Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de Noël, le 24 décembre 2020

Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de Noël, le 24 décembre 2020

Lectures : Baruch 4, 30+36–5, 9 Mi 5, 1-4a Es 11, 1-10 Es 9, 1-6,
Tt 2, 11-14 + 3, 4-5a Lc 2, 1-20, fin : Jn 1, 1-18

 

« Un rameau sortira de la souche de Jessé ;
un rejeton jaillira de ses racines.
 »
(Es 11,1)

Chères sœurs, chers frères,

Avez-vous déjà pris le temps de regarder des arbres ou des arbustes en cherchant à reconstituer l’histoire de leur croissance à partir de leurs racines ? Quelles sont les parties les plus anciennes, quelles sont les plus récentes ? Prenez un rosier, par exemple, un vieux rosier. Son pied a peut-être l’air de n’être plus que du bois mort dont sortent quelques tiges qui, elles aussi, ont l’apparence de vieux bois. Et, voilà qu’aux milieu de ces tiges jaillit une tige bien verte et vigoureuse.

Ou alors, vous avez pu observer la souche d’un arbre qu’on a coupé. Il était imposant, mais il est maintenant couché à terre. Mais voici que, de la souche, un rameau sort, tout nouveau.

Ce sont les images que le prophète Esaïe utilise pour annoncer la bonne nouvelle de l’intervention de Dieu en faveur de son peuple. Cela fait très longtemps que Dieu est apparu à Abraham pour lui promettre une descendance nombreuse. Au moment où le prophète Esaïe annonce qu’un rameau sortira de la souche de Jessé, de nombreux siècles ont passé. La descendance d’Abraham a pris le nom de peuple d’Israël, nom reçu de la part de Dieu par Jacob, le petit-fils Abraham. Le peuple s’est transformé en royaume et après Saül, le premier roi, son successeur David, fils de Jessé, a fondé une dynastie prospère. Mais au temps de la prophétie d’Esaïe, le royaume est séparé en deux. Il a perdu de sa gloire, sous les coups répétés de ses puissants voisins. Le peuple d’Israël est devenu un vieux peuple, abattu comme l’arbre par la tempête.

Or, voici que le prophète annonce un nouveau départ : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné » (Es 9,5). De la descendance de David, un « Prince de paix » va naître, qui mettra fin aux rapports de domination violente. Il ne viendra pas pour répéter les conflits sans fin et jouer au jeu du plus fort. Il va instaurer une autre manière de vivre ensemble, fondée sur la connaissance du Seigneur (Es 11,9). Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur Dieu.

Cette prophétie, les premiers chrétiens ont vu son accomplissement dans la naissance de Jésus à Bethléem. Lui, le descendant de David (Mt 1,6 ; Lc 3,31-32), en qui s’est manifestée la « grâce de Dieu, source de salut pour tous les êtres humains » (Tt 2,11) écrit l’apôtre Paul à Tite. Jésus « s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne, qui soit plein d’ardeur pour les belles œuvres » (Tt 2,14).

En voyant ce qu’était devenu le vieux peuple d’Israël au temps de Jésus, on pouvait se demander : que peut-il encore sortir de bon de ce vieux peuple ? A l’image de Zacharie et Elisabeth, qui étaient avancés en âge et sans enfants, et dont on pouvait penser qu’ils n’avaient plus à attendre grand-chose de la vie. C’est à eux, pourtant que l’ange annonce la naissance de Jean, le Baptiste, et c’est le signe qu’il donne quelques mois plus tard à Marie lorsqu’il lui annonce qu’elle sera enceinte et enfantera un fils à qui elle donnera le nom de Jésus (Lc 1,31). L’ange lui dit alors : « Et voici qu’Elisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d’un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile, car rien n’est impossible à Dieu. » (lc 1,36-37). C’est à la suite de cette déclaration que Marie répondit : « je suis la servante du Seigneur, Que tout se passe comme tu l’as dit ! » (Lc 1,38). Du vieux tronc peut jaillir un rameau. Marie comprend que, comme le lui dit l’ange, du vieux peuple d’Israël peut naître le fils du Très-Haut dont lui a parlé l’ange, celui dont le règne n’aura pas de fin. Elle acquiesce tout simplement.

Regardons notre monde. Regardons nos vies. Il y en a parmi nous qui sont plus jeunes, comme Marie, d’autres plus âgés comme Zacharie et Elisabeth. Mais tous nous portons une part de nous-mêmes qui a vieilli, qui porte les traces d’une histoire, marquée aussi par des iniquités. Peut-il encore sortir quelque chose de bon de notre civilisation vieillissante, de l’environnement qui nous entoure et que nous épuisons à force de le sur-solliciter ? Il y a peut-être quelque chose de vieux en nous, que nous percevons comme poids mort.

La bonne nouvelle annoncée par Esaïe n’est pas le remplacement du vieux peuple par un autre peuple, mais que le salut de Dieu jaillit du vieux bois. La bonne nouvelle accueillie par Marie, c’est que Celui qui vient apporter la paix, Jésus, accomplit l’attente de ce vieux peuple.

La Bonne nouvelle de Noël, c’est que Dieu n’abandonne pas son peuple, qu’il n’abandonne pas les siens. David avait chanté « Le Seigneur est mon berger, rien de saurait me manquer » (Ps 23). Le peuple d’Israël a fait l’expérience que Dieu prend soin des siens comme un berger de son troupeau. Qui pouvait mieux le comprendre que des bergers ? C’est à des bergers que l’ange annonce en premier la naissance de Jésus : Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; et voici le signe qui vous est donné ; vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » (Lc 2,10-12).

Les bergers, qui veillent au milieu de la nuit de notre monde, sont disponibles pour accueillir la bonne nouvelle et la transmettre plus loin. Avec les bergers, regardons notre vieux monde et ses soubresauts ; regardons l’histoire de nos Eglises et leurs tâtonnements ; regardons nos histoires personnelles et leurs lourdeurs. Nous avons des racines et elles puisent plus ou moins profond dans le sol. Mais la souche et les racines ne sont pas le tout de la plante. Lorsque les racines puisent leur nourriture dans le sol, un rameau peut jaillir. Lorsque Zacharie et Elisabeth, Marie, les bergers, accueillent la bonne nouvelle de Dieu, le salut entre dans le monde et dans leurs vies personnelles.

Soyons sans craintes. Nous portons quelque chose de vieux en nous, parce que nous avons une histoire, que nous venons de loin. Nous pouvons avons la sensation parfois que cela nous tire en bas. Mais c’est que cela a du poids. Enraciné dans le sol, ce poids du pied de la plante lui donne sa stabilité. La sève qui parcourt la plante des racines jusqu’aux extrémités des branches lui donne son élan et la purifie. Elle fournit la nourriture nécessaire pour faire jaillir des rameaux d’espérance.

A Noël, nous pouvons laisser descendre les lourdeurs que nous portions. Elles appartiennent au passé, au vieux monde ; elles ont leur place dans le fondement sur lequel nous nous appuyons. Traversées par la bonne nouvelle de la naissance de Jésus dans notre monde et dans nos vies aussi, elles sont purifiées. L’apôtre Paul l’écrit à Tite : « Dieu nous a sauvé non en vertu d’œuvres que nous aurions accomplies nous-mêmes dans la justice, mais en vertu de sa miséricorde, par le bain de la nouvelle naissance » – c’est-à-dire le baptême – « et de la rénovation que produit l’Esprit Saint » (Tt 3,5).

Dé-préoccupés de ce qui nous alourdissait, nous pouvons, avec les bergers, nous pencher sur l’enfant de Noël, emmailloté dans la mangeoire, et louer Dieu qui, sans bruit, fait jaillir dans nos vies et dans notre vieux monde, la vie nouvelle dont tous bénéficieront un jour.

Homélie par le pasteur John Ebbutt pour le 4ème Avent, l’Annonciation, le 20 décembre 2020

Homélie par le pasteur John Ebbutt pour le 4ème Avent, l’Annonciation, le 20 décembre 2020

Lecture : Luc 1, 26-38

 

« Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi »

Voici la salutation qui résonne dans la maison de Marie. Une parole qui s’invite sous son toit comme une promesse offerte, une reconnaissance donnée mais aussi une part de mystère partagé.

Salutation la plus célèbre de la Bible, la plus fascinante aussi. 

« Ave Maria gratia plena » : Salutation en latin, parmi la plus recopiée, la plus illustrée, peinte, représentée.

L’ange Gabriel et Marie qui sont l’un en face de l’autre. Marie souvent à genoux, une main sur le cœur, l’ange les ailes déployées, une fleur de lys entre les deux, symbole de pureté. Et tout ce qui respire à la fois la majesté et l’humilité : « Je suis la servante du Seigneur » dit-elle face à son Envoyé.

Une salutation qui a nourri pendant des siècles les débats de théologiens.

Parce qu’on peut la traduire de tant de manière différentes. Elle n’a l’air de rien – comme lorsque l’on se salue entre voisins, quoique ce n’est pas spontanément ce que je dirais – je ne suis pas un ange, vous le savez bien !

On pourrait l’écouter aussi de cette manière : « Réjouis-toi Marie, le Seigneur t’a accordé une grâce particulière, il est avec toi » ou encore « Salut, toi que le Seigneur favorise et accompagne » ou bien encore, « je te salue, comblée de grâce ! » Marie avait-elle déjà ces qualités en elle ou devait-elle les faire grandir à cause d’une grâce ? Les deux certainement !

Ce qui compte c’est que dans ces quelques mots, il y a tout l’Evangile qui est nouveauté et reconnaissance.

Car entre l’ange et Marie, l’Envoyé et la jeune fille, le messager et la destinataire c’est bien la rencontre des opposés. Tout les sépares mais tout les rapproches aussi. Et c’est cela que l’on a trouvé extraordinaire depuis la nuit des temps. Ces quelques mots qui ont tout bouleversé. Voici l’irruption d’un ange, et une jeune fille tout juste fiancée.

« Kairé ! » dit l’ange en grec : réjouis-toi, sois joyeuse, une parole comme une belle entrée en matière !

Ca donne tout de suite le ton de son message. Une salutation non pas habitée par le sérieux, le formel, la soumission ou la crainte, mais la joie de la proximité, la joie d’une bonne nouvelle à entendre et à écouter sur le seuil de la vie qui s’engouffre d’un coup en elle.

Et puis l’ange ajoute : « tu es, littéralement, la favorisée, la bien-aimée », comme un nouveau nom qu’il lui donne à la place du sien. Marie, c’est celle qui se découvre appelée, choisie et aimée. Une belle mise en confiance ! Une belle salutation pour la rejoindre là où elle est ! Comme au baptême, à chacun de nos baptêmes : tu es mon fils, ma fille bien-aimée. KAIRE ! Réjouis-toi. Le temps de l’Avent, c’est un temps pour faire grandir la joie. Voilà un ciel qui se déchire, une parole qui rejoint, un souffle de fraicheur qui éveille également en elle, nous dit-on, un trouble intérieur.

« Elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation », qui ne l’a pas laissée indifférente!

Déconcertée, surprise, étonnée elle l’est, mais non pas habitée par le doute comme Zacharie mais plutôt par une interrogation, une quête de sens qui la parcourt, un désir de comprendre, et d’apprendre, de faire sienne une promesse qui trouble une quiétude, ce beau mot qui est une question. Qui es-tu de ? Etudier qui l’on est. Qui suis-je ? Il a porté son regard sur son humble servante, dira-t-elle dans sa louange toute magnifiée de cette découverte.

Oui, elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation pour elle, pour son être, pour sa vie.

Je suis reconnaissant pour ces petits détails que l’Evangéliste Luc nous a laissés dans cette annonciation qu’on pourrait voir de manière un peu figée, académique ou stéréotypée. L’ange, la jeune fille, tout semble aller de soi, et pourtant, derrière les représentations et les affirmations dogmatiques, moi je vois d’abord un ange qui ne s’adresse pas à une personne religieusement qualifiée, mais à une jeune fille qui est à l’aube de sa vie, qui est à l’heure des choix, des enthousiasmes, des incertitudes aussi.

Il n’y a pas de voix céleste, de halo de lumière, de chants au firmament : c’est une rencontre dans une modeste maison de Palestine. C’est dans son intérieur, avec un ange qui ne portait certainement pas des ailes, que quelque chose d’essentiel s’échange.

Et si ça se passe ainsi, c’est certainement pour nous dire que dans nos vies, entre deux tâches, dans le banal d’une journée à s’affairer entre l’évier et la foyer à entretenir, il peut y avoir la grâce d’un rendez-vous, d’un face à face, d’un dévoilement, d’une parole qui tout à coup fait le jour sans trompettes ni tambour, mais avec simplicité, clarté et franchise…

Marie devient par cette salutation, celle qui écoute. Oui, au fil de la rencontre, elle choisit d’écouter non ses résistances personnelles, une promesse absurde, incompréhensible, mais une demande particulière, pour petit à petit, faire une place au projet de Dieu en elle. Ce qui fait l’écoute de Marie, ce n’est pas sa grandeur d’âme, sa sainteté, mais c’est sa capacité à faire de l’espace. Elle laisse venir, elle se laisser habiter sans refus ni méfiance. Elle a cette ouverture de cœur qui la rend si sensible et attachante.

Ainsi, comme la graine tombe en terre, comme Dieu prend corps, la parole a le pouvoir de faire jaillir du neuf et du fertile.

C’est quand Marie écoute, qu’elle devient alors habitée par l’Esprit. Le temps de l’Avent, c’est celui d’une venue qui s’immisce, s’infiltre, se glisse au plus profond de nous.

L’Avent, c’est le temps des salutations. L’ange Gabriel est entré dans l’ordinaire des jours en suscitant un trouble qui s’est transformé en paix. Un Ainsi soit- il. Une acceptation, mais bien plus… et j’ai cherché le mot… mais peut-être que vous en aurez un meilleur, un acquiescement.

De même nous pouvons tendre l’oreille à cette salutation qui résonne de manière bienveillante, joyeuse, amicale, fraiche : Réjouis-toi ! 

Il n’est pas dit que les lassitudes et les fatigues doivent toujours avoir le dernier mot.

Comme la promesse d’un bourgeon dans l’hiver de nos vies, malgré le gel et la nuit qui semblent ne jamais vouloir finir, la semence grandit au secret de la foi qui acquiesce, qui dit oui

Que ce oui soit votre quiétude

Amen

Homélie par le pasteur Joël Pinto pour le 3ème Avent, le 13 décembre 2020

Homélie par le pasteur Joël Pinto pour le 3ème Avent, le 13 décembre 2020

Lectures : Philippiens 4, 4 – 9 (Es 61, 1-2a et 10-11 ; Jean 4, 4-7)
Dimanche Gaudete

En ce troisième dimanche de l’Avent, nous sommes invités à nous laisser envahir par la joie. Tout d’abord, c’est le messager d’Esaïe chap. 61 qui nous dit, devant une ville de Jérusalem ruinée par la guerre et par l’exil de ses élites, que le Seigneur lui a confié un joyeux message adressé à celles et ceux qui ont le cœur brisé, qu’il en est lui-même enthousiasmé et que son âme exulte à cause de la promesse que Dieu lui a faite. Ensuite, c’est l’apôtre Paul, dans sa lettre aux Philippiens, alors qu’il est lui-même enchaîné : Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps. Je le répète, réjouissez-vous !

En effet, il est important de nous réjouir car la joie est une émotion qui augmente le bien-être qui engendre lui-même encore plus de joie… Mais il ne faudra pas confondre la joie avec la gaité et la bonne humeur car, comme il est dit dans le livre des Proverbes chap.4, 13 « Même dans le rire le cœur s’attriste et la joie finit en chagrin ». La joie dont il est question dans les encouragements bibliques entendus tout à l’heure, n’est pas la joie des fêtards, ni le rire du naïf, mais plutôt, une paix intérieure née d’un profond sentiment de sécurité, la certitude que, quoi qu’il arrive, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, ainsi que l’espérance d’un monde nouveau. Mais comment se réjouir en ces temps moroses troublés par la pandémie et la perspective d’une crise économique d’une grande ampleur ?

Disons d’emblée que la joie dont nous parle le livre d’Esaïe et la lettre aux Philippiens s’inscrit dans un contexte troublé qui n’avait, d’ailleurs, rien d’exceptionnel. Voilà une réalité que nous oublions trop souvent aujourd’hui. Dans notre société de consommation, nous avons l’impression que toutes choses nous sont dues et qu’il est normal de pouvoir bénéficier de la nourriture, d’un logement, de la sécurité matérielle, de liberté… Mais ceux qui, parmi nous, ont connu des périodes de restriction savent bien que tout cela reste précaire. Rien n’est « normal » et, d’ailleurs, nous en faisons l’expérience quand quelque chose de précieux nous est enlevé. Souvent ce n’est qu’à ce moment-là que nous prenons conscience de ce que nous avions et à quel point cela était important pour notre vie. Aussi bien les réalités matérielles, que notre intelligence, notre santé, nos relations affectives, tout est fragile, tout peut disparaitre. Quelqu’un demanda une fois à un sage juif pourquoi il se réjouissait chaque matin, alors que le monde était toujours si menaçant. A quoi il répondit : c’est parce que ça pourrait être pire !

Bien sûr, notre vie n’est pas toujours rose et il peut y avoir des obstacles à la joie. Si un événement grave ou tragique survient dans notre vie, il ne faut pas le minimiser, ou le dénier. Il faudra plutôt l’affronter en se laissant peu à peu apaiser par cette joie profonde qui nous est donnée quand nous découvrons que Dieu est aussi présent au cœur de nos détresses. Alors, nous pourrons faire l’expérience que là encore il veut nous donner la force, l’énergie, le courage, bref ce dont nous avons besoin pour traverser l’épreuve.

La véritable joie, nous aide à prendre conscience de la précarité de nos vies et nous invite à la foi et à la confiance envers ce Dieu qui veut notre bonheur. Cela nous rend lucides vis-à-vis de nous-mêmes et nous entraîne, enfin, à la solidarité envers celles et ceux qui en sont dépourvus, qui sont dépossédés des biens de ce monde ou qui sont terrassés par la maladie. Nous réjouir, tout en prenant conscience de notre précarité, est une attitude spirituelle qui n’est pas évidente et c’est bien pour cela que nous sommes appelés à la développer.

Les trois textes bibliques que nous avons entendus nous placent, de ce fait, au cœur de cette attitude spirituelle qui nous permet de vivre notre vie de créatures qui se réjouissent d’attendre tout de Dieu. Dans le texte de Paul, il est question non seulement de se réjouir mais aussi de ne pas être inquiets, de demander et de rendre grâces ! Jésus avait dit à ses disciples : « Demandez et vous recevrez » et Paul, en écho au sermon sur la Montagne, exhorte : « Ne soyez inquiets de rien, mais en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d’actions de grâces, faites connaître vos demandes à Dieu ».

Il y a donc tout au long de la Bible ce lien entre la joie profonde, qui naît de la certitude que Dieu entend nos prières, et l’action de grâces pour ce qu’Il a déjà accompli ou va bientôt accomplir. La joie du croyant est aussi une joie anticipatrice ! Voilà pourquoi Paul nous exhorte non seulement à la joie, mais aussi à la sérénité, à la prière de demande et à l’action de grâces.

Bien sûr que nous ne savons pas toujours nous rendre disponibles pour la joie. Nous ne savons pas toujours formuler nos demandes, car nous ne savons pas toujours ce qu’il nous faut demander. Et dans un monde qui se suffit à lui-même, nous jugeons enfantin de dire merci à un Dieu qui veille sur nous… ce qui nous bloque encore plus ! Cependant, si nous sommes tentés par ce repli sur nous-mêmes, l’exhortation biblique de ce matin nous aide à découvrir une nouvelle dimension dans notre vie spirituelle et à entrer dans l’émerveillement.

On le voit bien déjà dans nos rapports humains :

  • Les sceptiques, qui ne se réjouissent jamais parce qu’ils voient toujours le verre à moitié vide
  • Ceux qui ne demandent jamais rien, soit parce qu’ils n’osent pas soit parce qu’ils ne veulent dépendre de personne
  • Ceux qui n’éprouvent pas de gratitude, parce qu’ils sont trop orgueilleux et se ferment à toute relation.

Dans ce cas, au lieu de ressasser toutes les blessures, comme nous le faisons souvent, il est bon de faire mémoire de toutes les bonnes choses qui ont marquées nos vies, ces actes gratuits, ces bontés, ces générosités, et murmurer alors notre reconnaissance !

Cela est encore plus nécessaire dans la vie spirituelle. En développant une relation avec Dieu par la prière et l’action de grâces, nous verrons naître la joie véritable dans nos vies. Nous comprendrons alors que la joie, liée à cette capacité de demander et de recevoir, soit au cœur de l’Evangile. Demander, c’est nous situer dans notre vérité devant Dieu, c’est renoncer à nous construire nous-mêmes pour laisser Dieu nous modeler ou reconstruire, c’est nous situer à notre juste place de créature, avec nos limites, nos imperfections, nos difficultés, devant notre Créateur qui nous veut du bien. Demander, c’est reconnaître en Dieu celui qui donne non seulement ceci ou cela, mais qui nous donne tout ce que nous sommes. Nous pourrons alors recevoir de la main de Dieu et donner aussi, un peu, aux autres…dans ce vaste échange de la vie où chacun peut recevoir et donner. Entrer ainsi dans la demande et l’action de grâces, c’est découvrir la dimension de totale gratuité des échanges et vivre alors dans l’émerveillement !

Homélie par la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson pour le 2ème Avent, le 6 décembre 2020

Homélie par la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson pour le 2ème Avent, le 6 décembre 2020

Lectures : Esaï 40, 1-11, 2 Pierre 3, 8-14, Marc 1,1-8

Comme quelques éléments tombés de la hotte de St Nicolas, biscôme, mandarine, chocolat, cacahuète, voilà quelques pistes en début de journée pour méditer ces textes du 2e dimanche de l’Avent.

Le texte d’Esaïe forme le prologue à la 2e partie du livre. Il en est l’ouverture et en donne le ton : « réconfortez, réconfortez mon peuple ! » [1]
Parole adressée à ….. nous aujourd’hui. Doublement :
Dieu vient nous consoler, comme une mère, un père, un ou une proche, vient nous prendre dans ses bras et prendre le temps d’écouter « mais qu’est-ce qui n’va pas ? », tapotant de temps en temps sur l’épaule[2]

Accueillies et entendues, soulagées, nous pourrons aussi entendre cette parole comme un envoi : « réconfortez, réconfortez mon peuple ! ». Serait alors envoyé-e toute personne qui sait consoler. Chacun-e son voisin, telle connaissance ; par un téléphone, une carte, le partage d’un panier solidaire, un sourire à distance, un simple geste de la main et en particulier en cette période où le Covid interrompt les rencontres, crée une crainte et incertitude qui use et mène au repli sur soi.
« réconfortez, réconfortez mon peuple ! » 

ou « consolez, consolez mon peuple ! » – littéralement c’est « respirer plus à l’aise, comme soulagé d’un poids ». Il en va d’une libération intérieure – un verbe qui prend en compte notre corps. En parallèle, Esaïe met « et parle au cœur » – le cœur est dans la langue hébraïque le lieu de la réflexion et de la décision. Le mouvement de réconfort, l’appel s’adresse à toute notre personne, corps et réflexion, à l’entier de qui nous sommes[3].

J’étais en train de peller le chemin de la cure jusqu’à la route, le dégageant de la neige, quand je me suis demandé pourquoi c’est dans le désert qu’il faut faire un chemin pour le Seigneur. N’est-ce pas étonnant ? Pourquoi aplanir des vallons, des collines dans le désert ? Quand on attend un grand homme, une personnalité, le cortège devrait plutôt passer dans la capitale, une grande ville ? Dans l’idée de « ouvrez les portes de la ville, ouvrez les portes du saint lieu » ?
Selon les commentaires, il pourrait s’agir de la région peu peuplée, montagneuse au nord-est de Jérusalem. Le chemin à préparer serait celui qui, finalement, mène à Jérusalem. Lire ce texte en Avent, c’est une manière de dire : il y a encore du chemin, de la marche, dans les cailloux, mais il vient, le Seigneur Dieu (40,9.10). Et c’est ce chemin d’approche que nous pouvons préparer.

Mais le désert n’est pas qu’un endroit géographique. Dans la Bible, c’est un lieu de forces hostiles (Lév. 16,10), mais aussi le lieu de l’alliance entre Dieu et son peuple (Osée 2, 16-18) ; le mot pour vallon signifie presque sans exception dans la Bible la vallée de la mort, de l’ombre, du pourrissement (ex : ps 22,4). La « montagne » peut être le symbole du pouvoir politique (contre Babel Jerémie 51, 24-26) et « ce qui est abaissé » décrit le plus souvent une position sociale basse (1 S 2,7s). « Que l’éperon devienne une plaine » est littéralement « que ce qui est courbé, tordu soit rendu droit », un terme souvent utilisé dans le contexte de la justice et du droit[4].

Le chemin à dégager dans ce désert a donc de multiples aspects : politique-social, éthique, existentiel. Il s’adresse à mon orgueil, ma volonté de pouvoir (montagnes et collines à rabaisser) ; il s’adresse aussi à moi quand je ne me prends pas au sérieux avec mes capacités, me complait dans une impuissance imaginée. Il invite à voir ce qui, peut-être, pourrit tout au fond pour le porter devant Dieu (vallon à relever). Je suis questionnée dans des fonctionnements tordus et invitée à la droiture.
Et plus que cela, dégager ce chemin, n’est pas qu’une introspection existentielle, mais aussi un engagement concret dans le monde où je peux agir avec le 100% de ma toute petite puissance.
Nous nous y engagerons reconnaissants et lucides : avec reconnaissance pour l’accueil et tout ce qui nous est déjà donné ; avec lucidité, observant et décidant avec tout notre esprit[5]

Préparer son chemin dans nos déserts, c’est nous laisser transformer intérieurement par sa venue. C’est aussi participer par notre action à la rendre perceptible pour tous les humains, mes semblables.

 

J’ai un ami qui de temps en temps disparait quelques heures ou quelques jours : « je vais au désert » qu’il dit. Il se retire, prend un temps pour lui, où se poser, se retrouver, réfléchir devant Dieu.

Dans l’évangile de Marc aussi le désert est le lieu où Jésus se retire, à l’écart, pour prier (Mc 1,35). C’est le lieu de la tentation (Mc 1,12). — Mais aussi, et même deux fois comme s’il fallait le souligner J ! – le lieu de la multiplication des pains (Mc 6, 31ss et 8,4)[6]. Le récit du manque et de la nourriture en abondance, pour tous, se passe dans l’év de Marc les deux fois au désert.

Le Covid nous met en isolement, en quarantaine – des temps de désert où l’on se retrouve face à soi-même sans y être préparé, sans l’avoir choisi. Et ce n’est pas facile.

Les textes de ce matin me disent que ce temps peut aussi être un temps de renouvellement, de nouveau commencement, d’ouverture à celui qui console…, déjà, d’abord. D’ouverture à celui qui vient.
« Commencement » dit Marc, « commencement de la bonne nouvelle… (…) dans le désert »

Cette bonne nouvelle sera révélée progressivement tout au long de ce très petit livre, l’évangile de Marc, qui a marqué l’humanité, une bonne nouvelle qui sera aussi révélée progressivement tout au long d’une vie.

amen

 

 

[1] Le verbe sera utilisé 16 fois dans les chapitres 40-66 d’Esaïe

[2] Voir aussi l’image du berger, v.11

[3] Pour ces paragraphes voir Klaus Baltzer, Deuterojesaja (Kommentar zum Alten Testament), 1999, p.82 qui dit aussi que « Réconfortez, réconfortez mon peuple ! dit votre Dieu» résume toute la proclamation du Deutéro-Esaïe : le temps est arrivé où « Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » Jer 31, 34

[4] Ibid. p.86s

[5] “Reconnaissance et lucidité” pour l’agir chrétien est une formule chère à M.M.Egger (info par C-L. Vouga)

[6] Ched Myers, Binding the Strong Man. A political reading of Mark’s story of Jesus, Orbis Book, Maryknoll New York, 1988, p.125s

 

Homélie par le pasteur Pierre Bühler pour le 5 novembre 2020

Homélie par le pasteur Pierre Bühler pour le 5 novembre 2020

Lectures bibliques: 1 Pierre 3,8-13, Luc 15,8-10

 

Chères sœurs en Jésus-Christ,

Les autorités en ont décidé ainsi : pour des raisons sanitaires, les célébrations religieuses, sauf les funérailles, sont de nouveau interdites. Et vous voilà de nouveau contraintes de fermer votre accueil. Et une fois de plus, comme au printemps passé déjà, me voilà empêché de venir prêcher de vive voix à Grandchamp ! Mais la Parole de Dieu peut se faire entendre quand même, pour éclairer de sa lumière la situation que nous traversons. Elle a pu trouver la bonne terre, malgré les bords de chemin, les oiseaux, les endroits pierreux et les épines (cf. Marc 4,3-9). Elle ne se laissera donc pas abattre par ce coronavirus qui sème le chaos et la souffrance un peu partout. La Parole de Dieu continuera de faire son travail : comme la femme de notre parabole, elle continuera à chercher sans répit ce qui est perdu. C’est dans ce sens que nous voulons nous mettre à l’écoute des textes bibliques qui viennent d’être lus. Qu’ont-ils à nous dire en ces jours de fermeture, d’isolement ?

Le passage de la première épître de Pierre est habité par une tension frappante. Il appelle d’abord à une attitude de compassion réciproque : « soyez tous – et toutes – dans de mêmes dispositions, compatissants, animés d’un amour fraternel, miséricordieux, humbles. Ne rendez pas le mal pour le mal, ou l’insulte pour l’insulte. » (vv. 8-9a) Une exhortation qui est tout à fait adéquate en nos temps de pandémie : la solidarité, l’entraide. Dans l’ArcInfo de samedi, l’éditorial de Sophie Winteler se terminait par la phrase : « Plus que jamais, nous avons besoin les uns des autres. »

Mais en même temps, ce passage contient une longue citation du Psaume 34 qui lui donne une pointe polémique : « qui veut aimer la vie et voir des jours heureux doit garder sa langue du mal et ses lèvres des paroles trompeuses ». Voilà une exhortation adéquate, elle aussi, en nos temps de « fake news », de fausses vérités, de tromperies qui suscitent la division, la suspicion et finalement la violence. Une fois de plus, nous en avons une illustration ces derniers jours avec les élections présidentielles aux États-Unis : au lieu d’accepter sa défaite, le président Trump insulte son adversaire, accuse le parti démocratique de fraude électorale, engage des procédures judiciaires et met ainsi en péril la démocratie, parce qu’il faut gagner à tout prix, il faut être le plus fort. Mais plus globalement, nous assistons également au développement de toutes sortes de théories de soupçon, d’ailleurs aussi en lien avec le coronavirus : nous serions tous manipulés par des groupes maléfiques. On a même inventé un terme pour ça : le complotisme. Que de paroles trompeuses qui se répandent et qui répandent ainsi le mal, le mal de la peur, de l’inquiétude, de la colère et de la vengeance, qui fait qu’on veut rendre le mal pour le mal, l’insulte pour l’insulte ! Et nous voilà pris dans une spirale du mal qui gagne peu à peu de l’ampleur et entraîne bien des malheureux dans son mouvement.

Par rapport à ce danger, il me semble y avoir dans notre texte trois enseignements successifs qui peuvent nous guider dans notre vie qutidienne.

Il y a tout d’abord, à l’opposé du règne des paroles trompeuses, la solidarité et la compassion réciproque que j’ai déjà mentionnées tout à l’heure. Avant la pandémie déjà, mais encore plus depuis qu’elle nous a envahis, certains économistes et philosophes se demandent quel genre d’économie il nous faut, et l’accent est de dire que nous n’avons plus besoin d’une économie du profit à tout prix, du gain, de l’enrichissement, mais d’une économie du « prendre soin ». S’inspirant de l’anglais, ils parlent de l’économie du « care », des soins portés les uns aux autres. Le mot grec qui est à l’origine du terme « économie » est oikos et signifie la maison, la maisonnée. Il s’agit donc de prendre soin de toutes celles et tous ceux qui font partie de cette maisonnée, sans en oublier. Et notre Terre tout entière est une telle maisonnée, une oikos dans laquelle personne ne doit être abandonné, surtout pas les petits, les faibles. LeaveNoOneBehind, « ne laisser personne derrière », était le slogan de ceux qui voulaient que les camps de réfugiés des îles grecques soient évacués.

Voilà un autre discours que le discours à la Trump, qui n’a que faire des petits, qui ne pense qu’au plus fort. Et cela me fait passer à mon deuxième enseignement : face à la médisance des paroles trompeuses, nous sommes exhortés à la bénédiction : « bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction, » (v. 9b) Au sens littéral, « bénir », qui vient du latin benedicere, signifie « dire du bien », « dire le bien », et non pas le mal, justement, comme les paroles trompeuses. Mais cela signifie aussi « faire du bien par la parole », parce que cette parole dit l’accueil, la reconnaissance, le respect, la sollicitude. C’est à cela que nous sommes appelés, dit le texte. La bénédiction est notre vocation. Et cela s’oppose à la spirale du mal évoquée auparavant : comme Dieu nous bénit et nous bénissons Dieu, en répandant la bénédiction autour de nous, nous pouvons susciter une spirale du bien, où celles et ceux qui bénissent, disent le bien, deviennent aussi héritiers de la bénédiction, reçoivent le bien et le partagent avec celles et ceux qui n’en ont que très peu, qui souffrent d’avoir été plus exposés à la médisance, au mal, qu’aux paroles qui font du bien, qui régénèrent, qui guérissent.

Et cela me fait passer au troisième enseignement : pris dans l’heureuse spirale de la bénédiction de Dieu, nous pouvons être sans cesse « zélés pour le bien » (v. 13), sans nous soucier de savoir si cela nous sera source de souffrance ou non. Comme le dit l’épître un peu plus bas : « Car mieux vaut souffrir en faisant le bien […] qu’en faisant le mal. » Faire le bien, comme le dit le Psaume cité, c’est » rechercher la paix et la poursuivre », là où sont semées la discorde, la violence. Certes, nous ne le réaliserons jamais une fois pour toutes, ce bien qui apaise, qui rend heureux, qui donne confiance. Mais nous ne cesserons jamais d’aspirer à lui, malgré les échecs, les revers qui nous guettent.

Parce que Dieu s’est montré solidaire avec nous, nous pouvons répandre cette solidarité autour de nous. Parce que Dieu nous a béni-e-s, nous pouvons redire sans cesse cette bénédiction, source d’amour et de bonheur. Parce que Dieu s’est montré zélé pour notre bien, jusqu’à la mort, nous pouvons être zélés pour le bien de toutes celles et tous ceux qui vivent sur cette Terre, notre grande maisonnée, dans laquelle aucun n’est trop petit pour être respecté. Nous ne cesserons donc pas d’aller chercher ce qui perdu par les grands qui sont sans égards, qui se détournent.

Cette triple espérance ancrée en le Dieu de Jésus-Christ nous porte à travers les temps de fermeture, d’isolement, de restrictions. Cela vaut aussi pour vous, chères sœurs de Grandchamp. Même sous le signe de la pandémie, et je dirais même : surtout sous le signe de la pandémie, avec tous les renoncements qu’elle implique, notre travail peut continuer. Nous pouvons poursuivre notre tâche de témoins. Dans ce sens : soyez compatissantes et animées d’un amour fraternel, miséricordieuses et humbles ; bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelées ; demeurez zélées pour le bien ; comme la femme de la parabole, continuez d’aller chercher celles et ceux qui sont perdu-es. Et votre oikos, votre maisonnée sera un ferment d’espérance et de lumière, en ces temps de tristesse et d’obscurité. Amen.

Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de tous les saints témoins le 1er novembre 2020

Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de tous les saints témoins le 1er novembre 2020

Lectures : Ap, 2-17 et Mt 5,1-12

Bonne fête à vous,

Le saintes de la Communauté de Grandchamp,

Et à vous aussi,

Les saints et les saintes qui les ont rejointes pour cette célébration dominicale !

Nous avons entendu ces derniers jours la lecture des derniers chapitres de la Lettre de Paul aux Romains, dans lesquels il parle de ses projets d’aller à Jérusalem rendre visite aux chrétiens qui s’y trouvent et qu’il appelle les saints de Jérusalem (R, 15,25-26). Il recommande aux saints par appel qui sont à Rome (Rm 1,7), c’est-à-dire aux chrétiens de Rome, il recommande Phoebé, ministre de l’Eglise de Cenchrée, demandant qu’on l’accueille dans le Seigneur d’une manière digne des saints (Rm 16,2). Plus loin, il demande encore de saluer Philologue et Julie, Nérée et sa sœur, Olympas et tous les saints qui sont avec eux (Rm 16,15). A l’époque de Paul, « saint », qui veut dire « consacré à Dieu », est un terme qui désigne tout simplement les membres d’une communauté chrétienne. Aucune procédure de canonisation n’a encore été mise en place pour aboutir à l’attribution de cette appellation. Alors, dans la tradition des premiers chrétiens, et puisque nous fêtons aujourd’hui tous les saints, je n’hésite pas à vous inclure tous parmi les fêtés.

Bonne fête à vous tous !

Car la Bonne nouvelle de l’alliance nouvelle et éternelle conclue par notre Seigneur Jésus Christ, c’est qu’il n’y a plus de séparation entre des élus et les autres. Tous sont appelés, élus par l’amour inclusif de Dieu.

Le visionnaire de l’Apocalypse en donne une image saisissante. Il voit une foule immense, si grande que nul ne pouvait la dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues, se tenant devant le trône de Dieu, lui rendant un culte nuit et jour. Ils sont vêtus de robes blanches, comme on en voit de nombreuses aujourd’hui dans cette chapelle. Et l’un des anciens précise au visionnaire qu’ils ont blanchi leurs robes dans le sang de l’agneau. Autrement dit, ce sont tous ceux qui sont entrés dans l’alliance avec Dieu que Jésus a scellée lors de son dernier repas avec ses disciples., lorsqu’il leur a partagé la coupe de son sang, dont il a précisé qu’il était le sang de l’alliance, versé pour la multitude (Mc 14,24 et parallèles). Car en Jésus l’alliance a été élargie à toute l’humanité et non plus réservée seulement au peuple d’Israël, qui est aussi là dans la vision par la présence des 144’000, nombre symbolique pour représenter les 12 tribus (12 fois 12’000). Le Christ a ouvert l’alliance à la multitude et les saints ne sont pas rares, mais impossibles à dénombrer.

L’ancien qui converse avec le visionnaire, ajoute encore que ceux qui appartiennent à cette multitude n’auront plus ni faim ni soif, er que Dieu essuiera les larmes de leurs yeux.

C’est une confirmation directe de la promesse faite par Jésus au moment où il prononce les Béatitudes : Ceux qui ont faim et soif de justice seront rassasiés, ceux qui pleurent seront consolés. Après la grande épreuve, ils ont trouvé le bonheur tant attendu.

Ce bonheur, Jésus l’avait donc énoncé dans une série de béatitudes : Heureux…

Mais d’où pouvait-il avoir connaissance de ce bonheur, sinon par la prière, par la relation intime qu’il entretenait avec son Père du ciel. Alors, certes, on peut se dire qu’il puise dans sa relation intime avec le Père une certaine représentation de ce qui peut combler ceux qui sont entrés dans l’alliance avec Dieu. Mais puisque Dieu est celui qui instaure l’alliance, ne pourrait-on pas aussi entendre dans les Béatitudes une représentation de ce qui comble Dieu lui-même, lui qui est le Saint ?

Alors, bien sûr, si l’on veut écouter les Béatitudes pour parler de la manière dont Dieu trouve son bonheur, il faut un peu adapter la lecture.

« Heureux les pauvres de cœur ». je ne sais pas bien ce que pourrait signifier que Dieu est pauvre de cœur ; surtout que le texte de l’Evangile selon Matthieu dit plutôt, si l’on traduit littéralement : « Heureux les pauvres en esprit ». Or Dieu n’est pas pauvre en Esprit. C’est plutôt qui avons besoin de son Esprit ; nous en sommes pauvres sans lui qui nous le donne. Mais lui, il est pauvre de nous jusqu’à ce que nous nous donnions à lui. Alors il devient riche de nous et, alors, ce n’est pas le Règne des cieux qui sera à lui, mais le règne sur la terre.

« Heureux les doux » : Dieu n’est-il pas celui qui est doux par excellence et qui aura la terre en partage au bout de sa douce persévérance ?

« Heureux ceux qui pleurent » : oui je crois que Dieu pleure avec ceux qui pleurent et qu’il espère le jour où il sera consolé parce que toute l’humanité sera entrée dans son alliance.

« Heureux ceux qui ont faim et soit de justice » : depuis les débuts de l’histoire de Dieu avec son peuple, il crie sa faim et sa soif de justice. Les prophètes n’ont cessé de le répéter. Il attend encore.

« Heureux les miséricordieux » : toute la tradition biblique nous dit que Dieu est le Miséricordieux. Saurons-nous, un jour enfin, être miséricordieux à son égard ?

« Heureux les cœurs purs » : nul ne peut entrer pleinement dans le mystère de Dieu pour parler du cœur de Dieu, mais il est clair que le cœur de Dieu est sans duplicité. Ici, reconnaissons qu’il n’y a pas besoin de parler au futur : Dieu ne nous verra pas, parce que Dieu nous voit déjà tels que nous sommes.

« Heureux les artisans de paix » : Dieu ne cesse de chercher la paix. Là aussi, il est à la source de la paix, déjà…

« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice » : Dieu ne cesse d’être la cible de violences, rejets, etc.

Cette lecture des Béatitudes appliquée à Dieu nous montre que ce qui peut faire le bonheur de Dieu est indissociable de ce qui peut faire le nôtre. Dieu ne sera heureux que lorsqu’il n’y aura plus d’injustice sur terre, c’est-à-dire que toute l’humanité sera entrée dans son alliance. Alors tous seront saints et la fête de tous les saints sera la fête de toute l’humanité devenue peuple saint de Dieu.

Pour aujourd’hui, réjouissons-nous déjà avec toute la multitude des saints qui sont sur terre ou déjà auprès de Dieu, dans l’espérance de l’accomplissement de l’alliance universelle.