et de ce que nous transmettons aux autres. Aliénation et agentivité, deux pôles entremêlés dans nos histoires familiales et humaines. Lutte incertaine pas toujours équilibrée, pas toujours équitable.

Ce premier signe chez Jean place la fête et la réjouissance des noces comme porte inaugurale de l’Évangile. Avons-nous assez pris en considération cette couleur si particulière ?

Dans la liesse, les chants, les rires et la danse, s’inscrit la Présence du Christ-Messie, et ce n’est ni au désert, ni dans une école de sagesse ni dans un palais ni au sommet d’une montagne solitaire qu’il lève le voile et entre en scène. Mais plutôt :

Dans une foule joyeuse, au cœur d’une union de corps et d’esprit entre un homme et une femme. Dans un temps qui transcende le quotidien et sa pénibilité. Permettant les excès, le défoulement, une intensité de rires, de cris, de mouvements, et le partage d’une abondance de biens.

Avant de tout spiritualiser et de tout désincarner, tant un certain christianisme moralisateur et castrateur nous a appris à craindre la jouissance, du plaisir, du désir, pouvons-nous entrer dans ce premier tableau ? Dans ces noces à Cana, où le Christ s’inscrit au cœur de nos besoins humains et d’une prodigalité manifeste, joyeuse, débordante ? J’y vois des visages rayonnants, des corps exultants, des paroles vibrantes, une musique vive ; la joie coule, comme le vin coule des jarres aux verres, comme les paroles coulent d’un visage à l’autre, d’un cœur à l’autre, dans une danse, pulsation de vie.

Alors que nous entrons dans la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens et des chrétiennes, un autre récit va nous occuper et nous nourrir, grâce à la méditation de la communauté œcuménique et mixte de Bose, qui a choisi dans ce même Évangile de Jean, le dernier signe opéré par Jésus, pour son ami Lazare, frère de Marthe et de Marie, ses amis et disciples.  « Jésus les aimait tous les trois » nous dit Jean. Lazare est mort et repose au tombeau depuis plusieurs jours ; tous et toutes pleurent, et Jésus aussi pleure…

Quel contraste : le premier signe à Cana se vit dans la joie, les rires et la danse et le dernier signe à Béthanie, dans le deuil, les larmes et la peine. Le premier dit un avenir, une promesse, une fécondité, le dernier une impasse, une perte, une absence irrémédiable.

A Marthe qui vient au-devant de Jésus, il dit « Je suis la Résurrection et la Vie ; la personne qui croit en moi ne mourra pas » et il lui demande : « Crois-tu cela ? »

Ce dernier signe annonce que la vie est plus forte que la mort, l’amitié plus forte que la désolation et la maladie, alors que le premier annonce que le meilleur est pour la fin, que l’abondance du don de Dieu déborde toutes nos peurs de manquer.

Ce qui m’a frappée en méditant ces textes, c’est que l’Évangile arrive à contretemps. A contretemps de ce qui est attendu et perçu comme normal, habituel.

Le Christ renverse la logique de la mort inéluctable en vie ressuscitée.

Le Christ renverse le sens de la fête, à l’image du bon vin versé à la fin.

 

Le Royaume de Dieu arrive comme un inattendu, un inespéré, une contre-affirmation qui bouleverse nos logiques et nos évidences.

L’Évangile arrive à contretemps dans la réalité de nos vies, dans son flux irréversible, dans son déterminisme. L’Évangile s’inscrit comme une liberté. L’Évangile est liberté.

Et je vois une chaîne de confiance, qui se tisse en perles de paroles, qui passent de la mère au fils qui débute à Cana, de Jésus à Christ, du Christ à ses disciples ses amis, à l’inconnu sur la route, à l’étrangère et au soldat romain ; une parole qui passe à sa disciple et amie Marthe dans une chaîne de confiance, ininterrompue, d’une foi, qui court, ensemence, vivifie, cherche un chemin, et ressuscite toutes choses :  crois-tu cela ?

L’Évangile va à rebours du bon sens et du sens commun et c’est tant mieux ! c’est notre chance et notre salut. Et il nous invite à entrer dans sa danse :

Nos paroles peuvent porter la vie et la libération de ce qui est encore enfoui chez l’autre !

Notre vie peut accueillir le regard et la parole d’autrui, même maladroite !

Dans nos relations sommeillent des germes insoupçonnés, à accueillir et qui vont féconder la vie.

Le pouvoir transformateur de l’Évangile est donné à notre monde, défiguré déshumanisé, ankylosé, angoissé, pétri de violences, de défiance et de peurs. Un pouvoir transformateur qui inspire la trêve à Gaza, qui inspire toutes les initiatives, petites et grandes qui mettent un terme à la mort et à la destruction. Pour rendre l’humain et le monde à sa dignité, à son intégrité.

Une vie plus forte que la mort travaille notre réalité, cette pâte du réel, ce contre quoi on se cogne.

Une vie en travail, plus forte que nos déroutes et nos découragements, nous est donnée et redonnée, non pas une fois pour toutes, mais chaque jour à nouveau ; une vie qui ensemence et engendre audace, confiance, joie.

Amen

Prédication du pasteur Marc Balz, le 29 décembre 2024

Prédication du pasteur Marc Balz, le 29 décembre 2024

St-Syméon

Es 40,1-11 ; 1 Jn 1,1-7 ; Luc 2,22-35

En lisant et en méditant ce texte, je n’arrête pas de m’étonner sur une tension, presque une contradiction, dans les propos du vieux et bienheureux Syméon.

Après le Magnificat de Marie, le Benedictus de Zacharie et le Gloria des anges, comment se fait-il que Syméon qui prononce le Nunc dimittis, cet hymne de paix qui est chanté aux complies, comment se fait-il que juste après, Syméon parle de glaive ?

Cheminons avec Syméon, et tentons de comprendre ce qui se passe en lui et provoque cette étonnante tension.

Syméon est prophète : l’Esprit Saint était sur lui (v. 25) dit le texte, manière pour Luc de le désigner comme tel.

De sa vie, on sait peu de choses, mais le texte nous dit qu’il est juste et pieux, ce qui laisse deviner tout le chemin qu’il a parcouru durant son existence jusqu’à devenir, au soir de ses jours, cet homme juste et pieux.

Il vit dans et par l’Esprit (qui est nommé 3x au début du récit), c’est donc un intime de Dieu, ce qu’indique aussi son nom, Syméon, « Dieu a entendu», à moins que lui ait entendu Dieu ?

Les bergers sont avertis par les anges dans le ciel, les mages le sont par l’étoile qui les guide, Syméon lui est averti au dedans de lui par l’Esprit Saint directement, et il entend : il verra le Christ avant de mourir.

Et on arrive déjà au centre du récit, avec ce geste : Syméon ne prend pas l’enfant dans ses bras, comme le traduit la TOB ou la majorité de nos traductions en français, mais il reçoit l’enfant (edexato). Peut-être avec l’autorisation de ses parents, ou alors de Dieu directement, qui sait ? En tout cas, Syméon n’a rien demandé, et surtout il n’a rien pris : il reçoit dans ses bras l’enfant-Dieu. Personne avant lui, ni après lui, n’a vécu une telle chose : recevoir Jésus dans ses bras.

Silence

Jaillit alors du plus profond de son être le Nunc dimittis, qu’il prononce devant Marie et Joseph, et l’enfant Jésus (ils sont trois, mais quel auditoire !). Jésus vient combler sa vie, au point que la mort ne lui enlèvera rien (Bourguet). Et Syméon, qui s’attendait à la consolation de son peuple, découvre bien plus : il contemple en Jésus la lumière pour tous les peuples.

Ses yeux ont vu le salut.

L’oeuvre du compositeur estonien Arvo Pärt, Nunc dimittis (si vous ne connaissez pas, allez l’écouter, c’est admirable et bouleversant !), fait répéter à la soprano 3 fois le mot « oculi» : c’est le centre du texte pour lui. Et je me dis qu’il a peut-être raison.

Syméon a écouté ce que l’Esprit lui murmurait, il a reçu dans ses bras le Christ, et maintenant, ses yeux ont vu (comme Job qui dit : maintenant mes yeux t’ont vu. Job 42,5).

Intense moment de silence et d’émotion, après tant d’années d’attente. Durant toute sa vie, Syméon a espéré voir le Christ, et voilà qu’il accueille dans ses bras l’enfant et contemple en lui ce qui est de Dieu (Bourguet[1]). Cela lui suffit, il peut s’en aller en paix, il est exaucé – peut-être le seul exaucement de toute sa vie, mais cela lui suffit déjà, il est comblé.

Tout aurait pu s’arrêter là, mais il y a plus : voilà qu’il s’adresse maintenant non plus à Dieu mais directement à Marie : «il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté. Et toi-même, un glaive te transpercera l’âme » (vs. 34-35). Syméon voit – il voit – que l’œuvre publique du nouveau-né dans ses bras aura des conséquences personnelles pour chacun : il faudra se décider pour ne pas tomber. Israël lui-même devra saisir sa dernière chance… ou la manquer. Et Syméon voit peut-être l’entier du ministère de Jésus : libération, guérison, lumière, et aussi rejet et refus ; peut-être voit-il la croix, plantée dans l’âme de Marie, Jésus crucifié… même s’il sait qu’il sera la lumière qui brille sur tous les peuples.

Je reviens à mon étonnement du départ : pourquoi après la paix et le ravissement, le glaive et la croix ? J’observe que Syméon ne garde rien pour lui de ce qu’il a reçu de l’Esprit Saint. Il a une parole de père spirituel, il parle, il partage ce qu’il a reçu.

J’ai été étonné en lisant le texte, de voir que l’on traduit systématiquement le verset 25 «l’Esprit saint était sur lui», mais qu’on pouvait aussi traduire mot à mot : «l’Esprit était saint à travers lui». Et comme il n’y a aucune différence entre majuscule et minuscule dans les manuscrits, alors cela peut aussi désigner l’esprit de Syméon qui est devenu saint, qui devient saint à force de prière et d’adoration, jusqu’au point qu’il n’y a plus guère de différence entre l’Esprit Saint (avec majuscules) et son esprit à lui (Maître Eckhart n’aurait pas dit autre chose !).

Autant son esprit à lui, que son corps entier (ses oreilles, ses bras, ses yeux) sont habités de la présence de Dieu. Alors il peut y avoir en lui la place pour la paix et la lumière, comme pour le glaive et la souffrance (Bovon[2]). Syméon accueille en lui toute la complexité du monde et de la vie qui sont tellement contradictoires, il ne cherche pas à masquer ce qui est douloureux : au contraire, il assume. Ce qui en lui pouvait sembler divisé est maintenant relié, il se réconcilie avec lui-même.

Syméon peut alors d’en aller en paix.

Amen

[1]Daniel Bourguet, Rencontres avec Jésus (2003), pp. 83-102

[2]François Bovon, l’Evangile selon Saint Luc 1-9 (1991), pp. 138-148

Homélie du pasteur Serge Molla, le 15 décembre 2025

Homélie du pasteur Serge Molla, le 15 décembre 2025

So 3, 14-18a    Ph 4, 4-      Jn 1, 1-8.19-28

Au commencement, Dieu, dit la Genèse.

Au commencement était la Parole. Et la parole était Dieu, énonce l’évangile de Jean. Ou dans la traduction de Jean Grosjean: D’abord il y avait le langage, et le langage était chez Dieu.

Au commencement. D’abord. Ces mots ont l’air banal. Et pourtant, ces termes, comme le mot avent, évoquent une origine, marquent le début d’une histoire.

Ces mots se lient à la question de l’origine qui interpelle tant l’humain. Dès l’enfance, il s’interroge : qu’est-ce qu’il y avait avant moi ? Et ce ne sont pas des dates qui intéressent l’enfant, ni même des événements qu’il n’a pas vécus, ni seulement une explication. Ce que l’enfant désire connaître ardemment, tout comme l’adulte, ce n’est pas tellement comment il est arrivé là, mais surtout pourquoi ? Quelle en est la raison, quel en est le sens ? Il aspire à entendre raison et sens qui lui permettent de vivre. Pourquoi suis-je là ? Pourquoi êtes-vous là ? Pourquoi sommes-nous là, vivants ? – Tu es là en raison d’un engagement très fort, en raison d’un désir créateur. N’aimerait-on pas toujours s’entendre dire cela ? Mais cela bien des enfants ne l’entendent pas, de même que bien trop d’adultes n’ont pas reçu une telle réponse. Et les grands com-me les petits en souffrent très profondément.

Les premiers mots de l’évangile de Jean D’abord le langage et langage était chez Dieu sont donc une bonne nouvelle, qui énonce que c’est par le langage que tout ce qui est arrivé est arrivé, que rien de ce qui devient ne devient sans ce langage divin. Ce langage précède toute structure, toute vie. Aujourd’hui où nous savons combien l’enfant avant même sa naissance entend la voix de son l’entourage, combien cela peut marquer un être à devenir.

Et bien l’évangile ose affirmer qu’avant toute voix humaine une autre voix se fait entendre, un autre langage précède tout langage, celui de Dieu, qui au fond dit à tout être vivant comme à l’univers, tu es là en raison de mon désir.

Car tout langage véritable est affirmation d’un désir de relation, il dit un engagement offert, qui nous précède, vous, moi. Engagement qui veut donner sens à votre existence comme à mon parcours personnel. Ce langage qui vient avant tout être vivant, avant même la création tout entière, est un geste d’audace de Dieu. Vers quoi pointe-t-il ? Nul ne le saurait et le mystère resterait entier s’il n’y avait cette précision fonda-mentale : c’est dans ce langage que se trouve la vie.

C’est là la bonne nouvelle, la vie qui vient. En effet, pour l’évangile, vivre ne revient pas à n’assurer que des fonctions biologiques, ni même posséder, avoir toujours plus de biens, et être toujours moins. Ce n’est pas se croire seul dans un monde où l’absurdité semble parfois régner, où s’amoncellent aujourd’hui les nuages d’angoisse et de désespoir. Non, la vie qui vient n’a rien à voir avec ce qui résume, hélas, tant d’existence humaine. La vie qu’annonce ces premiers mots de l’évangile de Jean est une vie qui n’est pas fuite pas en avant, ni course dans tous les sens, mais une vie qui reçoit du sens. C’est une vie qui n’apparaît pas comme ça, en regard d’une date de naissance, mais qui s’inscrit dans une histoire qui a commencé bien avant, bien avant vous, bien avant moi.

D’abord il y avait le langage, et le langage était chez Dieu.

Mon existence, la vôtre ? Les voici donc situées en face de ce langage qui n’est pas seulement affaire de paroles, de mots. Ce langage, la nouvelle inouïe est qu’il s’incarne. Jésus va être langage de Dieu dans tout son être, pas seulement par ses paroles et ses paraboles. Ce langage, Jésus, va énoncer l’engagement de Dieu, son désir et sa volonté que l’emporte la vie.

Aussi, ce langage, cet engagement d’1 autre qui précède chaque être vivant pose une alternative. Votre existence, la mienne sera-t-elle comme mise en lumière à l’écoute de cette parole qui m’interpelle, à la rencontre de ce Dieu qui vient ? Ou au contraire votre existence, la mienne, resteront-elles dans l’ombre, enténébrées ? Car l’accueil ou le refus d’entendre ce langage est synonyme de lumière ou de ténèbres. Ce sont là les enjeux de la venue de Dieu qui précède tout être.

Ce langage de Dieu incarné n’appelle pas à se situer seulement les femmes et les hommes de son temps, de l’époque d’Hérode, de l’empereur César Auguste. Cette lumière n’éclaire pas que l’année ou naît un enfant prénommé Jésus, elle nous atteint nous aussi. Ce langage de Dieu incarné remet encore aujourd’hui tout en question. Hier, il a changé le calendrier occidental des hommes, puisqu’on se situe dans l’histoire, avant ou après Jésus Christ ? Mais aujour-d’hui, dans nos parcours, y a-t-il aussi en avant et après Jésus Christ ? un sans ou avec Jésus Christ ?

Si l’enjeu est si grand, c’est que la vie ou la mort ne se passe pas chez nous que dans les chambres d’hôpitaux, lorsqu’on suit sur un écran le rythme cardiaque d’un malade ou que l’on guette son dernier souffle. Ou ailleurs dans le monde : sur un champ de bataille, sur des embarcations fragiles, sur une route d’exil, au fond d’un cachot… L’enjeu des ténèbres et de lumière ne se joue pas seulement là où la sécheresse fait reculer la vie, où les inondations l’emportent. Non. L’enjeu nous concerne nous aussi, tant le désert des relations humaines avance aussi. On communique beaucoup, mais on communie bien peu. Pourquoi devons-nous – les mots employés sont révélateurs – nous mettre à fonctionner, à décrocher, à débrancher ? Si le langage humain cède le pas au langage technique, n’est-ce pas signe que l’humain perd du terrain et que la vie recule ?

D’abord il y avait le langage, et le langage était chez Dieu. Et dans ce langage se trouve la vie.

Dès l’origine, le langage divin est là. Jésus l’incarne en mettant en lumière tout ce que j’ai perdu en réduisant le langage aux mots prononcés, écrits ou lus, alors qu’il touche l’ensemble de l’existence. Bien sûr, je parle, vous parlez avec des mots, mais plus encore avec des gestes, des postures, des silences, des attentes et des craintes. Tout en vous comme en moi est langage. Alors ce langage porte-t-il cette lumière divine ? Rend-il témoignage à cette lumière des-tinée à éclairer la vie dans ses moindres détails, pour ne pas dire recoins ?

La venue du Christ incarne ce langage divin qui porte en lui la vie, comme le devrait tout langage.

Alors vivre le temps de l’Avent et celui de Noël, c’est laisser un Autre parler et m’apprendre à parler. Non pas seulement avec des mots, car ceux-ci, si beaux soient-ils, sont trop souvent vides ou contraire à tous les corps qui parlent et qui énoncent tout autre chose.

Le langage que je veux apprendre met en lumière, que je veux apprendre de Dieu veut éclairer toute rencontre, toute relation. Il ne se contente pas de mots, mais doit se lire dans tout l’être. Jésus, langage de Dieu, incite ainsi à découvrir que le sens de la vie ne se trouve pas en nous-mêmes. Que la lumière n’est pas en nous-mêmes. Que nous ne sommes pas tout, que nous ne sommes pas rien.

Jésus, langage divin, annonce que la vie est toujours fruit d’une rencontre. Rencontrer, c’est toujours se mesurer à l’autre. Mais peut-être moins pour évaluer les forces en présence que pour se réjouir des diffé-rences et des richesses d’être à partager.

Amen