Homélie par la pasteure Lucette Woungly-Massaga pour le 29 octobre 2020

Homélie par la pasteure Lucette Woungly-Massaga pour le 29 octobre 2020

Lectures : Romains 15, 22-29, Luc 13, 10-21

Il me fait du bien, Paul, avec tous les projets qu’il fait malgré tout ! Bon, il n’est pas sous la menace de covid19, mais son avenir n’est pas sans nuage : d’une part, il est bien affecté dans son corps, puisqu’il a plusieurs fois demandé au Christ de l’en libérer. D’autre part, se rendre à Jérusalem n’est pas sans danger : les autorités juives ont dû entendre comment il a tourné casaque après avoir persécuté la nouvelle doctrine, comment il en est devenu un témoin intrépide, prêchant jusque dans leurs synagogues … d’où il était chassé sans ménagement après un certain temps. Malgré tout, il fait des projets concrets et bien optimistes : tout confiant, il est persuadé qu’il ira non seulement en Italie pour visiter la communauté de Rome, mais il compte se rendre en Espagne (le bout du monde d’alors) ! Une sacrée confiance et une espérance solide [que je voudrais bien avoir moi aussi, et jusqu’au bout! Et avec sa même conviction qu’il fait ses projets avec la pleine bénédiction de Christ (v.29) !]

Quel contraste avec la femme toute courbée depuis 18 ans, qui n’a pas d’horizon : elle ne pouvait pas se redresser complètement et ne voit donc que le sol, les cailloux (peut-elle être encore sensible aux fleurs?)… elle voit les pieds des gens, et ne peut croiser leur regard. Elle n’a pas d’horizon intérieur non plus, quel projet d’avenir pourrait-elle avoir encore, après 18 ans dans cet état ? – Alors que Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue un jour de sabbat, elle était simplement là: Il y avait là une femme, comme faisant partie du décor, sans nom, pas vraiment vivante. Aucune parole, aucun geste. Et Jésus ne va lui poser aucune question alors que souvent, il cherche le contact pour créer la relation, éveiller le désir caché.

Pourtant, en la voyant, Jésus lui adressa la parole et lui dit : Femme, te voilà libérée de ton infirmité. » Il lui imposa les mains : aussitôt elle redevint droite – Et même si, à ce moment-là, il n’y a pas de dialogue, le courant a passé, au niveau le plus profond, la femme a été touchée corps et âme: son enfermement éclate, elle se redresse, son regard se pose alentour, elle voit celui qui lui a parlé et transmis de sa force en lui imposant les mains. Elle a compris: guérie, rendue à la vie, elle se mit à rendre gloire à Dieu. En cet homme, c’est Dieu qui l’a touchée.

Les 2 petites paraboles que Luc nous présente juste à la suite de ce récit nous donnent la clé du sens de ce qui vient de se passer: La femme vient d’être touchée par le Royaume de Dieu, d’y goûter, elle renaît à la vie – vie nouvelle – seul Dieu peut faire chose pareille! Déjà la pâte lève, le grain de moutarde a germé et pousse (vv.18-21). Le Royaume de Dieu est bien présent, mais caché…

Qui décèle qu’il est au milieu de nous, agissant? Jésus reste incognito. La femme, elle, s’ouvre à cette vie nouvelle inaugurée en et par Jésus! Ce n’est pas le cas du chef de la synagogue, lui qui attendait pourtant avec tout le peuple que Dieu intervienne enfin pour établir son Royaume sur leur terre spoliée par les Romains. Mais pas comme ça! Il prend toute la foule à témoin: Jésus aurait bien pu attendre un jour de plus pour soigner cette femme, le shabbat est sacré, consacré à Dieu ! Ah, quand les connaissances théologiques ou les traditions ecclésiales rendent aveuglent –et moi, combien de fois passé-je à côté d’une l’intervention de Dieu? combien de fois suis-je insensible à un signe de sa présence?

Et l’assemblée de la synagogue, a-t-elle compris de quel ordre était cette guérison et qui était celui qui avait agi? – Toute la foule se réjouissait de toutes les merveilles qu’il faisait (v.17). Se réjouissait-elle de voir des merveilles, sans penser plus loin? Pourrait-elle comprendre le sens profond de ce miracle sans l’éclairage des 2 petites paraboles?

Depuis la venue du Christ Jésus, le Royaume est présent dans la pâte humaine, dans le terreau de l’humanité. Partout dans le monde, en tout temps, il se manifeste sans jamais s’imposer comme évidence. C’est ce message qui donne à Paul des ailes pour faire des projets de voyage jusqu’au bout du monde. Et pour le transmettre, ce message pas croyable, il emploie un tout autre langage pour se faire comprendre des non-Juifs. Pour ma part, j’ai l’impression que je suis tour à tour le chef de la synagogue passant à côté, la femme vivant un moment de grâce, touchée profondément, libérée, guérie, ou encore comme la foule qui ne réalise pas toujours clairement que le Royaume déjà présent se manifeste dans tel ou tel événement concret.

Un mot encore pour vous qui commencez ce soir une retraite: Un temps de retraite n’est-il pas un cadeau qui peut me rendre plus attentive à la présence de Dieu (à sa parole chuchotée dans mon cœur)? et à la présence de son Royaume (son agir alentour ou en moi)? Tous mes temps sont dans la main de Dieu, à moi d’être bien présente dans chacun de mes temps!

AMEN.

 

Homélie par la pasteure Séverine Schlüter pour le 22 octobre 2020

Homélie par la pasteure Séverine Schlüter pour le 22 octobre 2020

Lectures : Romains 12,16-21, Luc 12, 1-12

«Ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer.»  (Luc 12, 11-12 – traduction en français courant)

Cette phrase a résonné tout particulièrement en moi ces derniers jours. Non que je sois amenée devant un tribunal ou que je doive me défendre – mais parce que, tout de même, j’ai accepté la responsabilité de m’exprimer devant vous, et de vous apporter un message sur les lectures de ce jour.

Cela fait maintenant plus d’une année environ que je ne vous ai plus rendu visite dans ce cadre. Depuis, beaucoup de choses ont changé pour moi, puisque mon mari et moi sommes devenus parents adoptifs de deux garçons venus d’Haïti, en avril dernier.

Or il se trouve que le plus grand, Ricardo, a dû entrer à l’hôpital justement aujourd’hui. Pour des interventions bénignes, rassurez-vous – mais cela occupe pas mal l’attention. Et c’est aussi demain le délai pour rédiger le rapport des 6 mois de leur arrivée en Suisse. Nous avons dû dans le même temps nous occuper de mes beaux-parents, entrés récemment au home…

Alors, c’est vrai, j’avoue, ces derniers jours, je me suis vraiment demandé si j’allais arriver à trouver le temps de réfléchir au message que je voulais vous donner ce soir.
Et oui, même à des pasteurs expérimentés, il arrive de se demander : qu’est-ce que, au monde je vais bien pouvoir leur dire ???

En relisant les textes proposés, cette phrase m’est alors sautée aux yeux :
«Ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer.»

Alors j’ai respiré un bon coup (c’est ce qu’on dit à nos enfants de faire quand ils sont énervés ou stressés), et je me suis dit : OK – je crois que tu es appelée à lâcher-prise, et à faire confiance. Il y a eu des choses importantes à régler, et même si apporter un message à une assemblée mérite d’y apporter du soin, personne ne va te manger si tu ne fais pas la meilleure prédication du monde !

Et puis j’ai pensé à mes enfants, justement. Eux-mêmes ont dû lâcher-prise sur tellement de choses : ils n’ont pas choisi de quitter leur famille pour se retrouver dans une crèche ; ils n’ont pas choisi d’être adoptés, de laisser leur pays pour un découvrir un autre. Ils ont dû apprendre et se familiariser avec tant d’aspects nouveaux : apprendre ce qu’est une famille, les règles à suivre dans une maison ou en société, la langue, leur environnement, de nouvelles personnes et manières de faire… nous avons pu mesurer leurs progrès et leurs ressources pour s’adapter.

Pourtant, il y a un aspect du lâcher-prise avec lequel ils ont encore des difficultés : ils veulent toujours faire le plus possible de choses par eux-mêmes, comprendre comment ça marche, et faire si possible sans notre aide – ce qui est souvent bien, mais qui les mets et nous met parfois dans des situations compliquées, et potentiellement risquées !

Ricardo, le plus grand qui a 6 ans, est très protecteur encore parfois avec son frère de 4 ans, Marc Arthur, et vigilant sur plusieurs situations du quotidien : vérifier qu’on a bien éteint les lumières, qu’on a fermé la voiture, rangé les vélos…

Il faut dire qu’ils ont dû apprendre tout jeunes à survivre sans toujours pouvoir compter sur des adultes. Et c’est à nous maintenant de leur prouver que nous sommes des parents fiables, et qu’ils peuvent apprendre à nous faire confiance. Qu’ils ont le droit d’être juste des enfants, et de nous laisser la responsabilité de gérer la maison.

Dans les deux textes du jour, il est justement beaucoup question de lâcher-prise.
Et notamment dans ses rapports avec les autres.

Le texte de Romains nous invite, pour bien vivre ensemble, à être en accord les uns avec les autres. Je ne crois pas que cela veuille dire qu’il faut être d’accord sur tout et avoir les mêmes opinions. Mais il s’agit surtout de ne pas comparer les situations des uns et des autres, d’éviter de s’offusquer quand l’autre a des opinions ou des manières d’agir différentes que les nôtres, de mettre de côté ses désirs de justice, quand on se sent menacé par le comportement de ceux qui nous entourent. Pour rester fixés sur l’essentiel :
Il ne s’agit pas d’être vainqueur dans ses démêlés avec l’autre, mais vainqueur par le cap que l’on garde, et le bien que l’on arrive à faire et à montrer.

Le texte de Luc, pour sa part, nous invite à lâcher-prise par rapport aux craintes que peuvent nous inspirer les autres, et leur jugement sur nous.
Les pharisiens apparaissent ici comme des espèces de garants des bonnes mœurs, et des conséquences inhérentes à un mauvais comportement; et c’est en cela qu’ils peuvent susciter la crainte. Pourtant, qui sont-ils, au fond ? Même si d’apparence ils sont très respectables, Jésus rappelle à ses disciples qu’au fond d’eux-mêmes, ils ont les mêmes limites que n’importe quel être humain. Que personne ne peut avoir tout compris, et tout résolu dans sa vie, et qu’on reste tous en chemin.
Là aussi il s’agit de se tourner vers l’essentiel : bien choisir Celui à qui on veut donner sa confiance, pour poser son regard sur nous, et nous dire où nous en sommes sur le chemin.

Cela m’a refait penser à une histoire sous forme de conte, que nous avons relue en début d’année dans un culte avec les familles : celle de Punchinello, écrit par Max Lucado.

Punchinello est un Vémiche. Et chez eux, on colle des gommettes dorées et étoilées à ceux qui sont beaux, doués et plein de talents – les autres, qui paraissent plus négligés ou maladroits reçoivent des ronds gris. Punchinello est malheureux de cette situation, jusqu’au jour où il rencontre une Vémiche sur qui aucune gommette ne tient collée. Il va alors s’entretenir avec le sculpteur Eli, son créateur, qui constate :

« Je vois qu’on t’a donné beaucoup de mauvaises notes ! »
« Ce n’est pas de ma faute, Eli, j’ai fait tout ce que j’ai pu. » dit Punchinello.
« Oh, tu n’as pas besoin de te justifier, poursuit Eli. Peu m’importe ce que pensent les autres Vémiches. »
« Vraiment ? »
« Oui, et tu devrais en faire autant. Qui sont-ils pour donner des étoiles et des ronds ? Ce sont des Vémiches, tout comme toi. Ce qu’ils pensent ne compte pas, Punchinello. Tout ce qui compte, c’est ce que moi, je pense. Et tu as une grande valeur pour moi, voilà ce que je pense. »
Punchinello se mit à rire. « Moi, une grande valeur ? Mais en quoi? Je ne sais pas marcher vite, je ne sais pas sauter, ma peinture s’écaille. Pourquoi ai-je de la valeur à vos yeux ? »
Eli regarda Punchinello, posa ses mains sur ses petites épaules de bois, et répondit très lentement :
« Parce que tu es à moi. Voilà pourquoi tu as de la valeur à mes yeux. »

Punchinello n’aurait jamais imaginé que quelqu’un le regarderait comme cela, encore moins son créateur. Il ne sut plus quoi dire.

« Si les gommettes ne collent pas sur ton amie, c’est parce qu’elle a décidé que ce que je pensais était plus important que ce qu’ils pensaient. Les gommettes ne collent que si tu leur permets de coller. »
« Comment ? »
« Les gommettes ne collent que si elles ont de l’importance pour toi. Plus tu mets ta confiance dans mon amour, moins tu te soucies de leurs gommettes. »

« Je ne comprends pas très bien. »
Eli sourit.
« Ça Viendra, mais cela prendra du temps. Tu as reçu beaucoup de mauvaises notes. Viens donc me voir tous les jours, et laisse-moi te montrer à quel point je t’aime. »

Eli souleva Punchinello de la table de travail, et le posa par terre.
« Souviens-toi », dit Eli, alors que le petit Vémiche franchissait le seuil, tu as une grande valeur, parce que c’est moi qui t’ai créé. Et je ne fais pas d’erreurs. »

Punchinello ne s’arrêta pas, mais au fond de son cœur, il réfléchit :
«Je crois qu’il pense vraiment ce qu’il dit».
Et à ce moment-là, un rond gris tomba par terre…

C’est ce point central que j’aimerais garder ce soir : le lâcher-prise et l’apprentissage de la confiance ; la confiance dans les capacités que chacun.e a en lui. En sachant que le seul regard qui importe sur notre personne, c’est celui de Dieu, qui sait reconnaître ces valeurs, et qui peut nous apprendre à aller vers le meilleur de nous-mêmes.

Amen.

 

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour le 15 octobre 2020

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour le 15 octobre 2020

Evangile : Luc 10, 38-42

Pour approfondir la méditation de l’évangile entendu ce soir, il est probablement précieux d’essayer d’entendre intérieurement avec quel ton Marthe d’une part et Jésus d’autre part s’adressent la parole.

Pour l’intervention de Marthe, vous trouverez certainement facilement dans vos souvenirs la voix d’une maitresse de maison généreuse, dévouée, très active et dynamique, un peu autoritaire, à l’instant où, la fatigue et le stress aidant, cette aimable personne « craque » en constatant l’inaction d’une autre personne dont elle attendrait normalement de l’aide….
C’est vraisemblablement sur ce ton, un peu excédé mais s’efforçant de se maîtriser, que Marthe dit à Jésus : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »

Cet exercice d’écoute est important, car d’une part il nous fait mesurer combien nous pouvons sans peine nous identifier à Marthe, et d’autre part, cela nous fait apprécier en contrepartie l’ humilité de Jésus, sa patience et son amour, lorsqu’il lui répond : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses ».
Un ton dans lequel un acteur professionnel saurait exprimer tout en même temps une fermeté indiquant qu’il y a un véritable enjeu, et un amour entier pour la personne de Marthe.

L’enjeu c’est que nous saisissions la loi de vie, que Jésus aimerait tant faire partager à tous : « Une multitude de choses t’inquiètent. Or, Il suffit de peu de chose, et même il suffit d’une seule… ».

Et si cette parole de Jésus, vraiment destinée à tous, si ce résumé de l’évangile nous servait de clé pour approcher ce qui habitait le cœur de l’apôtre Paul au sujet du peuple de la Première Alliance ?
Au long de trois chapitres de sa lettre aux Romains (chapitres 9 à 11) Paul exprime sa douleur incessante et son questionnement spirituel au sujet de son peuple d’origine, « à qui appartiennent l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; oui, ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles… »
Que désire Paul, plus que tout au monde, pour le peuple dont il est issu et dont il respecte tant l’élection, sinon qu’il connaisse l’unique nécessaire désigné par l’évangile,  l’Unique incarné en Jésus de Nazareth.

Et voici que tous, juifs, chrétiens venus du monde païen, tous sont unis par un égal besoin vital. Pour tous il est vital de saisir enfin dans quelle relation, dans quelle alliance le Seigneur veut inviter et rassembler ceux qu’il a créés !
Sans cette connaissance, sans cette découverte, les païens s’agitent et s’inquiètent pour ce qui ne nourrit pas et ce qui ne désaltère pas. Les descendants d’Abraham selon la chair multiplient les précisions aptes à commenter chaque commandement.
Chacun à sa manière, chacun en sa quête, risque de se perdre, de s’aigrir, de s’enorgueillir ou de s’imaginer orphelin. D’où la remarque angoissée et non dépourvue d’agressivité qui monte aux lèvres de chacun-e à certaines heures : « Cela ne te fait rien que je sois laissé seul-e ? »
Païens comme descendants d’Abraham, tous en viennent un jour ou l’autre à cette exclamation qui est un comble, devant le Dieu qui a tout créé par sa parole : « Seigneur, dis quelque chose ! » Et surtout, chacun a son idée sur ce que le Seigneur devrait dire : « Dis à untel de faire ceci, dis à unetelle de faire cela ! » …en priorité ce qui est souhaité que l’autre fasse, c’est quelque chose en notre faveur !

« Mon peuple, mon peuple, rappelle le Seigneur, que n’ai-je pas fait pour toi ? Mon enfant, que n’ai-je pas dit en ta faveur ? » « Ne t’ai-je pas dit de ne pas multiplier les sacrifices ? Ne t’ai-je pas indiqué l’unique nécessaire ? Rien d’autre qu’accomplir la justice, aimer avec tendresse et marcher humblement avec ton Dieu… » .

Par son attitude, Marie sœur de Marthe nous rappelle le premier commandement, l’orientation vitale pour le déploiement de toute existence : « Écoute ! » . « Écoute Israël ! »: quiconque écoute entre dans l’Israël de Dieu. Une accompagnatrice spirituelle de la Fraternité du Bon Samaritain écrivait récemment : « Pourquoi donc l’écoute est-elle si essentielle ? Le cantique monastique « Aujourd’hui ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur », inspiré du psaume 94, m’a permis d’avancer l’hypothèse [que] l’écoute est la voie privilégiée de l’ouverture du cœur ». Oui, l’écoute ouvre le cœur. Écouter vraiment quelqu’un permet à celle ou celui qui est écouté de rouvrir progressivement son coeur (alors que toute blessure ou agression profonde de l’affectivité provoque une fermeture du cœur). L’écoute est sous la promesse : « Ainsi, tu apprendras à aimer le Seigneur ton Dieu ; d’abord tu apprendras à le connaître, puis aussitôt, le connaissant, à l’aimer ».

Dans cette scène de l’évangile, ce n’est donc pas une opposition entre l’action et la contemplation qui est prioritairement en jeu. La question qui est en jeu est d’abord celle de l’écoute, première loi de vie ou première indication vitale donnée à Israël. Tout comme le premier geste de la personne qui aide à un accouchement est d’orienter correctement la tête de l’enfance à l’instant de sa Pâque, du passage de sa naissance, ici la priorité pour notre seconde pâque est d’orienter l’écoute vers le Seigneur, afin de pouvoir vivre par lui, avec lui et en lui tant la contemplation que l’action.
Nous n’avons pas à choisir entre contemplation et action. Nous nous devons aux deux à cause du Christ. Issac de l’Étoile, au 12è siècle, l’exprimait ainsi : « Avoir soif de lui seul, le Christ. Là où il n’y a que le Christ seul, se mettre volontiers au service de tous, là où sa présence est multipliée ! ». 2

La promesse (et l’enjeu !) de l’écoute est de nous permettre de devenir des êtres humains dont le cœur est avec le Seigneur qui parle. La part réservée et promise à ceux qui la choisissent, c’est de développer un cœur intelligent, c’est-à-dire un cœur semblable à une corde « sympathique » qui, sur une guitare indienne, donne sa note simplement en vibrant au son de la note dont la fréquence lui correspond.

Devenir des êtres humains dont le cœur est avec le Seigneur qui parle… Alors action et contemplation sont ajustées, vivifiées, par Celui dont la parole créée, sauve, et soutient la vraie vie.

Amen

 

Homélie par le pasteur Jean-Baptiste Lipp pour le 8 octobre 2020

Homélie par le pasteur Jean-Baptiste Lipp pour le 8 octobre 2020

Evangile : Luc 9, 28 – 36

 

Chères Sœurs, chers frères,

Dans cette histoire étrange, mais si ruisselante de lumière, Jésus pourrait bien être au sommet de sa gloire. Au bord de l’Ascension, même ! Le temps aurait pu s’arrêter à ce point culminant de l’Evangile. Et l’Evangile aurait trouvé ici une splendide conclusion. Pierre l’a compris, lui qui propose d’éterniser ce moment de bonheur intense en dressant trois tentes.

Pas si fou, pas si faux, quand on sait que, parmi les grandes fêtes d’Israël, il y a la fête des Tentes, justement. Le peuple de Jésus, – le peuple de Pierre, de Jacques et de Jean -, connaît bien la fête de Sukkot. On y célèbre, sept jours durant, la traversée du désert. Lors de ce temps de l’exode, Moïse s’entretenait avec Dieu dans la Tente de la rencontre…

Au désert, Dieu se révélait et se dérobait en même temps. Et cette expérience d’une révélation en marche est tellement fondamentale, qu’aujourd’hui encore, nos frères et sœurs israélites lui donnent une grande place. La fête de Sukkot, la fête des Tentes, la fête des Cabanes a lieu cette année du 3 au 10 octobre. On est en plein dedans.

Pensons à eux. Pensons à eux, dont certains dressent même des cabanes sur leurs balcons. Et pensons aussi à celle et ceux qui auraient dû faire ici et maintenant une retraite itinérante. Une retraite annulée en raison de la situation sanitaire… En marche, nous le sommes toutes et tous à l’école de l’exode. Même si nous sommes devenus sédentaires, nous avons dans nos racines spirituelles le nomadisme biblique. Et c’est à la lumière de ce nomadisme que je vous invite à retrouver notre Evangile du jour. 

C’est un point culminant, puisque l’Ancien et le Nouveau Testament se donnent la main. Ne s’agit-il pas ici d’une véritable « rencontre au sommet » ? Une rencontre en présence des plus grands ? Moïse pour la Loi, Elie pour les Prophètes, Jésus pour l’Evangile et, à leurs pieds, les principaux apôtres … pour la transmission apostolique. En effet, Jésus a voulu emmener au sommet de cette montagne Pierre, Jacques et Jean, ceux que j’appellerais « le trio de choc ».

Dans l’Evangile de Luc, Pierre, Jacques et Jean ont été aux premières loges pour voir ce qui s’était passé dans la maison de Jaïros. Jaïros dont la fille semblait morte, ou était peut-être déjà morte… Les trois disciples ont été les témoins privilégiés d’une formidable victoire de Jésus sur la mort ! C’est ce que vient de relater l’Evangile, à la fin du chapitre qui précède le nôtre, le chapitre 8.

Mais à l’autre bout du même Evangile, à Gethsémané, ils seront tous trois les témoins du face-à-face de Jésus avec sa propre mort. Ils seront présents dans ce jardin célèbre, où Jésus sera non pas transfiguré, mais comme défiguré par l’angoisse de la mort. Gethsémané est le prélude du Golgotha, cette autre « montagne », où Jésus sera mis en croix. Sur le Golgotha, ce ne sont pas trois tentes qui seront dressées – une pour Moïse, une pour Elie et une pour Jésus – mais trois croix. Deux pour deux malfaiteurs, et une pour Jésus.

Du reste, Luc est le seul évangéliste qui donne au récit de la transfiguration de Jésus une couleur « Gethsémané », une odeur de la passion. En effet, Luc précise ce que ni Marc ni Matthieu ne disent : Jésus monte sur cette « montagne pour prier ».

Luc précise encore de quoi Jésus, Moïse et Elie s’entretiennent avec lui : ils s’entretiennent de de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem, littéralement, ils parlent de l’exode de Jésus, un exode qu’il faut comprendre ici comme un chemin vers la vie, mais qui passe par une souffrance et par une mort.

Luc précise enfin que les trois disciples choisis pour l’accompagner sont « écrasés de sommeil ». Les indices sont nombreux, qui font de ce récit de la transfiguration non seulement une annonce de Pâques, mais aussi et d’abord de Vendredi Saint.    

Pierre veut dresser trois tentes sur la haute montagne de la transfiguration, éterniser ce moment de bonheur intense passé aux pieds de son Seigneur illuminé. Mais il devra attendre. Et en attendant, redescendre. Pierre, Jacques et Jean redescendent de la montagne forts d’une expérience inoubliable. Une vision indicible. Un immense point d’exclamation !

Mais aussi un formidable point d’interrogation ? C’est qu’ils n’ont pas encore tout vu. Et surtout : ils n’ont pas tout entendu. Ce n’est pas pour rien, je crois, que la proposition de Pierre – dresser « un saint camping » au sommet de la montagne – est immédiatement suivie de l’apparition d’une nuée. Ce n’est pas par hasard que, – de la nuée qui les recouvre et les inquiète, – une voix fait entendre cette consigne qui a toute son importance : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! »

Les disciples sont appelés à passer du mode de la vision à celui de l’écoute. Passer de l’expérience privilégiée d’une illumination – expérience que nous connaissons parfois, notamment lors d’une retraite spirituelle – à celle, exigeante souvent, ingrate parfois, mais prometteuse toujours d’une rumination de la Parole au quotidien. « Ecoutez-le ! » est le maître mot de ce récit.

Et si je l’écoute, et si je fais silence pour l’écouter, alors plus besoin de lui dresser une tente. Je pourrai me dresser moi-même, et nous pourrons nous dresser ensemble pour devenir, selon une image de l’apôtre Paul, des « temple du Dieu vivant » … 

Comme Jésus, et avec Jésus nous sommes en exode. Comme Jésus, et avec Jésus, nous sommes appelés à la vie, sans échapper à la mort. Comme Jésus, et avec Jésus, nous sommes appelés à prier pour nous laisser transfigurer.

Amen

 

 

Homélie par le pasteur Jean-Louis L’Eplattenier pour le 4 octobre 2020

Homélie par le pasteur Jean-Louis L’Eplattenier pour le 4 octobre 2020

Esaï 5, 1 – 7, Philippiens 4, 6 – 9, St. Matthieu 21, 33 – 43
mêmoire de St. François d’Assise

 

Dieu aime sa vigne ! En d’autres termes, Dieu nous aime, même dévastés, grêlés, gelés !

C’est beau de parler de vigne, en ce temps de récolte. Il y a quelques années, un orage de grêle, d’une rare violence, avait ravagé la totalité du vignoble. Le lendemain, un viticulteur de la région était allé trouver son ami, voisin, viticulteur aussi, et lui avait dit : « Va dire à ta vigne que tu l’aimes ! »

Dans l’Évangile, aujourd’hui, le problème n’est pas du côté de la vigne, mais des cultivateurs : c’est à eux que Jésus s’en prend, c’est à ces responsables, Grands prêtres et Anciens, les vignerons qu’il s’adresse.

Je pourrais m’arrêter là et faire le bilan de moi, au soir de ma vie = qu’ai-je fait des promesses de mon ordination, de la responsabilité confiée, d’une vie consacrée, de l’écoute, de la patience, du pardon, de la confiance, de la miséricorde ? Ce sera mon problème : le Seigneur m’attend à l’heure du règlement de compte.

Et puis, comment comprendre ce mystère : Dieu n’aurait-il pas eu d’autres moyens que celui de condamner son Fils à mourir ? La parabole semble dire, pourtant, qu’Il a pensé, espéré que son Fils serait respecté et qu’il pourrait accomplir sa mission : faut-il admettre que Dieu se serait trompé ?

J’aime à croire que « le chant du Bien-aimé à sa vigne » illumine l’Évangile d’aujourd’hui : Dieu ne se trompe, ni ne se renie : rien ni personne ne cloisonnent son Amour ; Jésus lui-même le confirme : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par Lui. »

Il y a comme une contradiction entre ce projet de salut et la colère de Dieu, et son jugement face à la vigne du Bien-aimé et aux vignerons de la parabole.

C’est vrai que Dieu ne fait rien sans nous : Il respecte notre oui comme notre non, mais, avec ce qui lui restait de souffle, sur la croix, Jésus a dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’il font. »

Je ne minimise pas l’importance de notre responsabilité, ni la réalité des transgressions assombrissant notre « oui » à suivre Jésus ; notre engagement s’exprime par une obéissance, une fidélité ; mais je crois à cet incompréhensible amour de Dieu et j’y vois la perle de la Parole aujourd’hui, parce qu’elle nous rappelle qu’avec le Christ, le Souffle de Bonté poursuit en nous, et avec nous, l’œuvre que le Père a entamée = en effet, « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, la clé de voûte : c’est ça l’œuvre, la merveille du Seigneur ». Sa vigne s’est élargie à la dimension de l’univers : au-delà d’Israël et de l’Église : par sa mort, il s’est identifié à la vigne : « Je suis la vigne », dit-il, et nous sommes les sarments bien-aimés de ce cep dont nous goûtons le fruit dans l’Eucharistie : le sang du Christ et son corps pour nourrir et réjouir notre âme.

Et puis, nous poserons la question : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait » ?

Saint Paul donne quelques pistes pour réponse , en se donnant en exemple : « Mettez en pratique tout ce que vous avez appris, reçu, vu et entendu de moi »…

L’Église, aujourd’hui, célèbre la mémoire de François d’Assise, Saint-François ; alors je préfère l’attitude de communion qu’inspire sa prière si connue, demandant au Seigneur d’être instrument de paix, ferment d’amour, de pardon, de vérité, d’espérance, de joie.

Et quand nous élèverons la coupe du Salut, nous nous écrierons : « Loué soit le Seigneur » : ce sera la parole la plus belle, la plus essentielle : reconnaître que Dieu est Dieu, Le Vigneron = c’est Lui. Saint-François, encore lui, nous invite à la louange en mobilisant tout notre être …

Père, que tout ce qui est en moi bénisse ton saint nom.
Que mes mains te louent par leurs gestes,
que mes pas te louent par leurs chemins.

Que mes lèvres te bénissent à travers leurs chants,
que mes yeux te célèbrent en reflétant ta lumière, ta beauté.

Que mes oreilles te répondent en écoutant ta voix,
que ma mémoire te rende grâce en se souvenant des traces de ta Présence dans ma vie.

Que mon intelligence te loue en cherchant la Voie de ta sagesse,
que ma volonté t’honore en se faisant servante de la tienne.

Que mon cœur te loue en aimant de ton amour,
que ma force te loue en s’offrant à toi
Que mon corps te loue, demeure de ton Esprit,
que tout en moi te rende gloire.

(Saint-François)

Amen.

Homélie par la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson pour le 24 septembre 2020

Homélie par la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson pour le 24 septembre 2020

Lc 7, 11-17

Ciel plein d'oiseauxLe retour à la vie du fils de la veuve de Naïn est une particularité de l’évangile de Luc, sans parallèle dans les autres évangiles. Ce récit se situe dans la première partie de son oeuvre qui présente qui est Jésus : après les récits autour de l’enfance (chap 1-2), l’on trouve la préparation au ministère – avec Jean Baptiste, le précurseur (3) et le récit des tentations (4)- , puis les premières guérisons et les discours (dont le sermon dans la plaine).
L’origine, des actes et des paroles présentent le personnage : Tout se met en place pour qu’à la suite de notre récit à la question de Jean Baptiste « Es-tu celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus puisse dire : « allez répondre à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Lc 7, 22)

Le récit d’aujourd’hui marque donc le point d’orgue de cette première partie de l’évangile, il condense la présentation de Jésus et sa bonne nouvelle.

Luc dans son évangile, on le sait, met à l’honneur les pauvres, les exclus : Luc montre comment l’évangile, la bonne nouvelle, non seulement s’adresse à eux en particulier, mais aussi comment ils en deviennent porteurs à leur tour : L’évangile s’adresse à eux – c’est par exemple l’annonce aux bergers la nuit de Noël, durant laquelle ils deviennent, à leur tour, porteurs de l’évangile – ce sont les bergers qui retournent en louant Dieu (Lc 2, 17-20). C’est encore ce que chante Marie dans son magnificat programmatique : « il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de biens » (Lc 1, 52s)

Dans notre texte aussi, nous avons une rencontre aux marges, en dehors de la ville avec une femme poussée dans l’exclusions par les circonstances de la vie : la mort de son mari d’abord, et celle maintenant de son fils, son unique.
Je vous propose de chercher ce que Luc transmet dans ce récit qui se passe sur un chemin où se rencontrent la vie et la mort, dans ce récit où Luc ne présente pas seulement une donnée supplémentaire du CV de Jésus, mais où il nous transmet la promesse existentielle que Jésus offre/ celle dont il est porteur/ celle qui peut devenir réalité pour nous, quel que soient les marges ou décalages dans lesquels nous soyons.

Pour approcher ce sens, je vous invite à porter notre attention aux personnages du récit : les foules, Jésus, le fils, la mère.

D’abord les foules : Vous y avez peut-être été attentives : « ses disciples et une grande foule » (11) font route avec Jésus, comme un cortège d’espoir et de vie[1]. Il rencontre « une foule considérable » qui accompagne une veuve à l’enterrement de son fils, un cortège funèbre : un cortège de vie rencontre un cortège de mort.

Ces deux foules forment l’arrière-fond des rencontres entre Jésus, le fils et la mère. Ces deux foules ne jouent pas de rôle actif dans le cœur du récit, mais présentes en coulisses, elles en rappellent l’enjeu : il en va de vie et de mort.
A la fin du récit, les deux foules n’en formeront plus qu’une : « Tous furent saisis de crainte et rendaient gloire à Dieu en disant (…) « Dieu a visité son peuple » (16).

A la fin du récit, le cortège de vie et le cortège de mort n’en font plus qu’un ; l’un n’a pas effacé l’autre, comme s’il n’y aurait plus jamais de décès, ni d’adieux, ni de souffrances. Mais comme deux foules qui se mélangent, la vie est désormais présente dans la souffrance. L’inéluctable de la mort a des failles. L’espoir peut désormais être associé à la mort : même dans les situations de désespoir, hors de l’habituel, hors de la ville, une promesse s’est réalisée : « Dieu a visité son peuple » – c’est ce que chantent les deux foules.
Désormais, indique Luc, la vie de Dieu peut se mêler à la mort et la souffrance. Dieu distille la saveur de sa présence jusque dans ce que nous repoussons aux marges et qui a odeur de mort.
Dieu a visité son peuple – c’est ce que chantait déjà Zacharie en ouverture de l’évangile (Lc 1,68).

***

Jésus : Pour être précise, la foule ne disait pas seulement « Dieu a visité son peuple, mais disait « un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple ». Un grand prophète – voilà qui dit une identité du Seigneur. Notre récit fait écho au récit de la veuve de Sarepta où le prophète Elie permet que la vie revienne au fils unique de la veuve (1 R 17, 17s).
On attendait le retour d’Elie pour la fin des temps. Ici, nous dit Luc, il y a même encore plus qu’Elie ; il y a encore plus que la fin des temps, la même urgence.
« Un grand prophète s’est levé parmi nous » – A lire ces mots après Pâques, les lecteurs de Luc, comme nous, n’entendons pas seulement l’arrivée de Jésus sur terre ; nous entendons aussi, déjà, la résurrection. « il s’est levé parmi nous » – « il s’est levé » c’est exactement le même verbe à la même forme qui décrit la résurrection en Lc 24, 6 dans la bouche de l’ange : « il n’est pas ici, il s’est levé » : Sur notre terre, parmi nous, dans notre quotidien, Jésus Christ, grand prophète, s’est levé ; Le Ressuscité, ferment de vie, est parmi nous.

***

« il s’est levé parmi nous » – C’est ainsi que la foule rend gloire à Dieu à la fin du récit. Comme un ruisseau qui fait son chemin, entrainant plus loin l’eau de la source, la force de vie du Christ atteint le fils, troisième personnage du récit.
« Lève-toi », lui dit Jésus. « Réveille-toi » traduit la TOB, mais il s’agit du même verbe que pour le prophète qui s’est levé, le même verbe qu’utilise l’ange pour la résurrection. « Jeune homme, lève-toi » « jeune homme, ressuscite ! »- même verbe, même portée: « il s’assit et se mit à parler ».
Il est assis, il n’est pas encore debout, mais le mouvement vers la verticale est amorcé. « Et ils se mit à parler » le verbe pour parler (lalein) est utilisé pour des sons inarticulés ou mal articulés, on l’utilise aussi pour le babillage des jeunes enfants : comme si un nouveau langage était à apprendre. Ou comme si on assistait à une nouvelle naissance :
La naissance d’un sujet : avant qu’il ne se lève (s’asseye, se mette à parler), le jeune homme n’était dans le récit qu’un objet, déterminé par les autres, « fils de ‘», « porté par ‘ ». Même le terme pour désigner son état de mort était un passif : celui qui a été « rendu mort » tednèkôs.
Un lien très, trop ?, étroit le lie à sa mère qui est veuve : « unique fils de sa mère à lui » dit littéralement le texte. A-t-il dû prendre la place du mari et du fils qui porte tous les espoirs, à s’effacer pour répondre aux attentes et responsabilités ?

Quand Jésus s’adresse à lui, il le rend sujet ; le Seigneur lui donne une identité propre, indépendante des autres. Il lui dit : « jeune homme » ; non pas « fils de », mais « jeune homme ». En l’appelant « jeune homme », il lui donne une identité indépendamment de ses liens familiaux. En l’interpellant ainsi, Jésus l’invite à grandir, à devenir quelqu’un.
Et comme s’il fallait insister sur ce point, il dit, « c’est à toi que je parle » (la TOB a traduit par « je te l’ordonne », mais littéralement, c’est bien « jeune homme, à toi je parle »). Jésus insiste pour réveiller ce jeune homme ; il s’adresse à lui, comme sujet : « lève-toi / ressuscite/ renais ». Jésus rend le jeune homme acteur, sujet de sa propre vie.

« Par son appel impératif et public, Jésus lui donne la stature d’homme libre qu’il lui révèle et l’élan pour sa vie à construire. » dira Françoise Dolto[2]

« Et Jésus le donne à sa mère » – la TOB a traduit « le rendit », mais le verbe est simplement « donner », il « le donne » comme un personnage distinct à sa mère. Avec « rendit » on pourrait croire que tout est rétabli, comme avant, mais le texte dit « donne » – un don, comme la possibilité d’un nouveau commencement, d’une nouvelle façon de vivre.

La description du mouvement du jeune homme « il s’assit » (plutôt que il se leva -directement) ; comme aussi le terme du babillage « il se mit à parler » comme s’il devait réapprendre le langage – nous rappelle que renaître après une vie déterminée par les autres, se lever en gardant le Christ comme premier vis-à-vis, ne se fait pas en une fois, mais peut avoir besoin d’étapes.

Et dans l’exclamation de la foule « un grand prophète s’est levé », ne peut-on pas aussi entendre que ce jeune homme à qui Jésus dit « Lève-toi » sera à son tour, prophète qui s’est levé, à la suite de son maître ?

***

Le dernier personnage est la mère. Elle est sortie de la Villa pour enterrer son fils, son unique. Elle est veuve, elle n’a plus de descendance. Autant dire qu’elle enterre son avenir.
Une femme veuve sans enfants n’avait plus de représentant légal, plus de personne responsable pour elle, plus de statut dans la société d’alors.
Même si aujourd’hui, une grande foule l’accompagne, elle est en train de sombrer dans la marginalité. Elle qui a encore un rôle aujourd’hui, demain ne sera qu’une pauvre parmi d’autres exclus. Et pourtant le texte lui fait beaucoup de place…

Elle, là où elle en est, émeut Jésus « il fut pris de compassion ». Tout ce qui se passe dans la suite du récit pour elle, nait dans l’émotion du Seigneur[3]. Il est pris aux entrailles, comme le Bon Samaritain ou le Père du fils prodigue[4].

« Elle enterre son avenir », disais-je. En écho à une approche psycho-anthropologique[5] du texte, on peut dire qu’elle renonce à ce qui la rend vivante, elle renonce à son désir de vie profond. Elle n’est plus que comme une housse qui agit, une « morte vivante ».

Les commentateurs en effet s’étonnent depuis longtemps du cercueil « soros » qui apparait dans ce texte. En effet, les juifs enterrent leurs morts dans un linceul, alors pourquoi un cercueil ? Il existe un mot pour dire « grabat » ou « civière », un mot qu’on utilise ailleurs dans les évangiles. Et il serait logique d’utiliser une civière pour porter le mort, mais c’est un autre terme utilisé ici et il n’apparaît qu’ici dans tout le nouveau testament.
Habituellement « soros » est bien un cercueil ou une urne funéraire. Alors pourquoi ce terme ? Marie-Laure Veyron-Maillet relève que le même mot chez Aristophane[6] désigne une vieille femme, décrépite.
Tout en jouant avec le contexte de mort qui renvoie à l’urne funéraire, le texte serait alors à traduire : « En la voyant, le Seigneur fut pris de pitié pour elle et il lui dit : « ne pleure plus ». Il s’avança et toucha la vieille femme ; ceux qui la soutenaient s’arrêtèrent. »

Pour poursuivre dans cette lecture, on pourrait dire que cette femme n’est pas seulement la victime des circonstances, intérieurement, elle y a consenti. Elle a éteint son envie de vivre ; elle a coupé avec son désir, ses talents ; elle est un cercueil vivant.

Jésus la voyant est « ému aux entrailles » pour elle ; il en est tout retourné. Et c’est dire ! Emu aux entrailles, ému dans l’utérus, – le siège de la vie – : la voyant dans cet état, il est touché à vif.
Compatissant au même endroit corporel que la femme qui enterre son enfant et son avenir, il s’approche, il lui parle, il la touche.
C’est un toucher qui a soif d’être en lien : c’est le même verbe qui dit l’espoir de la femme aux pertes de sang quand elle touche le vêtement de Jésus en espérant que sa force la guérira – une intensité d’attente, d’espoir, de lien (Lc 8, 44.46)

C’est avec cette intensité que Jésus s’approche de la femme.

Et il lui fait don de l’avenir qu’elle enterrait ; il l’invite à renouer avec son avenir, son désir de vie à elle, il l’invite à la vie dans ce lien avec lui, le Ressuscité.

***

Que devient la mère ?
Que devient le fils ?
Luc ne nous le raconte pas.
La fin de la première partie de son évangile culmine dans cette histoire. Dieu a visité son peuple, ému de compassion, posant des gestes de guérison, prêchant des paroles qui bousculent, il invite à une vie nouvelle de sujets debout, en lien avec lui.

Que devient la mère ?
Que devient le fils ?
Luc ne nous le raconte pas. La fin est ouverte.
Mais ce qui s’est passé, la parole, l’histoire, cette chose (17) s’est transmise / répandue dans toute la Judée et au-delà
jusqu’à nous
Et la question est peut-être plutôt :
« que devenons-nous ? »

Amen

 

 

 

[1] Jésus vient de guérir l’esclave du centurion

[2] Françoise Dolto, L’Evangile au risque de la psychanalyse, Seuil 1980, pp.73-116, citation p. 87 cité dans ETR 82 (2007/2) Marie-Laure Veyron-Maillet (cf infra), p.189

[3] Un commentateur se demande si cette compassion n’est pas si forte chez Jésus, parce qu’il y entend aussi la peine à venir de Marie, sa mère, à Vendredi Saint.

[4] Les deux seuls autres occurrences de ce terme dans l’évangile de Lc (10,33 et 15,20)

[5] ETR 82 (2007/2) Marie-Laure Veyron-Maillet « Polysémie d’un texte. Analyse narrative et psycho-anthropologique de Luc 7, 11-17 »

[6] Aristophane, Les Guêpes, v. 1365