Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour le 30 juillet 2020

Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour le 30 juillet 2020

Marc 6,45-52

Alors, qu’est-ce qu’ils n’avaient pas compris ? Il est vrai que les disciples de Jésus avaient eu ce privilège unique d’avoir vécu un moment historique de l’humanité, mais nous, nous bénéficions cet avantage de lire et de relire ce qui s’est passé, ce qui se passe, avec l’ensemble de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ. Comme on dit, on est toujours plus intelligent après. Alors, nous avons lu ce matin encore l’histoire des pains, cette histoire d’un incroyable banquet en plein air. Qu’est-ce que les disciples avaient échoué à comprendre pour rester à la fin bouche bée, bouleversés et paralysés, devant ce Jésus qui les rejoint ?

Mais avant de remonter le temps, pour nous qui pouvons feuilleter et consulter la Bible, des commentaires et des études de savants autant que nous voulons, nous serions tentés de pointer l’inintelligence des disciples et leur endurcissement du cœur dans ce récit de la marche sur les eaux lui-même. On pourrait dire, en effet, qu’ils n’ont pas réussi à voir la manifestation de la puissance divine dans notre histoire. Qui donc aurait pu marcher sur la mer si ce n’est Dieu dont le souffle planait à la surface des eaux bien avant que quelque chose existe (Gn 1,2 ; voir aussi Job 9,8 ; Ps 77,20 ; Es 43,16) ? Qui aurait pu maîtriser l’eau et le vent de cette manière si ce n’est celui que Dieu avait promis d’envoyer, afin qu’il vainque la puissance du mal secouant notre existence comme une tempête et celle de la mort menaçant de noyer notre existence à jamais ? Ils auraient dû dire « alléluia » au lieu de crier « fantôme » à la vue de la silhouette de Jésus qu’ils avaient quitté il y a à peine 6 à 9 heures. En plus, Jésus calme les disciples affolés en disant : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ». Tenez, ils n’ont pas su reconnaître ou accueillir ces expressions rappelant le nom de Dieu (Ex 3,14 ; Es 43,1-3.10-11) et son apparition (Ex 14,13 ; 20,20).

Mais n’allons pas si vite : on est toujours plus intelligent après. Et souvenons-nous : l’évangéliste nous dit que, si les disciples n’arrivent pas à réaliser ce qu’ils sont en train de vivre, c’est parce qu’ils n’avaient rien compris à ce qui s’était passé dans l’histoire de la multiplication des pains. Alors, qu’est-ce qu’ils auraient dû comprendre ? Qu’est-ce que nous aurions dû comprendre ce matin ? Est-ce le fait que le Christ tout-puissant maîtrisant des éléments de la nature n’est compréhensible qu’en lien avec ce Jésus qui se laisse prendre pitié de la foule affamée de la parole et du pain ? Ou, est-ce le fait que celui qui sait marcher sur les eaux, dominer la puissance de la mort, n’est pas séparable de celui qui donne à manger et qui se donnera à manger à travers sa passion et sa mort sur la croix ? Ou bien encore, y avait-t-il quelque chose à comprendre avec les douze paniers remplis du reste à la fin du repas ? Qu’est-ce que Jésus en a fait au fait ?

Je ne vous ennuierai pas longtemps avec toutes ces hypothèses. Vous en trouverez de meilleures. Mais une chose est sûre. Avec cette petite remarque finale de l’évangéliste Marc, nous sommes tout à coup embarqués dans la même barque que ces disciples. Nous sommes nous aussi invités à remémorer ce qui s’était passé auparavant pour comprendre ce qui se passe maintenant. C’est en nous souvenant sans relâche de qui était ce Dieu que nous reconnaissons ce qu’il fait aujourd’hui. C’est en nous rappelant ce que Dieu avait promis que nous découvrons la direction qu’il nous montre aujourd’hui. Par sa vie, sa mort et sa résurrection, le Christ nous dit que le Dieu de l’univers, c’est celui qui crée, aime et sauve, comme il l’était hier et comme il le sera demain.

C’est pourquoi il est important d’apprendre sans cesse à découvrir et à reconnaître dans le passé lointain et proche de notre existence les traces de Dieu : sa main, son « coup de pouce » ou son « stop », son souffle, sa voix, ses oreilles tendues, ses pleurs ou ses rires, ses expressions de désarroi ou de joie… Lire l’histoire de chacune, de chacun ou celle d’une communauté avec cette loupe repérant les traces de Dieu, cela pourrait apparaître aux yeux du monde comme quelque chose d’incompréhensible. Mais c’est la manière d’écrire l’histoire que le Christ nous a apprise : il dit que le Dieu que nous prions est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qu’il est le même de Pierre, de Marthe et Marie, de Lazare, et qu’il est le même de chacune et de chacun de nous.

En lisant ce que Dieu a laissé comme empreintes, comme traces, dans ce que nous avons vécu, peut-être apprendrons-nous à accueillir celui qui vient nous rejoindre aujourd’hui avec un peu plus de confiance, cela malgré l’obscurité qui nous entoure, malgré la fatigue de ramer contre le vent. En nous rappelant mutuellement comment Dieu est apparu dans nos vies, peut-être saurons-nous nous réjouir à l’écoute de sa voix : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur » et lui répondre : « Nous voici. Où veux-tu nous emmener ? » Bien sûr, nous serons toujours plus intelligents seulement après. Mais que voulez-vous ? Nous ne suivons pas le Christ pour devenir intelligents. Nous le suivons parce que cette vie est vraie.

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour Fête de Béthanie le 29 juillet 2020

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour Fête de Béthanie le 29 juillet 2020

 

Mes sœurs, mes frères, Élie est accueilli par une veuve pauvre et son fils au temps de la famine. Jésus a été l’hôte de Marthe, Marie et Lazare. Bien des récits bibliques placent l’affrontement de la vie et de la mort au cœur d’une réalité humaine essentielle : la famille, la maisonnée, l’hospitalité.

Au point que l’on peut se demander si la famille, la maisonnée, l’hospitalité n’est pas le lieu fondamental où la mort est vaincue et où Dieu peut faire triompher la vie.

I

Dans la chapelle d’une communauté de religieuses à Riga, j’ai vu une création artistique audacieuse et très inspirée. Derrière la table sainte, sur le mur qui tient lieu de chœur, on peut contempler trois icônes : à gauche, Marie, la mère du Sauveur ; à droite, Jean le disciple bien-aimé. Nous les voyons à la place qui est d’habitude la leur au pied de la croix. Mais voici que l’icône placée au centre ne représente pas la crucifixion, mais une maison….

Une fois les premiers instants de surprise passés, cet ensemble d’icônes m’a semblé communiquer un message très fort : c’est dans l’hospitalité que le don de la vie de Jésus peut être annoncé aujourd’hui de manière privilégiée. D’ailleurs, la chapelle dont je vous parle est au cœur d’une maison des sœurs de Béthanie.

La jeune artiste qui a eu l’intuition et l’audace de remplacer la représentation du Christ en croix par une représentation de l’hospitalité, nous conduit vers l’accueil de cette vérité bouleversante : l’extrême amour de Dieu, tel qu’on le découvre sur la croix, a besoin de l’hospitalité pour s’incarner aujourd’hui. C’est dans l’hospitalité que le don de Jésus peut être rendu perceptible à nos contemporains. Le don de vie que Jésus veut faire, c’est dans la réalité d’une maisonnée qu’il se révèle et qu’il peut être accueilli par les hôtes de passage.

II

Mais l’hospitalité ne va pas de soi. Pas plus que l’unité pour laquelle Jésus a expressément et intensément prié au moment de consacrer sa vie. L’hospitalité, pour se réaliser vraiment, a besoin d’être reliée à l’amour de Jésus. Les relations d’une maisonnée ont besoin de se nourrir de la présence de Jésus lui-même.

Il est bouleversant de songer à la forme si étonnante de réciprocité[1] entre Marie, Marthe, Lazare d’une part et Jésus d’autre part. À l’heure de donner sa vie, Jésus a eu besoin de vivre une amitié tout humaine auprès d’amis proches. Jésus a choisi l’accueil de trois amis de cœur particuliers, précisément à l’heure de se donner pour l’ensemble des humains. Le patriarche Athénagoras nous en livre le secret : « Jésus, Dieu, ne nous aime pas en tas, comme une foule indistincte, mais il a une préférence pour chacun ! Telle est la manière que Dieu a de nous aimer : il nous préfère chacun ! » (Ce qui nous libère du malheur épuisant de la comparaison aux autres !).

« Jésus aimait Marthe, et sa soeur et Lazare. » Il allait volontairement à la croix, pour lutter et vaincre dans un drame cosmique et même alors, alors justement, il a eu besoin de s’arrêter parmi ses amis, de goûter encore une fois cet amour humain… [2]. Pourquoi ? Profondément, parce que l’enjeu et le fruit du don de sa vie par Jésus est de redonner à l’humanité la possibilité de croître comme une maisonnée.

III

Grâce aux évangiles, nous pouvons pressentir comment Dieu en lui-même vit et accomplit l’hospitalité. Les Personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit sont distinctes, mais sans aucune rivalité, dans un rapport d’hospitalité réciproque, nourrie par une confiance qui engendre la liberté.

Totale est la confiance du Père envers le Fils : « Celui-ci est mon Unique, en qui j’ai mis et à qui j’ai confié tout mon amour ». Le Père fait confiance au Fils et il nous demande de faire une entière confiance à ce Fils unique. Il nous dit : « Écoutez-le ! ».

Le Fils, sachant la confiance du Père, déploie librement sa propre liberté : « Ma vie, personne ne me la ravit ; c’est moi qui la donne ».

À l’heure de quitter ses disciples, le Fils fait une entière confiance à l’Esprit : « Il prendra de ce qui est à moi pour vous le donner. Ainsi il vous consolera, il vous affermira ».

Et maintenant ?En ce moment-même, l’Esprit œuvre avec patience et force pour étendre dans nos vies la confiance et la liberté propres à Dieu : « Nous ne savons pas comment prier, alors l’Esprit lui-même intercède en nous ; avec lui nous osons crier : ‘’Qui libérera ma liberté ?’’ ».

– Louange au Ressuscité ! Rien, rien ne peut empêcher sa présence auprès de nous. Rien ne peut l’empêcher de nous donner part à l’amour du Père qu’il a illustré sur la terre et qu’il a accompli parmi nous. L’aujourd’hui de cet amour doit pouvoir s’incarner dans des lieux où des filles et des fils de Dieu s’exercent à l’hospitalité réciproque.

« Aimez-vous les unes, les uns les autres, comme Je vous ai aimés. Aimez-vous et accueillez-vous afin que le monde croie à l’amour dont je vous aime, comme le Père lui-même m’a aimé ».

La pratique de l’hospitalité exclut toute attitude revendicatrice, de même que l’esprit de comparaison. Pour y parvenir, les artisans d’hospitalité développent l’esprit de reconnaissance et le don de l’émerveillement.

Prélude privilégié du Royaume, l’hospitalité suppose la patience -qui est une forme de l’amour et de l’espérance -.

La patience, mais tout en même temps la ténacité -qui est une forme de la vigueur et de l’empressement-.

L’hospitalité à laquelle les humains doivent s’exercer est donc humblement mais réellement reflet de la maisonnée du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.  

Vous verrez d’ailleurs que l’icône de ce matin nous présente la maison de Béthanie comme une discrète Trinité : la maison évoque les demeures du Père ; un rocher rappelle que Moïse fit jaillir l’eau vive annonçant l’Esprit ; le souffle de l’Esprit met en mouvement les feuilles couleur sang d’un arbre de vie symbolisant le Fils crucifié.

Devant le seuil de la maison, le sol est de verdure, et celle-ci gagne tout l’espace qui longe les murs. Ainsi fructifie sur la terre des hommes la vie donnée et multipliée par Jésus Sauveur. Ressuscité, le bon Berger offre à ses brebis de verts pâturages. Pour ceux qui le suivent, son alliance déploie un espace de délices.

L’entrée de la maison du Père est étroite. La maison elle-même est élancée comme une tour. Rien de pesant dans l’évocation de la grandeur divine, mais une humble et pressante invitation à regarder aux réalités d’en-haut, et à choisir la porte étroite pour que dans les maisonnées terrestres la croix ne reste pas vaine.

Entre l’icône de Marie et l’icône de la maison, la bible ouverte invite à devenir à notre tour servante, servant de la Parole. Entre l’icône de la maison et l’icône de Jean, le disciple bien-aimé, le tabernacle rappelle l’aujourd’hui du cœur à cœur avec Jésus ressuscité.

Selon le résumé que nous avons écouté dans le livre des Actes des apôtres, les baptisés pratiquaient trois formes d’hospitalité :

  • l’hospitalité à la Parole, par l’écoute assidue de l’enseignement des Apôtres, pour vivre l’alliance accomplie par Jésus ;
  • l’hospitalité réciproque en Eglise, l’accueil de l’autre et le don de soi qui attestent et engendrent la communion fraternelle ;
  • l’hospitalité envers le Seigneur Lui-même, par la fraction du pain comme le Seigneur nous a dit de le faire, autrement dit l’accueil de sa Présence de Ressuscité.

C’est le soleil nouveau et sans déclin de la sainte Cène, dont les rayons nourrissent la vie nouvelle, la vie qui ne finira pas. Amen

[1] Réciprocité et non symétrie entre Jésus et ses hôtes, puisque Jésus est l’unique source de l’amour qu’il enseigne aux humains pour construire l’humanité comme une famille, comme une maisonnée.

[2] Voir Olivier CLÉMENT, Dialogues avec le Patriarche Athénagoras, Paris, Fayard,

1969, p. 148-149   et Olivier CLÉMENT, Joie de la Résurrection, Paris, Salvator, 2015,

  1. 125-126.
Homélie par le pasteur Claude Fuchs pour la fête de Marie Madeleine le 22 juillet 2020

Homélie par le pasteur Claude Fuchs pour la fête de Marie Madeleine le 22 juillet 2020

Cant.3. 1-4a; 1.Cor.13 ; Jean 20 11-18

« Les Douze étaient avec Jésus, et aussi des femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, dite de Magdala, dont étaient sortis sept démons, Jeanne femme de Chouza intendant d’Hérode, Suzanne et beaucoup d’autres qui les aidaient de leurs biens » (Luc 8.1-3).

À côté des Douze, tout un groupe de femmes, sans doute fortunées, non seulement suivaient Jésus durant son ministère, mais encore semblent avoir permis pour l’essentiel la subsistance matérielle du groupe. Parmi elles, Marie-Madeleine. On la retrouve ensuite nommée dans le groupe de femmes qui avaient suivi Jésus jusque sous la croix (Mt.27.55 par.), alors que les Douze s’étaient pour la plupart enfuis. Puis elle est parmi celles qui, au matin de Pâques, trouvent le tombeau vide et annoncent cette nouvelle aux apôtres, d’où son titre d’« apôtre des apôtres » que lui attribue Hyppolyte de Rome au 3è siècle. Plus tard, Marie-Madeleine aurait suivi l’apôtre Jean et Marie, la mère de Jésus, à Ephèse, ou alors, selon une légende du Moyen-Âge, avec Marie, la femme de Cléophas, Marthe et Lazare de Béthanie elle aurait atterri sur un radeau aux Saintes-Maries-de-la-Mer et aurait évangélisé la Provence, avant de passer les 30 dernières années de sa vie comme ermite dans une caverne de la Sainte-Baume. Voilà pour un bref rappel de ce que l’on peut savoir de sa vie extérieure.

Déjà les textes que l’Eglise a choisis pour accompagner le récit de sa rencontre avec le Ressuscité, montrent que Marie-Madeleine est pour ainsi dire l’archétype de l’amour humain pour le Christ : Elle est comparée à la bien-aimée du Cantique des cantiques à la recherche de son bien-aimé ; l’hymne à l’amour de 1 Cor.13, rappelle que tout ce qui constitue notre vie de chrétiens – notre louange, nos connaissances théologiques, nos bonnes œuvres – ne restent qu’extérieurs et n’ont pas de réelle valeur sans l’amour. Qu’implique dans nos vies le fait d’aimer le Christ ? C’est ce que nous montre Marie-Madeleine et c’est ce en quoi elle vous intéresse très particulièrement, vous, chers sœurs, qui consacrez toute votre vie à cet amour et c’est ce en quoi elle nous intéresse nous tous, chrétiens, que l’amour du Christ a personnellement touchés d’une manière ou d’une autre et qui cherchons à y répondre de notre mieux.

L’amour du Christ, comme tout amour, est tout d’abord une chose merveilleuse. Dans toute sa simplicité et toute sa naïveté, il est la chose sans doute la plus merveilleuse qu’on puisse imaginer. Etre là, en face de lui, avec lui. L’écouter nous dire de mille manières combien il nous aime et le lui dire en retour à travers nos chants et notre louange. Le contempler dans le silence de notre cœur. Le découvrir agissant dans notre vie et dans la vie de tant d’autres, nous pardonnant toujours à nouveau nos inattentions, nos oublis, nos grandes comme nos petites trahisons, prêt à continuer jour après jour son chemin avec nous, nous inspirant et nous encourageant et, à travers tout cela, nous transformant, nous transfigurant peu à peu à son image. Quel bonheur que son amour ! Avec lui, fini la crainte de l’échec, fini la crainte de ne pas suffire ! Quelle libération ! Quelle joie et quelle paix ! Enfin ! Et pour toujours ! Et au-delà même de la mort ! Comment ne pas aimer à notre tour un pareil ami ?

Un tel amour pourtant, comme tout amour, a aussi son prix. Etre compagne ou compagnon du Christ n’est pas un bonheur de tout repos. Pour Marie-Madeleine cela a tout d’abord sans doute signifié renoncer à la vie confortable dans sa villa au bord du lac de Galilée. En 2009, les archéologues ont découvert à Magdala une synagogue datant de l’an 30 dans laquelle Jésus a sans doute prêché, entourée de plusieurs demeures aisées contenant chacune une piscine. L’une d’elle appartenait-elle à Marie-Madeleine ? Renoncer à ce confort pour suivre Jésus, cet homme fascinant, sans doute, mais aussi contesté dans ses pérégrinations un peu partout le pays, ce n’était pas rien pour une femme d’alors. Et encore aujourd’hui, suivre Jésus nous demande à nous aussi bien des renoncements : à ce qui aurait pu devenir une brillante carrière peut-être, à un certain confort et à certaines libertés que nous aurions alors pu nous permettre. Suivre Jésus, alors comme aujourd’hui, veut peut-être aussi dire accepter quotidiennement la compagnie d’hommes ou de femmes que nous n’aurions pas nécessairement choisis.           Mais il y a bien pire : Aimer nous rend vulnérables, aimer nous rend dépendants. « Sur mon lit, au long de la nuit, je cherche celui que j’aime, je le cherche et ne le rencontre pas », telle était la plainte de la bien-aimée du Cantique. Elle se lève, fait le tour de la ville, cherche dans les rues et les places, interroge les gardes. Mais en vain. Imaginons la peur et la souffrance de Marie-Madeleine suivant Jésus dans sa passion, imaginons son désespoir en le regardant de loin mourir sur la croix. Et maintenant, au matin de Pâques, le voilà une fois de plus disparu. Même le tombeau n’a pas pu le retenir. Le jardinier en saurait-il plus ? Moi aussi, à côté des moments de bonheur et de joie, je connais les temps de sécheresse spirituelle, les moments de questionnements et doutes. Je me mets alors à douter non seulement de Dieu et du Christ mais aussi et surtout de moi-même. Qu’en est-il de ma foi, qu’en est-il de mon amour ? N’était-ce qu’illusion, qu’hypocrisie ? A qui aller, puisque lui-même semble ne plus me répondre ?

« Marie ! – Rabbouni ! » Quelle explosion de joie, quelle intimité et quelle certitude à la simple mention de son nom, à la simple mention de mon nom. Non, il ne m’a pas abandonnée ! Il me reconnaît et m’aime toujours. « A peine les ai-je dépassé (les gardes que j’avais interrogés) que je rencontre celui que j’aime. Je le saisis et ne le lâcherai pas », raconte la bien-aimée du Cantique. Ainsi Marie-Madeleine. Comme les disciples sur le mont de la Transfiguration, elle voudrait que cet instant puisse durer et ne plus jamais prendre fin. Mais Jésus lui dit : « Ne me retiens pas ! car je ne suis pas encore monté vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu. » Pour l’instant, ni la tâche du Christ, ni celle de Marie-Madeleine, ni la mienne ne sont encore terminées. Il s’agit que le feu de l’amour puisse embraser le monde tout entier. Ce n’est qu’alors que notre amour trouvera pour toujours son repos en Dieu.

Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homélie par la pasteure Lucette Woungly-Massaga le 12 juillet 2020

Homélie par la pasteure Lucette Woungly-Massaga le 12 juillet 2020

Es 55, 10s; Rm 8,18-23; Mt 13,1-13

«La parole qui sort de ma bouche ne revient pas à moi sans avoir produit d’effet, sans avoir réalisé ce que je veux, sans avoir atteint le but que je lui ai fixé» (Es 55,11).

Qui ne connaît pas cette Parole? Parole d’autorité souveraine!

Prenons la 1ère page de la Bible: Dieu dit … et par sa parole, le chaos est organisé, la création se déploie, la vie devient possible. Pour le peuple de la 1ère alliance, la parole est agissante; d’ailleurs, il n’est pas rare que le mot dabarparler se traduise par agir.

Comment alors comprendre que des paroles de Dieu ne se réalisent pas? Je pense aux prophètes qui doivent annoncer le malheur, comme Jonas chargé de proclamer la destruction de Ninive après 40 jours! Or Ninive n’est pas détruite, parole non réalisée, pas tenue? Voilà ce qui arrive quand on survole un texte: on pose mal les questions! Il n’est pas dit que les paroles se réalisent, mais qu’elles ne reviennent pas à Dieu, sans avoir réalisé ce que Lui veux (et non ce que je crois comprendre – nuance de taille), sans avoir atteint le but que lui a fixé. Or en se repentant, Ninive retrouve cette vie dans le shalôm voulue par Dieu (l’harmonie et le bonheur). Ainsi, la parole a bien produit l’effet escompté. Elle est Parole d’autorité souveraine, mais pas parole autoritaire : elle tient compte des humains, elle les oriente vers la vie et met en garde contre les dérives qui sont des chemins de mort. Elle ne s’impose pas, laissant les humains assumer (ou subir) les conséquences de leurs choix.

Tout ceci ne s’applique-t-il pas à Jésus, Parole faite chair? Jésus n’a-t-il pas été «la parole qui … ne revient pas à Dieu … sans avoir atteint le but qu’Il lui a fixé.» Jésus n’a-t-il pas été Parole d’autorité souveraine, en parole-acte et paroles dites pour conduire les gens de son époque sur le chemin de vie en plénitude voulue par Dieu?

Jésus, Parole de Dieu par sa vie tout entière, par ses miracles et par ses paroles de controverse, d’instruction et d’enseignement sur le Royaume. À la foule accourue au bord du lac, Jésus parlait de beaucoup de choses en utilisant des paraboles … «Pourquoi leur parles-tu en paraboles?» (Mt 13,3.10) demandent les disciples. Pour inviter à se laisser interpeller par ce que Jésus donne à voir et à entendre. Pour que «celui qui a des oreilles, entende» (v.9) et ne passe pas à côté du projet de salut de Dieu, même si son envoyé n’est pas conforme à ce qu’ils croient et croient savoir du Royaume.

Aujourd’hui encore, la Parole de Dieu se donne, Parole d’autorité souveraine, pour notre bien, pour notre vie, Parole qui ne retourne pas à Dieu sans avoir produit d’effet, sans avoir réalisé ce qu‘Il veut.

C’est dans le passage de l’ép. aux Romains que j’ai trouvé une Parole qui m’interpelle aujourd’hui (mais peut-être en avez-vous déjà capté une autre?): pour moi, c’est la liberté et la gloire des enfants de Dieu! Selon Chouraqui la liberté de gloire des enfants de Dieu.

La création sera, elle aussi libérée [de la servitude de la corruption] pour la liberté de gloire des enfants de Dieu. Cette pandémie ne, une liberté glorieuse.

La liberté de gloire des enfants de Dieu ! Quel contraste d’avec les souffrances du temps présent – sans proportions, dit l’apôtre Paul en parlant de son temps, mais n’est-ce pas aussi valable pour le nôtre? Ne pouvons-nous pas dire avec l’apôtre que la création tout entière gémit ? Et pas seulement à cause de la pandémie actuelle. Elle ne fait que mettre à nu les souffrances infligées à notre terre mère surexploitée et à des populations entières réduites à la misère… Et cette pandémie ne suggère-t-elle pas qu’une autre façon de gérer la vie est possible?

La création tout entière gémit et attend avec impatience la délivrance – l’apôtre Paul se situe à un tout autre niveau, il parle d’être délivré de la corruption conduisant à la mort, liée au péché. Mais, peut-on séparer le domaine spirituel de la vie du monde comme s’il n’avait pas d’impact sur elle?

Ce qui me frappe dans cette liberté glorieuse des enfants de Dieu, c’est que j’entends un appel à la vivre dès aujourd’hui, en plein monde. Paul vient de proclamer (au v.15) que nous n’avons pas reçu un esprit qui nous rende esclaves et nous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de nous des enfants adoptifs par lequel nous crions : Abba, Père. L’apôtre souligne que l’Esprit fait déjà de nous des enfants de Dieu, même s’il lie la plénitude de la gloire à la délivrance pour notre corps. Enfants de Dieu, déjà, par l’Esprit, héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ… (v.17). Au-delà des souffrances du présent, il y a cette promesse d’héritage qui déjà me rend libre de la liberté des enfants de Dieu. C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés, dit l’apôtre aux Galates (5,1).

Bouclons la boucle: «La parole qui sort de ma bouche ne revient pas à moi sans avoir produit d’effet…»

Quel effet la Parole de Dieu a-t-elle ce matin sur moi (celle qui m’a frappée, moi, ou une autre)? Quel effet sur ma vie de tous les jours, sur ma relation aux autres, au monde? Quel effet sur ma foi, mon espérance? A chacune, chacun sa réponse!       

AMEN.

Homélie par le pasteur Heiner Schubert pour la fête de la Visitation le 2 juillet 2020

Homélie par le pasteur Heiner Schubert pour la fête de la Visitation le 2 juillet 2020

Gal 4, 4-7 et Lc 1, 39-56

Chaque vraie rencontre fait bondir quelque chose en nous.

Chaque vraie rencontre éveille l’enfant en nous, parce que chaque vraie rencontre crée un monde nouveau en nous : La rencontre avec autrui nous amène vers son monde à lui ou à elle. Pour un petit moment, le flux du temps est suspendu. Nous sommes des nouveau-nés face à l’inconnu. Nous devenons explorateurs, exploratrices de l’univers mystérieux qui habite l’autre. Chaque vraie rencontre nous fait voir des choses que les autres ne voient pas. Elle nous transforme, nous façonne, nous change dans le plus profond de notre personnalité. Chaque vraie rencontre nous fait finalement chanter :

Chanter la beauté de Dieu, chanter sa présence dans le monde,
dans le quotidien, dans la joie et dans la souffrance. Chanter sa présence dans la vie de ma sœur, de mon frère. Chanter sa présence dans les injustices et dans les catastrophes personnelles qui nous sont racontées.
Puis, une fois arrivé, il faut frapper à la porte pour voir si l’autre est là. Lui aussi doit être là, présent, disposé à accueillir.
Vous ne savez pas si il ou elle a fait son chemin. Peut-être qu’il lui faut du temps pour arriver à ce point de rencontre. Il nous faut être patients.
N’oubliez donc pas de saluer l’autre. Cela peut engendrer des réactions étonnantes. Elisabeth entendit la salutation de Marie.
C’est bien si quelqu’un entend ce qui est dit. Il est rare que l’on soit vraiment écouté. J’ai passé des semaines de formation pour apprendre seulement à écouter. Et je commence à distinguer ce que ça peut signifier. Si on entend bien ce que dit l’autre, cela fait bondir quelque chose en nous. Chaque fois qu’on s’adresse à moi, ça me rappelle que Dieu lui-même s’est adressé à moi. Bon, si je reçois ma déclaration d’impôts, cela n’a rien de mystérieux.
Mais dans chaque vraie rencontre se reflète la parole que Dieu m’a adressée. La rencontre est en quelque sorte un sacrement.
Je rencontre le Christ dans l’autre.
Vous êtes filles et fils de Dieu selon la parole de Paul.
Nous sommes bien plus que les esclaves de notre histoire, les esclaves de notre environnement, les esclaves de nos gènes.
L’autre est bien plus que les bonnes ou mauvaises expériences que j’ai faites avec elle ou avec lui. L’autre aussi est en constante transformation. Chaque jour on est créé de nouveau, on est influencé et marqué par la présence de Celui qui a créé le monde.
Suit alors le chant déclenché par la rencontre. Le chant nouveau dont parle le psaume 98. Un chant qui répond aux bouleversements de ce moment privilégié.
« Mon âme exalte le Seigneur » parce que j’ai vu Dieu à l’œuvre.
Il était à l’œuvre depuis longtemps dans la personne, cette fille ou ce fils de Dieu, que je viens de rencontrer. Paul a parlé d’une nouvelle création, et voici c’est ce que j’ai perçu en écoutant l’autre.
On pourrait maintenant parler des obstacles. On pourrait dresser une liste très réaliste de tous les facteurs qui empêchent les vraies rencontres. Un pourrait bien dire un grand, même un très grand MAIS. Laissons tomber, gardons plutôt nos esprits remplis d’allégresse parce que nous allons tout à l’heure à la rencontre de Celui qui s’est adressé à nous.

Amen.

Homélie par la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson 28 juin 2020

Homélie par la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson 28 juin 2020

2 R 4, 8-17
Mt 10, 37-42
Ro 6, 3-11

Hier, j’étais au téléphone avec ma maman : tu prêches sur quel texte ? « Qui aime son père ou sa mère, son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. »
« Ouh, c’est difficile ! » 😉 Oui, c’est difficile, comment pourrais-je lui dire « J’aime mieux Jésus que toi » ou comment pourrais-je entendre d’elle « Je préfère Jésus à toi » ?

Et ces paroles sonnent d’autant plus étrangement que le confinement nous a fait expérimenter l’importance des liens – intrafamiliaux – ou tous les liens dont nous étions privés, qui n’étaient plus possibles.

Oui, comment un texte biblique peut-il déprécier les liens filiaux/ parentaux ? Alors même que le décalogue nous enjoint à honorer son père et sa mère ? Ce que Matthieu, lui aussi rappelle dans la bouche du jeune homme riche (Mt 19, 16-26) et que Jésus valide en disant « tu as bien parlé ».

Je peux évidemment me dire que cette question est la mienne, et non la vôtre – vous, quand vous êtes entrés dans les ordres à Grandchamp, vous avez quitté père et mère, renoncé à avoir des fils et des filles, pour répondre à l’appel du Christ. Vous avez déjà fait ce choix.

En même temps, tout le travail d’introspection, le travail sur soi que vous faites, p.ex. dans la démarche de l’évangélisation des profondeurs, vous a, j’imagine, fait prendre conscience de l’importance de ces liens parentaux, de la manière dont ils vous ont marquées tant de manière limitante, voir destructrice, que constructive, épanouissante.

Alors quoi ?
Tout d’abord, nous ne sommes pas seuls avec ces questions. Matthieu déjà a réfléchi à la difficulté de transmettre cette parole de Jésus. Les commentaires s’accordent en effet pour dire qu’il a probablement atténué la phrase originale telle qu’elle nous est transmise chez Luc (14,26): « qui ne hait pas son père et sa mère.. ». Mais en même temps, comme l’araméen ne connaît pas de comparatif, Matthieu a peut-être simplement traduit en grec l’intention originale : aimer plus.
Ensuite, le terme utilisé ici n’est pas agapan, comme dans « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 39ss), mais philein qui chez Matthieu est plutôt connoté négativement (Ceux qui aiment faire leurs prières au vu et au su de tout le monde Mt 6,5 ; ou ceux qui aiment occuper les premières places dans les dîners ou les synagogues Mt 23,6)

Cherchons plus loin. Le texte de Matthieu se situe à la fin de l’envoi des Douze disciples en mission (début 10,1) ; il leur donne l’autorité de chasser les esprits impurs, de guérir toute maladie et toute infirmité (10,1), il les envoie sans argent, sans sac, sans bâtons (10,8), il avertit qu’ils seront livrés aux tribunaux, flagellés dans les synagogues (10,17). Il encourage à ne pas craindre ceux qui – peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer l’âme- (28) Puisqu’aucun moineau ne tombe sans la volonté du Père, Il invite à la confiance en ce Dieu qui a compté tous nos cheveux(29s). Il met en garde qu’il reniera ceux qui le renieront (10,32ss).

Notre passage résume et souligne la radicalité et l’orientation de base de cet envoi. Vivre comme disciple, témoin pour le monde au sein d’une communauté religieuse ou comme tout baptisé exige – et offre – une orientation exclusive, de toute sa vie, sur le Christ.

Pour l’illustrer, je vous ai fait un dessin
J’ai essayé de reproduire un céphalopode. C’est à dire la manière dont les tout jeunes enfants dessinent une personne. : une grande tête avec des yeux et des jambes.

Pour les pédiatres et les psychologues, ce dessin exprime leur première perception de l’autre : un visage qui leur sourit, leur parle, les regarde, rayonne. L’enfant dessine ce qu’il perçoit.
L’importance du regard, du visage de l’autre dans la relation. La valeur qu’il reçoit, le lien qui s’y dit.

C’est à travers les visages qui le regardent que l’enfant comprend petit à petit qu’il est quelqu’un, un vis-à-vis des autres, une personne. Il découvre et reçoit sa propre identité. Et ce premier visage ou ces visages qui, au début d’une vie, reviennent souvent, sont ceux des parents.

L’identité se construit à travers les relations, les interactions. Martin Buber disait : il n’y a de « je » que parce que quelqu’un m’a dit « tu ».

Ce qui se passe dans la relation peut être créateur de force de vie, cela peut aussi être neutre ou mortifère. Ainsi, Martin Buber distinguait les relations « je-Tu », où l’ouverture, l’attente mutuelle laisse la place aussi à l’inattendu, des relations « je-Cela » où l’autre est chosifié. Le Tu ou le Cela ne dépend pas de l’objet de la relation, nous pouvons autant chosifier une personne dans notre interaction avec elle que vivre une relation Je-Tu avec un arbre, s’ouvrant à lui comme à un vis-à-vis.

Pour reprendre notre texte, je dirai qu’il invite à laisser tomber les nombreux liens qui nous ont fait, défait, ceux que nous soignons ou qui nous emprisonnent, pour reprendre en premier le lien primordial à Dieu :
Voir/ entendre/ percevoir/ s’imprégner d’abord du regard, du visage de Dieu, en recevoir notre identité première, y retourner toujours.
Et placer tous les autres liens, filiaux, parentaux, autres à la deuxième place. Ils ne sont pas secondaires, ils deviennent seconds. Reconnus dans leur importance, mais seconds.
L’assurance que nous donne le lien premier au Christ nous donne de les vivre avec la distance ou la liberté nécessaires. Nous n’en dépendons pas en premier. Ils ne sont pas décisifs pour notre identité première. Ils sont importants, décisifs parfois, mais seconds.

Vivre en premier le lien au Christ, préférer l’amour du Christ et au Christ à tout autre lien, c’est perdre en assurances plurielles : je ne suis pas d’abord tel et telle, fille ou fils de / parent de/ sœur de…, je ne suis pas d’abord reconnue par mes pairs, mes diplômes, mes expériences, identifiée par … – je suis d’abord fille, fils ou vis-à-vis de Dieu. Je n’ai ni argent, ni sac, ni bâton, je suis envoyée, sans autre assurance que mon lien au Christ vers ….mes semblables.
Je ne crains pas ceux qui peuvent tuer le corps ; ils ne peuvent tuer l’âme ; l’âme – ce qui est moi est relié à Christ.

Ce que j’essaye de décrire, vous l’aurez compris, c’est un même mouvement que celui du baptême que nous avons lu dans Romains : qu’il y a à mourir à une sorte de liens pour retrouver en liberté une autre manière de les vivre.

Notre lien premier est au Christ, notre identité première nous est donnée par lui.

« En lui, avec lui et par lui » dirons-nous plus tard dans le déroulement de la Cène.

Peut-être que c’est l‘importance de ce visage premier que nous transmettent les icônes.

Ce regard est premier, il est aussi notre horizon « A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors, ce sera face à face » 1 Co 13,12

Ce texte radical qui clôt l’envoi des Douze se termine sur une note encourageante : « qui vous accueille, m’accueille et qui vous accueille, accueille Celui qui m’a envoyé. Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; Qui accueille un juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste ». J’y lis que nous pouvons être fenêtre sur le visage du Dieu et que c’est en cette qualité-là que nous sommes bienvenus. Et par conséquence, j’y lis aussi que je peux accueillir l’autre comme ouverture sur le visage du Christ. L’identification au Christ par le baptême nous invite à nous accueillir mutuellement, non pas comme personne, mais en qualité de témoins d’un lien d’amour et de vie qui fonde l’identité. Nons pas comme personne, mais comme porteurs du Christ.
Nous pouvons nous comprendre comme fenêtre ouverte pour l’autre sur le Christ et cette identité première qui nous est offerte et recevoir l’autre comme tel.
Les commentaires pensent qu’il s’agit ici, pour les premières communautés chrétiennes, d’encourager à l’hospitalité à l’égard des apôtres ou messagers itinérants. Qu’il en va donc de soigner les liens communautaires.

L’attitude que j’ai essayé de décrire, est celle que la Shounamite du texte des Rois vit naturellement à l’égard du prophète Elisée. Elle l’accueille en sa qualité de prophète. Comme une manière de faire progressivement de la place à ce lien premier, elle offre d’abord un repas, puis plusieurs, puis une chambre. Elle exerce l’hospitalité comme Abraham. Elle prend les choses en mains, décide et agit avec une grande liberté, comme Débora. Elle est diplomatique dans ses prises de parole (affirmant ses options, intégrant son mari dans le « nous ») ; elle est diplomatique comme Nathan ou Abigaël.
Quand Elisée lui demande ce qu’il peut faire pour elle, elle réponde « j’habite au milieu de mon peuple » ou, TOB, « Je vis tranquille au milieu des miens ». Elle dit ainsi aussi l’importance et la reconnaissance des liens.
Elle exprime pour moi cette assise et confiance intérieur que donne le lien premier au Christ pour vivre libre du monde et pour le monde – ce qui est, nous dit le texte en métaphore, porteur de vie et d’avenir.

Amen