Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint 2021

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint 2021

Quelles images s’imposent dès que nous entendons parler du Peuple de Dieu ?

Probablement l’image d’un peuple en marche : songez au départ d’Abraham, aux innombrables déplacements rapportés par les textes et récits bibliques.
Nous viennent aussi spontanément les images du peuple rassemblé pour célébrer et écouter son Dieu. Ce qui se vit principalement sous deux formes:

  1. a) les temps où le peuple est tout entier réuni au même endroit,
    au Temple de Jérusalem ou dans une synagogue ;
  1. b) les moments où la fête liturgique rassemble le peuple par clans ou par familles.

Troisième image fréquente, en plus de la marche et des rassemblements liturgiques, les repas, comme nous le voyons ce soir dans l’événement où sont associées les deux réalités, repas et marche [1]:

« Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois,
que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison.
   Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra
   avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes.
   Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. »
« Vous mangerez ayant déjà la ceinture aux reins, les sandales aux pieds,
   le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. »
« De fait, Pharaon convoqua Moïse et Aaron en pleine nuit, et leur dit :
       « Levez-vous ! Sortez du milieu de mon peuple, vous et les fils d’Israël.
         Allez ! Servez le Seigneur comme vous l’avez demandé. »

Physiquement ou intérieurement la marche caractérise le peuple de Dieu. Nous l’expérimentons d’ailleurs ces jours en suivant les étapes de cette semaine sainte. La marche suppose le don d’un avenir. Il y a marche parce qu’une terre est promise.

Quant à l’Eglise, quelles images nous viennent à l’esprit ?

Dans un magnifique spectacle intitulé Jésus était son nom, Robert Hossein annonçait ainsi l’Église : des petits cercles d’hommes et de femmes étaient assis en divers lieux, comme des brebis sur des pâturages. Là on se donnait la nouvelle : ce que Jésus avait dit sur un rivage du lac et ce qu’il avait enseigné un autre jour sur la montagne, comment il avait guéri un aveugle au sortir d’une ville et comment il avait répondu aux autorités du Temple…
En chaque cercle, tel homme, telle femme racontait son histoire ou son anecdote. C’est dans ce mouvement qu’une voix s’élevait pour demander comment Jésus avait enseigné à prier… Une autre voix commençait à dire : Notre Père qui es aux cieux… tandis que les femmes et les hommes de chaque groupe se mettaient à genoux, là où ils étaient.
À cet instant même fut annoncé l’entracte du spectacle ! Mais sur la scène toujours éclairée, les petits cercles d’hommes et de femmes demeuraient en silence, gardant l’attitude de prière. Autant dire que dans la salle les spectateurs ne se levaient qu’avec hésitation, un peu gênés de se déplacer alors que les acteurs, immobiles sur la scène, ne quittaient pas leur attitude de prière…
Image soudainement très réaliste de la fragile communauté des priants, petit îlot au milieu des mouvements du public alentour. Ces priants, ces amis de Jésus paraissaient saugrenus et quelque peu gênants dans leur immobilité. On les ressentait tour à tour et spontanément comme admirables, dérisoires, ou fort étranges, contrastant avec les va-et-vient des membres du public, entrés malgré eux dans le rôle des citoyens du monde…
C’était un beau et réaliste visage de la communauté, de l’Eglise !

Ce soir encore, partout sur notre terre, de petits cercles commémorent le repas de la Pâque, ce terreau familial et liturgique choisi par Jésus pour y déposer le grain du renouvellement de toutes choses, la grâce d’une guérison pour toute l’humanité, le don de toute sa personne, l’offrande de sa vie.

En ce repas où par avance il illustre le sens de sa mort sur la croix, Jésus donne à l’Eglise ce qu’elle doit devenir. Tout repas représente le don de la nourriture, le don d’un viatique pour soutenir la marche. À ce don s’ajoute celui des présences partagées.
Eh bien, l’attention aux présences, et le partage entre tous du nécessaire pour vivre, constituent l’apprentissage de la communion.
Voilà ce que Jésus donne, voilà ce que l’Eglise doit être.
Jésus lui-même, en sa Personne, est le viatique. En nous donnant l’ordre de vivre semaine après semaine ce même repas incomparable qui est le sien, Jésus Seigneur, Jésus Ressuscité nous oblige à être ensemble, à recevoir en un même lieu, en un même temps la nourriture irremplaçable :

Sa présence qui sauve et qui enseigne le don,
sa miséricorde qui relève,
son humilité et son service qui façonnent chez les humains la communion.

En ce repas, Jésus donne à l’Eglise son visage essentiel.
Il nous inscrit dans une histoire commune,
              Il nous donne une même appartenance,
              Un horizon est ouvert, une sortie va s’opérer, une mise en route débute.

À cette fin, Jésus unique nécessaire, seul viatique approprié, communique la vie en nous replaçant dans le lien continu qu’il a avec le Père, dans l’Esprit…

 

[1] Exode 12, 3-4.11.31.

Homélie par le pasteur Joël Pinto pour le 3ème dimanche de carême – La Samaritaine, le 7 mars 2021

Homélie par le pasteur Joël Pinto pour le 3ème dimanche de carême – La Samaritaine, le 7 mars 2021

      Jésus affirme que l’heure vient où Dieu sera adoré « en esprit et vérité ». Il s’agit là d’une parole bien connue dans l’Eglise, mais aussi, bien au-delà. On y a vu ce que l’Evangile a de plus haut et de plus pur, en opposition à tous ces ajouts qui auraient pollué progressivement la tradition chrétienne afin de dominer les consciences et de les empêcher de chercher la vérité par eux-mêmes.

      En effet, cette parole semble répudier la médiation de toute institution, de tout rite ou de toute tradition particulariste. Beaucoup de nos contemporains, diraient, en paraphrasant ce texte : si l’adoration de Dieu a un sens, ce Dieu ne sera ni celui des juifs, ni celui des chrétiens, ni celui des musulmans, ni celui des hindous… Cela ne peut être que l’adoration d’un Dieu que l’homme ne peut pas enfermer dans des dogmes ni s’imaginer rejoindre par des rites ou à travers le carcan d’une église ! Ceci me semble difficile d’être contesté, à une époque aussi mondialisée que la nôtre. Il est, en effet, très difficile de contester le fait que des croyants de toute obéissance cherchent Dieu sincèrement et qu’aucune institution ne peut prétendre au monopole du culte.

      Personnellement, j’ai bien souvent lu ou entendu dire, ici et là, que les églises auraient confisqué le Christ et qu’elles imposent des dogmes purement humains. Pour bien des gens, c’est même une évidence : Jésus n’a jamais fondé une Eglise institutionnelle, avec un clergé, des dogmes et des rituels, etc…Son message serait l’annonce d’un rapport purement spirituel et intimiste, avec Dieu, tout en combattant toute forme d’hypocrisie religieuse. J’ai cependant la ferme conviction que cette parole biblique ne nous oriente nullement dans cette direction, même si elle a du sens et est tout à fait respectable. A preuve, l’ensemble du texte et le contexte biblique lui-même.

      L’affirmation que le véritable culte serait une pratique religieuse débarrassée de rites et de dogmes, n’est pas du tout dans le texte : Jésus s’affiche lui-même comme un juif un religieux ; nous savons qu’ils se rendait régulièrement au Temple ; il fréquentait aussi les synagogues et il priait régulièrement avec ses disciples.

      L’opposition entre la pratique religieuse et la spiritualité n’est, d’ailleurs, pas du tout biblique car, dans le langage de la Bible, y compris chez les prophètes qui critiquaient la pratique religieuse d’Israël, l’esprit ne s’oppose jamais à la chair comme le spirituel ne s’oppose jamais au matériel. Quand il y a opposition, il s’agit plutôt d’une opposition entre la sagesse de Dieu et celle des hommes, entre la manière dont Dieu voit la vie et la relation entre les hommes, et les conceptions humaines marquées par l’égoïsme et la volonté de domination. C’est ce que Osée fait dire à Dieu : « Je suis Dieu et non pas homme » ou encore, à la manière d’Esaie, « mes voies sont au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées » (Es 55) !

      Il serait, d’ailleurs, parfaitement contradictoire, que le Christ soit présenté comme la parole faite chair et qu’il oppose ici à ce qui est corporel, aux gestes, aux rites… Ensuite, d’après le texte, Jésus croit que sa religion est vraie « vous (les samaritains) vous adorez ce que vous ne connaissez pas et nous (les juifs) adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des juifs ». Comme on peut le constater, Jésus ne vient pas opposer une religion désincarnée au particularisme juif, car il est lui-même un juif pratiquant. C’est donc à l’intérieur des rites, des dogmes et des identités religieuses, que Jésus invite à adorer Dieu en esprit et vérité, car il est malheureusement possible d’adorer Dieu selon les normes des hommes (en dehors de l’Esprit) et de manière mensongère (sans authenticité). Voilà pourquoi, au lieu de s’enliser dans le débat auquel l’invite la samaritaine (v.20, vous, les juifs, vous dites que l’endroit où il faut adorer Dieu est à Jérusalem…), Jésus lui propose simplement de jouer le jeu de la vérité : moi, juif, je crois que vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; moi, juif, je pense que le salut vient de ma tradition… mais l’heure vient où il s’agit plutôt de se laisser conduire par Dieu et d’être vrai avec Lui !

      Autrement dit, c’est comme si nous disions dans nos débats œcuméniques et interreligieux : moi catholique/protestant, moi chrétien, je crois que ma famille confessionnelle m’a transmis fidèlement le trésor de la foi. Néanmoins, l’enjeu actuel est celui d’une fidélité confessionnelle confrontée à “l’esprit et à la vérité “, c’est-à-dire, à Dieu lui-même. Les dogmes, les rites, les institutions sont nécessaires, mais elles ne sauraient jamais remplacer la rencontre avec Dieu, tant collective qu’individuelle. En effet, ce qu’il y a de plus dangereux dans une vie religieuse c’est notre tendance naturelle à mettre Dieu dans notre poche, à nous fabriquer un dieu à usage domestique, reflet des pouvoirs et des idées établies. Le culte “en esprit et vérité” est, de ce fait, lié à une spiritualité critique. Ce n’est pas un culte/une religion au-dessus des rites et des dogmes mais l’accueil d’une parole qui nous questionne de l’intérieur, au cœur même de nos pratiques et de nos croyances.

      Une spiritualité critique… voilà ce qui devrait plaire à bien des intellectuels éduqués à la rationalité de l’esprit moderne ! Mais attention, l’instance critique n’est pas ici notre rationalité mais Dieu lui-même. En effet, une nouvelle dérive peut se produire : ayant répudié l’hypocrisie religieuse ou la fausse religiosité nous pouvons aboutir à l’illusion d’une religion « rationnellement pure », nettoyée par la raison critique, sans ambiguïtés et sans croyances…

      Or, ce n’est pas celle-là l’adoration enseignée par Jésus. N’oublions pas que la personne qui a reçu cet enseignement, en notre nom à tous, était une femme dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’était pas candidate à l’exemplarité morale ni au rationalisme éclairé. L’heure d’une adoration en esprit et en vérité est venue pour elle non parce qu’elle a adhéré à une doctrine meilleure, mais parce qu’elle a pris le temps de rencontrer l’envoyé de Dieu, de s’entretenir avec lui et de voir la vérité de sa vie.

      Ceci résonne très fort, pour nous, à une époque où la parole est pervertie, déformée et mensongère, où les rencontres de l’autre sont souvent instrumentalisées, manipulées et enfermées. Le Christ, Parole de Dieu qui nous rencontre ici et maintenant, nous invite à regarder au loin, par-dessus les barrières ethniques et confessionnelles, vers ce monde nouveau où nous serons conduits par l’Esprit et connaitrons, enfin, la vérité. Car il s’agit bien de cela : au sein du monde, sur cette terre bien matérielle, ici et maintenant, est proclamée une Parole qui ouvre à une relation de confiance, authentique, constructive, en vérité, avec Dieu !

      Il me semble que nous sommes là au cœur-même de l’Evangile. Si ce texte biblique nous interpelle ce n’est pas parce qu’il nous demande de nous élever au-dessus des pratiques religieuses jugées trop simplistes, mais parce qu’il nous pose cette question toute simple : quelle place est-ce que tu fais, là où tu te trouves, c.-à-d., dans ton contexte social, culturel et religieux, oui, quelle place est-ce que tu fais à l’Esprit et à la Vérité incarnés par le Christ ?

      Si nous arrivions à répondre à cette question bien des préjugés œcuméniques et même interreligieux tomberaient. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle religion ni, au contraire, de nous élever au-dessus du religieux. Nous avons surtout besoin d’évaluer notre spiritualité selon les critères de Dieu, selon l’Esprit et la vérité de Dieu, incarnés dans la personne de Jésus de Nazareth.

 

Homélie par le pasteur Zachée Betche, le 4 mars 2021

Homélie par le pasteur Zachée Betche, le 4 mars 2021

Héb 3, 7-9+12-15 et Mt 21, 1-11. 

Chers amis,
La géolocalisation est de nos jours l’une des prouesses les plus prometteuses de la technologie. Très peu de contemporains se passeraient du GPS. Grâce à cet appareil, aujourd’hui, il est un peu rare de louper sa sortie d’autoroute, sa destination. L’ordre de Jésus à ses disciples est précis. Il en envoie deux à un endroit situé dans un village près de Bethphagé. Et ce qu’il ordonna s’accomplit. Bien sûr, les disciples ne sont pas des machines et ne s’en servent pas, mais ils ne sauraient se perdre car guidés par la force de l’Esprit. Là, ils retrouveront une ânesse et un ânon qui les attend.

Dans le récit de l’Evangile, les deux disciples ne semblent pas se poser de question. Ils n’interrogent pas non plus leur maître. Ils auraient pu en être tentés car cela paraît quelque peu curieux : aller chercher des ânes ! Qui sont les propriétaires de ces bêtes ? Les disciples et Jésus lui-même, commanditaire de l’action, ne passeraient-ils pas pour des voleurs ? Jésus anticipe les questions et les réponses. La chute de tous ces questionnements et réponses qui n’apparaissent pas en détail dans ce fragment de l’Evangile se résume dans ces mots : « Le Seigneur en a besoin ».
Matthieu, contrairement à Luc, précise que le propriétaire consentira puisqu’il les laissera aller tout de suite, sans hésiter. Toutefois, c’est le seul passage où l’ensemble des synoptiques utilise le titre « Seigneur » au lieu de « maître ». Nous avons besoin d’aller au-delà de l’inconscient collectif. Le maître dont il question est Seigneur. Toute la différence est là. Car il en existe, des maîtres. Mais celui-ci est au-dessus de tous. Devant lui, « tout genou fléchira. » (Philippiens 2, 10)
Les disciples entendent sa voix et se mettent en chemin illico presto. Ce qu’il faudra retenir, c’est que Jésus est Seigneur de l’univers entier. Ce qu’il ordonne doit s’exécuter tant par les disciples que par les autres, le propriétaire et nous qui lisons ce passage. On parle peu du propriétaire des ânes comme si libérer ses animaux à la demande d’un inconnu paraît si évident. Il faut admettre que ce dernier a aussi entendu résonner la voix de l’Esprit en lui. Et nous ? 

Le Fils ou l’Homme de Nazareth interrompt un instant sa vie de piéton itinérant. Jésus entre à Jérusalem assis sur un ânon. Et chez Matthieu, c’est à la fois l’ânesse et l’ânon qui l’y conduisent. Comment le comprendre ? Les autres évangélistes, y compris Jean, n’évoquent pas la présence de l’ânesse. Il y a ici les deux à la fois, certes, mais Jésus est assis sur l’ânon.
Précisons d’abord que l’âne, d’une manière plutôt générique, est un animal particulier en Israël. Il cristallise, dans le contexte historique de ce peuple, le prestige même, « la monture des pères d’Israël ». C’est le « véhicule » des rois. Le plus important pour tout lecteur de la Bible, d’hier et d’aujourd’hui, se trouve dans la cohérence de l’annonce prophétique. Le cheval, si nous nous permettons cette comparaison, n’appartient pas à l’historiographie des royautés d’Israël. Au contraire, il a été introduit plus tard par l’envahisseur romain et porterait d’autres significations pour le peuple de Jésus.
A travers le choix de l’âne, Jésus réunit à lui seul l’humilité et la gloire. A travers l’ânesse et l’ânon à la fois, le Seigneur reste dans la continuité sans détacher l’un de l’autre. Il ne laisse pas l’ânesse à sa place mais la prend aussi avec lui. Jésus est venu accomplir ce qui a commencé depuis longtemps dans le plan de Dieu : Moïse et les prophètes réunis. En montant sur l’ânon, il ouvre vers l’avenir et nous entraîne avec lui dans la puissance de son amour.
La scène paraît surréaliste. En réalité, seul l’évangéliste Jean en avait annoncé la préparation. Le récit de l’Evangile s’achève avec une confession de foi : «Jésus, le prophète, qui est de Nazareth de Galilée». Comment est-ce possible que des Judéens et de Jérusalémites, de surcroît, accueillent avec tant de ferveur un Galiléen si ce n’est encore une fois l’œuvre de l’Esprit ?

Jésus montre ainsi le chemin. Un chemin neuf. Les vêtements tombent, les branches aussi, une haie d’honneur se forme. Les branches de palmiers (l’Evangile de Jean est plus précis) en disent long sur la grandeur de l’événement. Seuls les rois sont reçus de la sorte. Ici, on ne peut que voir gloire et simplicité. Là où il y a l’Esprit de Dieu il n’y a aucune arrogance mais une joie propre, lucide et libératrice. Ces vêtements, c’est ce qui nous pèse. Ce sont nos soucis, nos angoisses, nos péchés que nous déposons pour nous sentir désormais libérés.

 Les prophéties s’accomplissent à la chaîne. Glorifié, accueilli royalement par la foule, il allait droit contre la mort, la mort de la croix. Mais ce dernier aspect, personne ne l’entrevoit sinon les chefs religieux qui attendent Jésus de pied ferme pour l’arrêter et lui faire subir l’opprobre. La foule, elle, ne l’imagine pas à cet instant. Elle ne s’imagine même pas qu’elle serait complice de cette mort atroce. Cet enthousiasme qui les anime manque cruellement de solidité. La joie de cet « aujourd’hui » sera vendangée plus tard.

Le passage de l’Evangile de Matthieu et l’épître aux Hébreux nous interpellent sur la notion de l’aujourd’hui. C’est le temps favorable, le jour J, le jour du salut. Il faut voir dans cet aujourd’hui une ouverture possible sur le lendemain plutôt qu’un temps fugace de l’existence. C’est dès maintenant que s’ouvre en nos cœurs ce chemin neuf qui laisse passer le Seigneur et sa souveraineté. C’est là que cette joie voudrait se manifester. Une joie digne des enfants de Dieu rendus capables de voir la croix qui se dresse en face. Cette croix fait désormais partie de notre gloire. Et c’est jusque-là que le Seigneur nous conduits puisque nous sommes « participants du Christ » comme le souligne l’auteur de l’épîtres aux Hébreux (3,14). L’aujourd’hui devient alors le commencement de l’éternité. La gloire du crucifié est dans la traversée de la croix à venir. En Christ, nous traversons aussi les réalités de l’histoire. Dans toutes ces péripéties, la force de l’Esprit nous guidera. N’ayons pas peur. Dieu est fidèle et ne nous abandonnera pas.

Homélie par le pasteur Félix Moser pour le 2ème dimanche de carême – La Transfiguration, le 28 février 2021

Homélie par le pasteur Félix Moser pour le 2ème dimanche de carême – La Transfiguration, le 28 février 2021

Gn 35,1-15
2 Tim 1,8-10
Luc 9,28-36

Neige, une blancheur cristallisée, saupoudrée de toutes petites paillettes d’or, caressée par un soleil levant. Petite pause pour souffler dans la montée.
Instant d’éternité : une vue.
Voix de ténor qui chante le Printemps de Franz Schubert et qui nous emporte à tous vents. Une voix, puis le silence rempli de notes de musique.
Instant d’éternité : une voix.
Un visage parcheminé, un battement de cil, un signe de vie. Une complicité naissante alors que je loge ma main dans une autre main, toute fine et amaigrie. Un visage, une rencontre furtive.
Instant d’éternité : un visage et un signe de vie.
Je n’en doute pas, vous en avez sans doute aussi vécu, de ces instants de joie intense, de ces moments d’autant plus fragiles qu’ils sont éphémères.
La Transfiguration nous offre quant à elle une expérience religieuse. Une expérience humaine du divin. Une rencontre avec Dieu. Un visage qui s’illumine, une robe blanche étincelante. Trois personnes bibliques en conversation. Moment d’éternité pour les disciples.
Mais voyons de plus près l’originalité de notre récit.
Le lien avec le récit de Moise qui rencontre Dieu sur le mont Sinaï et qui scelle l’alliance avec Dieu est ostensible. Cet entretien avec deux personnages centraux de l’Ancien Testament reflète la continuité de l’alliance.
Chez Luc, le temps et le lieu sont marqués par la retraite et le recueillement. Jésus est en prière lorsque « l’aspect de son visage changea ».C’est bien Jésus qui est transfiguré et qui apparaît dans la gloire. Lui, et non ses disciples. Luc souligne par ce trait que Jésus le Christ est bien le Seigneur. Le récit de la Transfiguration peut ainsi se lire comme une anticipation de la résurrection du Christ.
Le temps est ici celui de d’éternité de Dieu, puisque les disciples s’entretiennent avec Moise et Elie. Mais de quoi parlent-ils ?
« Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem[1] », autrement dit de tout ce qui va se jouer au procès de Jésus, à sa mort à le Vendredi saint et à sa résurrection à Pâques.
Il est significatif que le mot traduit par départ soit la traduction du mot grec exodos : une traversée[2]
On peut dire que Luc a été inspiré de placer le récit de la Transfiguration à ce moment-là de son évangile. En effet, quelque temps avant la vision de Christ en gloire, Pierre Jacques et Jean réalisent que Jésus vient d’annoncer sa Passion en affirmant : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite[3] ».
Les disciples parlent de cette annonce qui les déboussole, eux qui voyaient en Jésus un roi et un maitre à la manière humaine.
Dans les épisodes qui précèdent la Transfiguration, Jésus indique aussi quelle est la condition des disciples de tous les lieux et de tous les temps. Le Christ demande de le suivre. Cette marche est rude, parfois difficile. Le disciple lui aussi vit sur le mode de l’Exode, sur un chemin qui passe par les épreuves du doute et de la solitude.
Nous en avons aussi conscience en ces mois de début 2021. Suivre le Christ signifie vivre dans le monde et dans une société où les injustices vont en s’accroissant. Dans nos Églises, la vie n’est pas simple. Les conflits déchirent le tissu de nos communautés, et nous vivons dans des Églises qui présentent bien des contradictions. L’expérience religieuse du divin qui est rapportée ici vient alors au tout bon moment, puisqu’elle vient dire que ce chemin est aussi le chemin de la vraie grandeur, de la vraie gloire, et que ce chemin peut se vivre comme un compagnonnage avec Dieu.
Vivre et marcher à la suite du Christ, c’est aussi recevoir l’assurance de la gloire de Dieu lui-même. En d’autres termes, vivre aussi l’éclat de la lumière et entendre une voix qui désigne avec certitude le Christ comme Fils de Dieu. Et il y eut une voix. Elle disait : « Celui-ci est mon Fils celui que j’ai élu[4] ».
La liturgie de ce dimanche offre un espace de renouveau. Elle nous incite à une belle et bonne pause plus que bienvenue dans ce temps de carême qui sollicite si fort notre repentance et notre intercession.
Aujourd’hui, nous sommes invités à lever le regard pour découvrir l’horizon et entrevoir le but de la marche.
Le récit de la Transfiguration vient comme une lueur d’espoir. Il apporte une consolation. Il donne aux disciples l’assurance et le courage qui leur manquent. Oui, c’est bien vrai, Jésus est celui qui a la puissance de faire des miracles et qui parle au nom de Dieu. Celui que la société de son temps va rejeter est bel et bien son Fils, vous pouvez lui faire confiance. Il participe pleinement à la divinité : il est véritablement aussi vrai Dieu qu’il est vrai homme.
Être témoin de la Transfiguration du Christ ne peut se commander, s’obtenir à force de volonté. Il en va de recevoir la lumière et l’aura qui émanent de ce récit. La Transfiguration du Christ vient parler à nos yeux, à nos oreilles et à notre cœur. Pour que nous entrions pleinement dans l’acte de recevoir. C’est dire que la conscience de l’être humain est d’abord un réceptacle, une ouverture à Dieu et à autrui, une attention à un événement qui surgit. Notre conscience n’est pas d’abord une petite voix qui dit ce qu’il faut faire, mais elle est ouverture pour entrapercevoir ce qui advient.
Et aussi (mais cela nous ne le savons que trop), toute pause dans la marche ne peut être qu’éphémère.
Nous savons que les signes de Dieu, les instants d’éternité, ne peuvent se retenir. Mais nous sommes de la même pâte humaine que Pierre et tous les autres. Comme lui, nous aimerions dresser des tentes ; revivre, ne serait-ce qu’une fois, ce qui nous a tant marqués et réjouis.
J’ai aussi été très frappé par la toute fin de ce récit de la Transfiguration :
« Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu[5]. »
Il y des instants si forts dans nos vies que l’on ne peut pas tout de suite en parler. Nos mots se cherchent et se perdent. Il vaut mieux alors se taire, attendre.
La rencontre avec Dieu, à en croire les disciples, provoque aussi la crainte (mot qu’il est juste de traduire par respect). La Transfiguration nous replace devant l’Altérité. Il est normal que cette rencontre provoque alors en nous le silence requis par le temps de la réception.
Oui, il existe bel et bien un silence autorisé. Un silence qui protège l’expérience. Qui la met à l’abri pour qu’elle ne soit pas tout de suite diluée dans la parole dite et redite, et aussi pour qu’elle ne se mélange pas trop vite avec celle des autres.
Un silence nécessaire qui témoigne à sa manière de l’intensité de l’expérience humaine du divin. Celle-ci imprime en nous non pas seulement un instant d’éternité, mais bien une trace décisive d’éternité.

Amen

[1] Luc 9,31.

[2] Luc 9,31.

[3] Luc 9,22.

[4] Luc 9, 35.

[5] Luc 9,36.

Homélie par le pasteur Guillaume Ndam Daniel, le 25 février 2021

Homélie par le pasteur Guillaume Ndam Daniel, le 25 février 2021

Jacques 3.1-18 et Matthieu 18.23-35

Le pardon généreux qui libère.

Il y a comme une grande tension dans l’air en ces temps incertains.
D’énormes injustices et des grandes inégalités sont étalées au grand jour avec cette pandémie, provoquant un vent de panique, nourrissant de grandes rivalités et révélant le besoin immense de libération et de paix. Il y a aussi une attention particulière à nos comptabilités, pas seulement à cause des déclarations d’impôts, mais liée à la conjoncture économique actuelle.

J’ai reçu un jour sur mon WhatsApp ce texte amusant, mais révélateur d’une certaine vérité.

« Nous sommes appelés à rendre compte de toutes nos actions tant sur Terre qu’au Ciel ».
TA NAISSANCE : C’est L’Ouverture de ton Bilan ou Ton Bilan d’ouverture.
Tout ce que tu obtiens est un Crédit dans ta vie.
Tout ce qui te quitte est un Débit dans ta vie.
Toutes les idées que tu développes sont pour toi des Actifs immobilisés.
Toutes tes mauvaises actions sont pour toi des Passifs ou dettes
Ton caractère représente ton Capital
Ton Bonheur quant a lui représente ton Profit.
Tes chagrins, tes douleurs, tes larmes sont tes Pertes.
Tes Connaissances et expériences de la vie sont ton Investissement
Ton âge représente tonAmortissement ou la Dépréciation de ta vie.
Ta Mort symbolisera La clôture de ton exercice.
A la fin de tous ces états comptables de ta vie : DIEU PROCÉDERA A L’AUDIT DE TA VIE. »

Certains de ces aspects de notre vie transparaissent dans ces deux textes bibliques.
Nous sommes au 4e des cinq discours de Jésus selon Matthieu. C’est-a-dire vers la fin de son ministère terrestre. Jésus raconte cette parabole pour illustrer son discours qui tourne autour de la comptabilité et de laréhabilitation. Dans les temps bibliques et à l’époque de Jésus, de sérieuses conséquences attendaient celui qui ne pouvait pas rembourser ses dettes. Son créancier pouvait l’obliger, lui et sa famille, à travailler jusqu’au remboursement du dernier sou. Il pouvait également le faire jeter en prison ou le vendre comme esclave avec toute sa famille et récupérer ainsi une partie de la dette. C’est ce qui pouvait arriver à ce serviteur qui se jeta par terre et se prosterna devant le maître, signe de dépouillement, car Il y avait une grande quantité d’argent en jeu. Dix milles talents dans le langage courant signifiait un nombre infini, incalculable. Le maître pris de compassion lui remis sa dette… Avoir compassion dans la version Chouraqui de la bible est traduit par « être pris aux entrailles ». …

Cette attitude symbolise le pardon généreux de Dieu. Le Seigneur est rempli de compassion, pris aux entrailles, envers le pécheur qui implore le pardon pour une dette qu’il n’est pas en mesure de payer. Cf Col 2.14. Le maître pris de compassion lui remit sa dette… c’est à dire le Laissa partir, ou laissa aller, en grec cela donne… le délier … en clair la dette est annulée.

Chers amis, avons-nous conscience , du nombre de fois par jour ou nous sommes déliés ? Combien de fois Dieu est-il pris aux entrailles devant nos trébuchements quotidiens lorsque nous supplions sa miséricorde? Comment accueillons-nous la générosité de Dieu ? Qu’en faisons nous ?

La suite de l’histoire est étonnante car il y a un retournement inattendu de la situation. En langage cinématographie on l’appelle, twist final (de l’anglais twist ending).

Nous voici devant un autre endettement totalement disproportionné, avec une issue dramatique car ce qui va suivre est terrible. On aurait pu s’attendre à une suite logique et cohérente de pardon et de compassion. Ce même serviteur, pardonné par son maître n’est pas à mesure de faire de même à son compagnon qu’il connaissait bien. Puisqu’ils sont compagnons…. Mais non. C’est comme s’il n’avait pas d’entrailles,… insensibles. Devant certaines horreurs endémiques et ubuesques, je me demande si certaines personnes ont encore des entrailles sensibles ! 

Nous ne savons pourquoi ce serviteur était si endetté ! Avait il perdu en bourse ? Ou subit les conséquences insidieuses de certains emprunts comme pour la plupart des pays en voie de développement. On vous aide en vous plongeant dans un endettement pluri centenaire et systémique. Par ailleurs, parfois, selon ce que nous avons vécu, traversé, nos entrailles peuvent être abimées et devenir inactives, nous entrainant dans une spirale sans fin de la violence. Comme par exemple en Birmanie avec toutes les manifestations multiformes ,… ou en Éthiopie …

Ce n’était pas le cas de ce premier serviteur qui venait d’être comblé d’une si grande miséricorde et refuse d’imiter son maître et pour 100 deniers, conduira son compagnon en prison. Cent deniers, 100 pièces d’argents, étaient l‘équivalent de 3 mois de salaire. Toute fois, c’était des peanuts…. C’était important mais dérisoire en comparaison de ce qui avait été remis au premier serviteur. Ce serviteur aurait dû délier son compagnon. Il aurait dû réfléchir avant d’agir. Un proverbe africain dit : « il ne faut pas entrer dans la rivière sans connaître la profondeur ». Il jeta son compagnon en prison sans savoir ce qui pouvait suivre.

Chers amis, un manque de pardon constitue une offense à l’égard d’autrui et davantage si nous avons été pardonné nous mêmes. Le pardon est le don parfait par dessus tout. Quand il est donné et accueilli, il redonne vie à l’autre et à la relation. Quand on aime, on pardonne sans compter. Il n y a pas de comptabilité en matière de pardon. 7×70=infini

Celui qui a fait l’expérience d’avoir été pardonné par Dieu ne fait que rendre à son frère ou à sa sœur, du fond du cœur, ce qu’il a lui même reçu. Notre passif envers Dieu à cause de notre péché est comparable à celui du premier serviteur ; il est énorme. Il est impossible de nous en acquitter quelles que soient nos bonnes œuvres.

Mais Dieu dans sa miséricorde et sa générosité nous laisse aller totalement.

Comment, ayant reçu un tel pardon, ne pas nous montrer charitable vis-à-vis de nos semblables ? Osons nous interroger sur ces dettes à remettre, ces pardons à donner en actes, en paroles.

Parlant de la parole et de la langue, nous savons que sans la parole nous ne serions pas les humains. La parole transmet la vie, elle dit l’amour et permet d’entrer en dialogue. Mais la parole peut aussi blesser, lorsqu’elle n’est plus que monologue, ou transforme l’autre en objet. Elle peut aussi tuer lorsqu’elle condamne et exclut. Elle peut emprisonner et retenir le pardon. Le pardon dans sa dimension transcendantale a un lien avec la sagesse d’en haut. En remplaçant le mot « sagesse d’en haut » par le pardon, le verset 17 de Jacques 3 prend une autre dimension.

Jacques 3.17 « le pardon est tout d’abord pur, ensuite porteur de paix, doux,  conciliant, plein de compassion et de bons fruits, il est sans parti pris et sans hypocrisie ».

Chers amis, Nous sommes tous des mendiants devant Dieu, comme avait coutume de dire Martin Luther. Nous ne pouvons pas envisager le paiement  de notre dette.

Dans sa compassion, sa grande générosité et par sa grâce souveraine, Le Seigneur a payé notre dette et nous accorde par Jésus un pardon total et gratuit. Si Dieu nous comble de ses grâces et de son pardon, ce n’est pas seulement pour que nous en jouissions en égoïstes, mais c’est afin qu’à son exemple nous devenions généreux pour les autres :

  • Généreux en miséricorde et en patience
  • Généreux en bonté et en bienveillance.
  • Généreux en charité, avec les biens que nous avons reçus
  • Généreux dans toutes nos activités spirituelles pour l’édification et le bien de ceux qui nous entourent.

C’est ce pardon généreux qui nous libère et permet tant de résurrection de bonheur. 

En ces temps de carême, quand nous prendrons la parole veillons à ce que ce soit pour dire du bien, et non pour maudire et emprisonner .

En ce temps de carême, donnons, aimons, Investissons et pardonnons avec abondance même confrontés à des situations mortelles dans notre vie.

Sachons qu’au bout de ce chemin de Pâques, le péché du monde sera balayé par la fidélité d’un Dieu de pardon et d’amour.

Amen.

 

Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour le dimanche 14 février 2021

Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour le dimanche 14 février 2021

Lc 18,31-43

Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Pour le dire de manière plus générale, qu’est-ce que vous attendez de celui ou celle qui se met devant vous à ce moment précis qu’on appelle le temps de l’homélie, du sermon ou de la prédication ?

Un enseignement sur le texte biblique ? Des informations nécessaires qui vous permettraient de le comprendre théologiquement ? Cinq minutes d’homélie, dix minutes de sermon, quinze minutes de prédication, même plus de trente minutes de témoignage évangélique ne seront pas suffisants. En plus, quelques bons commentaires et ouvrages théologiques vous apprendront beaucoup plus et mieux qu’un pauvre pasteur comme moi.

Attendez-vous un moment de rafraîchissement, d’enrichissement ou d’encouragement ? Vous vous êtes peut-être dit : « Tiens, c’est Hyonou ce matin. Qu’est-ce qu’il va nous raconter aujourd’hui ? Une anecdote de sa femme peut-être ? » Il est vrai qu’il fait du bien parfois d’entendre des histoires qui nous touchent, nous émeuvent, nous bousculent, nous réconfortent, mais nous savons que des histoires drôles ou émouvantes, en plus édifiantes, on en trouve aussi partout ailleurs. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir beaucoup plus entendu et retenu des phrases vraiment poétiques et percutantes dans les romans de mes écrivains préférés ou dans des feuilletons coréens que dans des homélies.

Alors, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Qu’est-ce que nous voulons faire à ce moment précis qu’on appelle le temps de l’homélie ?

Peut-être espérez-vous entendre – comme moi quand je me retrouve sur les bancs d’une église – des affirmations et des interrogations, puisées et mises en lumière à partir d’un texte biblique, apportant un éclairage sur notre vie, notre existence ? Voulons-nous saisir la question que Jésus pose à cet aveugle-mendiant de Jéricho pour nous-mêmes : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » et trouver une réponse à cette question ? Autrement dit, voulons-nous savoir ce que c’est le salut pour moi, pour nous ? Voulons-nous oser nous demander encore une fois : Qu’est-ce qui me manque pour être pleinement moi-même devant Dieu ?

En parallèle à cette question du salut, il y a aussi une deuxième question qui surgit chaque fois que nous lisons les Écritures dans la prière et avec sincérité devant Dieu. C’est la question : « Que devons-nous faire ? » Tout comme les foules, des collecteurs d’impôts, et des militaires qui affluaient vers Jean le Baptiste en quête d’une vie en vérité, nous demandons : « Que nous faut-il donc faire ? » (Lc 3,10-14). Tout comme ces trois mille personnes qui ont eu le cœur bouleversé d’entendre le discours de Pierre au jour de Pentecôte, nous nous disons : « Que ferons-nous, mon frère ? Que ferons-nous, ma sœur ? » (Ac 2,37).

L’ennui, c’est qu’il n’y a pas parmi nous Jean le Baptiste, ni Pierre, ni Jésus – même si nous croyons que le Christ est mystérieusement présent[*]. En tout cas, je ne me prends pas pour l’un d’eux. Je me sens plutôt comme un de ces disciples qui ont entendu une parole de Jésus on ne peut plus explicite mais qui n’ont rien compris. Jésus annonce le sort qui l’attend à Jérusalem à l’instar du serviteur souffrant dont le prophète Esaïe avait parlé, et l’espérance de la résurrection. Mais ses disciples restent comme aveugles devant un tableau, comme sourds devant un discours, comme indifférents devant une vérité qui éclate. Dans la description de l’évangéliste Luc, ils restent même muets ; il sont incapables de rétorquer à Jésus en disant : « Mais qu’est-ce que tu veux dire ? Je ne comprends pas ! ». Aucun échange, aucune réaction qui suscite un quelconque partage. Ils ne comprennent rien ; ils n’ont donc pas à changer quoi que ce soit.

C’est aussi le danger de toute parole que nous connaissons bien ou, plus exactement, de la parole que nous croyons bien connaître. Je dis danger, mais en réalité c’est sans doute le destin inévitable de toute parole qui vaut vraiment la peine d’être entendue et comprise, c’est-à-dire la vérité de notre vie, la vérité sur notre vie. « Trahison », « moqueries », « outrages », « crachats », « flagellation », « mort » et « résurrection », tout cela, les disciples savent ce que c’est ou ils croient savoir ce que c’est, mais le sens véritable de toutes ces réalités en la personne de Jésus le Christ, ils ne le comprendront qu’à la lumière de Pâques. « Maladie », « isolement », « distance », « injustice », « pauvreté », « violence », « haine », « indifférence », « mort » et « résurrection », tout cela, nous savons ce que c’est ou nous croyons savoir ce que c’est, mais le pourquoi de toutes ces réalités, nous ne le comprendrons qu’à la lumière de Pâques, à la lumière du Royaume à venir.

Mais en attendant, voulons-nous être comme ces disciples interloqués ? Aveugles, sourds et muets ? L’aveugle-mendiant de Jéricho nous montre une autre voie. Contrairement aux disciples, il sait, il reconnaît qu’il est aveugle, et il veut en être guéri. Il n’est pas sourd car il entend les gens le rabrouer, et en réaction, il crie de plus belle. Mais surtout, il n’est pas muet. Il appelle le Christ, et il entre en relation avec lui en répondant à sa parole. La foi n’est pas quelque chose qu’on possède. La foi, la vraie, est quelque chose qu’on partage. La foi de l’aveugle-mendiant, qui est devenue aussi celle du Christ, l’a sauvé. Et cet événement de la foi n’est pas sans conséquence. Comme disait Dieu par le prophète Esaïe, « ma parole, du moment qu’elle sort de ma bouche, elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée » (Es 55,11). La pauvre parole humaine transformée en la Parole de Dieu comme un événement, transforme la foule autour du Christ en un peuple de louange.

Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Nous n’avons que notre pauvre parole humaine pour appeler, crier, prier. Mais Dieu vient à notre secours. C’est notre foi. Et par cette foi, Dieu nous donne d’être un peuple de louange déjà dans ce monde. C’est notre vocation. Un jour, nous verrons à la lumière de Dieu le sens de tout ce qui nous est arrivé et arrive, mêmes des anecdotes les plus futiles et insignifiantes que je n’oserais même pas vous raconter pour capter votre attention au début d’une homélie. C’est notre espérance.

 

[*] Une petite discussion avec sr. Dana après l’eucharistie me permet d’apporter cette précision.