Homélie par le pasteur Laurence Mottier, le 8 septembre 2024

Homélie par le pasteur Laurence Mottier, le 8 septembre 2024

 

Prédication Marc 7, 31-37
8 septembre 2024 Grandchamp

« Les personnes présentes étaient dans le plus grand étonnement », nous dit l’Evangile de Marc à la fin de ce récit de guérison au chapitre7.
Et vous, êtes-vous étonné.es ?
Surpris, frappés ou troublés ?
Ou bien ce texte vous est-il passé dessus comme une ritournelle habituelle, comme qqch de trop connu, trop entendu, rabâché et remâché dont il ne peut rien sortir de nouveau ni d’inattendu.

Y’a t’il place dans notre foi pour la curiosité, pour un regard neuf, une oreille non-préparée, une écoute vierge, une présence attentive, sans a-priori ni prêt-à-penser ?

Ai-je un espace en moi pour ce qui est non prévu et qui va m’étonner?

Ephphata, dit le texte….suis-je concernée par cette parole du Christ « Ephphata ouvre-toi- sois ouvert-ouverte » ? ou bien cela ne concerne-t-il que cet homme mal en point, qui n’arrive pas à articuler de paroles intelligibles, cet homme du passé ?
Ephphata sois ouverte, sois accueillante à ma parole…eu hé- bien non merci Seigneur j’ai pas trop envie de m’ouvrir là ! je suis bien dans ma vie, dans ma routine je me suis adaptée à ce qui est ; tout est en ordre et en place : toi, moi les autres, le monde et les choses comme elles vont. Je passe mon tour !

Etonnement ouverture : comment les laisser résonner ?
Qu’y a t’il à entendre dans ce texte de l’Evangile ?

Je vous partage un premier étonnement : après vérification, le lectionnaire de l’année b donnant lecture à l’Evangile de Marc saute à pied joint sur le récit précédant, à savoir le récit de la femme syrophénicienne qui vient hurler sa détresse à Jésus pour sa fille malade à telle force qu’elle arrache sa guérison à Jésus. Est-ce que ce récit reste trop décapant mettant à nu un Jésus ethnocentré et non-compassionnel, d’abord sourd aux cris et obtus, enclos dans sa propre tradition ? En effet, nos théologies supra naturalistes ont eu une fâcheuse tendance à diviniser Jésus, à lui ôter ses doutes, ses larmes, ses hésitations et ses agacements pour le faire flotter dans une identité christique toute puissante et intouchable. Tant il paraît anormal à nos yeux de conjuguer Fils de Dieu et fils de Nazareth, l’humain et le divin en Jésus-Christ, le divin avec l’humain et inversement, sans en lâcher aucun des deux.
Pourtant selon moi on perd une grande partie de la dynamique de ce chapitre 7, en sautant le récit de la syrophénicienne.

L’enjeu du chapitre 7 tourne autour du pur et de l’impur et nous pose la question suivante : qu’est-ce qui est véritablement souillure ? Qu’est ce qui entache l’humain ? et l’enjeu est posé par le reproche fait aux disciples de Jésus par les religieux de ne pas se laver les mains avant de manger. Et de tremper des doigts impurs dans le plat de nourriture. De ce pas, Jésus part dans une zone étrangère (Tyr et Sidon puis la Décapole) donc des régions impures, mélangées : il passe résolument la frontière – il met les pieds dans le plat – et accepte de se confronter à ce qui est étranger à sa propre religion. Ce faisant, il va opérer des retournements d’une totale radicalité et même plus il va être retourné lui-même.

Et c’est là qu’il est signifiant – et pour ma part, je dirais indispensable – de mettre en écho ces deux récits de guérison : qui concernent la syrophénicienne et l’homme sans parole.
Je vous partagerai ces échos en 4 points.

Le premier point, c’est que tout oppose l’homme et la femme : l’homme est passif, il subit ce qui lui arrive il n’a aucune voix au chapitre et il est sans parole distincte ni singulière. Il est aliéné à lui-même ; il n’est pas sujet mais l’objet de la foule, ce « on » impersonnel : on lui amène cet homme pour que Jésus fasse qqch, alors que la femme, elle, agit de son propre chef, elle crie, elle vitupère et intervient sans gêne et malgré les insultes et les rebuffades, insiste et supplie pour sa fille, à tel point qu’elle parvient à faire changer d’avis Jésus et à obtenir la guérison de sa fille.

Le deuxième point est aussi une nuance de taille, entre parole et corps : C’est sur la seule parole de la mère que sa fille est guérie, le dialogue, qui est très rude entre Jésus et la femme, joue sur les mots et les images et la femme entre dans la métaphore de Jésus comme enfermé dans sa judéité « il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens »… »pour lui proposer une nouvelle issue «  Mais les chiens sous la table mangent les miettes des enfants ». Le jeu de la langue échangée entre eux deux délie le pouvoir du malin, tenant la fille de la syrophénicienne dans ses griffes. Quant à l’homme, sans paroles et sans mots, il est touché dans son corps, dans sa matérialité corporelle blessée – langue nouée et oreilles obturées – et c’est le Christ en personne qui le touche au plus intime, avec sa salive mise sur sa langue – il crache nous dit le texte, ce que certaines versions ont poliment évité de traduction) et avec ses doigts mis dans ses oreilles. C’est un corps à corps qui s’engage entre eux ; face-à-face vies-à-vies incarné, dans la chair, dans la sueur et la salive.

Le troisième point est un contraste saisissant, mais qui, au fond, dit la même chose : le passage de frontières et la délivrance.
On dit à la femme étrangère : « Ferme-la ! »
Jésus dit à l’homme « Ouvre-toi »
A la femme qui dérange, on dit : Tais-toi. Boucle-là. Parole patriarcale qui cherche à enfermer hier comme aujourd’hui les femmes dans le silence, la bienséance et l’injustice. Des prisons de mort et de terreur. Les cris de la femme hors d’elle disent sa colère et sa force vitale pour affirmer son droit et sa place ; et pour sauver sa fille. Jésus finalement l’a entendue, l’a reçue et a été lui-même transformé.
Il dit à l’homme : Ouvre-toi ! sors de ton aliénation mutilante ! et il le touche là où l’homme est absent à lui-même et noué dans une confusion aphasique; dépersonnalisé, anonymisé, cet homme retrouve une parole claire, une capacité de nommer et d’être entendu, reconnu, compris, une capacité de partager et de dialoguer ; il est replacé dans un désir qui lui est propre. Il sort de sa prison de mots désarticulés, d’impuissance, – une prison de souffrances – pour trouver une place d’homme désirant et relié aux autres.

N’y a t’il pas de quoi être étonné.e par ces paroles d’Evangile ? et même bouleversé.es ?

Le 4ème point porte sur la différence d’environnement. Alors que la femme fait irruption dans un groupe d’hommes juifs, qui lui barrent le chemin vers Jésus et qu’elle doit jouer des coudes et de la voix,, Jésus prend l’homme à l’écart de la foule (le texte biblique insiste sur ce point : Jésus tire l’homme hors de la foule à l’écart…) pour vivre un face-à-face avec lui. Un seul-à-seul avec lui.

A l’écart
A l’écart de l’agitation
à l’écart de ce qui me presse et m’oppresse,
J’ai envie de vivre ce face-à-face avec le Christ,
avec son regard décisif sur moi, avec sa présence douce et vigoureuse sur mes zones en souffrances ; j’ai envie de sentir son toucher et son intimité  ; lui me débouche les oreilles pour entendre en vérité et en nouveauté
lui me prête sa salive pour renouveler mes mots et me remettre en désir
Et j’entends sa parole Ephphata

Chères soeurs, chers frères.
C’est bien l’étonnement qui devrait prévaloir à l’écoute de l’Evangile
car à la question de la souillure et des mains sales avant le repas, l’Evangéliste Marc répond carrément que Jésus s’engage tout entier avec son corps et sa parole dans ce qui est sale répugnant malséant chez l’humain ; qu’il le fait hors des frontières de son propre clan pour rejoindre l’autre en son humanité ; l’humain, la personne humaine singulière et unique, voilà une grandeur cardinale qui émerge dans l’Evangile, une valeur supra clanique, supra religieuse, supra nationale, supra réglementaire, supra idéologique, qu’elle que soit l’idéologie.
Jésus brise un interdit séculaire celui de la frontière entre le pur-impur…
ah vous pensiez qu’il est mal et condamnable d’avoir les mains sales avant un repas, eh bien regardez-moi je guéris un homme étranger qui n’est pas de notre religion – impur – que je ne devrais même pas voir ni considérer – avec ma salive mes doigts et ma parole…

La souillure…ce n’est pas d’avoir les mains sales, de toucher un malade, de répondre à une femme, de se mêler au monde tel qu’il est.
La souillure c’est de se croire pur aux yeux de Dieu en rejetant l’autre au nom de ce qu’on croit être la volonté de Dieu

Mésuser de Dieu est bien plus grave que de se salir les mains.

En Christ, la fracture entre pur et impur est consommée.

Et pourtant, les religions instituées se soucient encore et toujours de mettre des barrières entre pur et impur, d’ériger des frontières entre le dedans et le dehors, les sauvés et les damnés, les bons et ls méchants en catégorisant le nous et les autres, le nous et eux. Malheureusement les religions passent bcp de temps et d’énergie à séparer et à classifier, pour quoi ? pour tenter de se préserver et préserver une soi-disant pureté fantasmée et illusoire.

Jésus fait sauter ces carcans une fois pour toutes et il le fait au prix de sa vie et il le fait avec l’autorité de Fils de Dieu, non pas comme révolutionnaire, mais comme Fils du Père, au nom d’un Dieu, qui ne vient pas réinstaurer un nouvel ordre moral, mais un Dieu qui part, qui sort, qui va sur les chemins du monde ; un Dieu qui saisit à pleines mains la pâte du monde, la chair du monde…
Allons-nous le suivre ?

Libéré.es de l’obsession de la pureté que nous reste-t-il ? Hé bien les humains, l’humanité, les femmes hommes enfants jeunes ; en quête de guérison, de délivrance et de relèvement.

A l’image de la syrokphénicienne en colère, notre humanité hurle, vitupère et éructe sa détresse et sa révolte ; – dans nos maisons, familles maltraitantes, nos rues déshumanisées, sur les champs de guerre et de ruines, dans les désastres écologiques et les menaces nucléaires – Jésus vient, entre en dialogue, il écoute, il entend et répond à nos cris.

A l’image de l’homme à la langue nouée, notre humanité est sans paroles, confuse et dépersonnalisée ; elle erre perdue, désorientée, incapable de communiquer et de se faire comprendre ; au-milieu du tohu-bohu « cul par dessus tête, sens dessus dessous », Jésus vient et prend chaque personne à part Ephphata ; libérant la Parole, il redonne, à chacun.e, statut et visage humains.
Amen

Prédication du 27 juin 2024 par la pasteure Marie Cénec

Prédication du 27 juin 2024 par la pasteure Marie Cénec

 

Prédication sur Actes 16, 16-24 et Jean 11, 55 – 12, 11

Deux femmes qui dérangent: c’est ce dont il est question dans les textes du jour. Si je vous invite à vous concentrer sur l’épisode de l’onction à Béthanie, je vous proposerai de le méditer à partir de l’impulsion donnée par la jeune servante qui émerge du livre des Actes au chapitre 16. C’est une jeune femme qui dérange les prédicateurs avec son savoir venu d’ailleurs, avec son insistance… Elle confirme leur identité et la force de leur message en disant : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut ; ils vous annoncent une voie de salut ».

Mais elle les agace. Elle est tenace et Paul est « excédé », nous dit-on. Il l’exorcise, lui enlève son don et se met ainsi à dos les maîtres de cette femme qui monnayait ses oracles.
Si cette femme fait sortir Paul de ses gonds, ses paroles ne sont-elles pas justes ? Elle déborde du cadre de la bienséance, elle parle au nom d’un esprit qui sera exorcisé et pourtant ce qu’elle dit est juste et vrai. Cela donne à penser…

En écho, Marie de Béthanie, elle aussi dérange et elle est aussi dans le juste. Elle est mal accueillie par Judas qui est agacé. Jésus, lui, n’est ni dérangé ni choqué. Il saisit ce qui se joue dans la profondeur du geste de Marie et il le révèle à ceux qui assistent à la scène… aux personnages du récit, comme aux lecteurs et aux lectrices qui imaginent aujourd’hui cette scène incroyable et bouleversante de sensualité, de force et de fragilité mêlées.

En effet, ce qui est au cœur de cette histoire, c’est l’adieu au corps. C’est le dernier hommage au visible, à la matière, à la chair.

Et c’est un hommage d’une grande délicatesse: Jésus est encore bien vivant, mais Marie ouvre une porte sur l’au-delà de sa vie terrestre.
Elle verse sur ses pieds du parfum, un onguent parfumé. C’est incongru ! Plus encore, son geste est excessif : elle gaspille, elle en fait trop. Soudain, c’est toute la maison qui est envahie par l’odeur du parfum… Elle attire les regards sur elle, elle suscite les reproches de Judas. Comme si cette immense générosité ne pouvait que heurter cet homme de calcul caractérisé ici par son avidité.

Et que fait Jésus ? Il lui donne raison et, comme je vous le disais, il révèle le sens profond de ses gestes : elle a embaumé par avance son corps promis à la mort. Jésus justifie la folie de son acte : la perte d’un parfum de grand prix qui aurait pu être vendu pour procurer de l’argent aux plus nécessiteux. Mais il est juste, à ce moment-là, que ce parfum lui soit donné à lui.

Il arrive parfois que les effluves d’un parfum nous permettent de trouver le réconfort suffisant pour traverser une perte ou une épreuve : parfum d’encens ou d’huile consacrée, parfum d’un être aimé, parfum d’une simple fleur qui couvrent l’odeur du chagrin, parfum qui nous monte au nez et au cœur et suffit à masquer la puanteur d’une blessure ou d’une souffrance trop envahissante.

Avant qu’il traverse le gouffre de la mort, c’est un tel parfum, un tel baume qui est offert à Jésus. Il est ainsi préparé avant son dernier geste d’amour excessif, lui qui va consentir à la pauvreté radicale, se déposséder de sa vie.

Marie, en faisant cette onction sur les pieds de Jésus, nous entraîne au cœur du mystère de la vie et de la mort; elle offre également l’occasion à Jésus de délivrer un enseignement important : la suspension du jugement.

Le sens profond d’un geste ou d’une existence nous échappe si souvent… Nul besoin de juger hâtivement l’autre ou soi-même ! Savons-nous toujours d’emblée ce qui est juste ?
Que savons-nous de la trame mystérieuse qui donne à chaque vie son sens et sa grandeur ?
Que comprenons-nous réellement des intentions et des désirs des autres ?

La suspension de nos jugements hâtifs peut nous aider à mieux comprendre les autres, et parfois nous-mêmes. En effet, il faut souvent du temps pour saisir ce qui se joue dans telle ou telle situation. Le pourquoi de nos actes est parfois si étonnant !

Pourquoi ne pas accueillir l’excès et lui donner un sens ?
Les moments forts d’une vie, ceux qui restent gravés dans nos mémoires et dans celles de nos proches, ne sont-ils pas ceux qui sont excessifs ? Excès de chagrin ou de peine, mais également excès d’amour et de compassion, cadeaux qui coûtent trop cher, temps donné sans compter, projets un peu fous, rencontres où l’on se donne avec trop d’élan ?

Que ce soit dans nos liens affectifs, nos engagements professionnels ou la mission de vie que nous remplissons, ce qui reste, n’est-ce pas souvent ce que l’on a donné de tout son cœur, avec largesse ?

J’en conviens, il n’est pas toujours facile de fréquenter des personnes qui ont le sens de l’excès: c’est un peu comme vivre à côté d’un fleuve qui menace de déborder régulièrement. Mais dans nos élans de vitalité et d’énergie, n’y a-t-il pas quelque chose qui nous rappelle à l’intensité de la vie et qui peut nous inspirer ? Quelque chose qui nous déplace et nous invite à abandonner nos petits calculs pour épouser à notre tour l’excès ?

La vie spirituelle est caractérisée par la surabondance de l’amour de Dieu pour les êtres humains. Ce qui déborde également, c’est l’Esprit de Dieu, qui est aussi abondant qu’incontrôlable, comme dans l’Evangile de Jean où Jésus dit, parlant de lui : « Celui qui met sa foi en moi, — comme dit l’Écriture — des fleuves d’eau vive couleront de son sein ».

Ce n’est pas une petite source de vie qui traverse celui ou celle qui croit, ce sont des fleuves ! C’est clairement inconfortable, dérangeant, étonnant, provocant.

Mais c’est bien ce qu’il nous faut pour affronter l’ombre qui plane sur ce récit : celui de la mort, de l’absence, de l’impermanence : « Moi, vous ne m’aurez pas toujours ».

Si l’Evangile de Jean nous appelle à goûter à la vie éternelle, il nous parle aussi du « pas toujours », et les discours d’adieu de Jésus sont marqués par cette invitation à apprivoiser l’absence.

Jésus ressuscité ne revient pas avec son corps de chair, il ne revient pas comme avant. Lors de la crucifixion, il y laisse sa peau. Quelle délicatesse chez Marie qui prend soin de ce corps, qui ne néglige pas le rite de l’onction, qui honore de manière si tangible, concrète et charnelle le corps de Jésus ! J’aime y voir un excès de tendresse et d’humanité.

Excès de tendresse et d’humanité si difficile à exprimer de peur d’être jugé.
Excès de tendresse et d’humanité si difficile à recevoir, car il nous rejoint dans notre vulnérabilité.

Et pourtant, n’est-ce pas ces gestes de tendresse et d’humanité qui nous permettent de traverser nos morts et de nous relever ? N’est-ce pas ces débordements de vie qui nous rappellent avec force à la dimension résurrectionnelle de nos existences ?
Puisse cette histoire de parfum versé sur les pieds de Jésus guider chacun de nos pas dans les jours à venir… Oui, puisse cette histoire nous encourager à ne pas nous priver des excès inspirés par le Souffle saint.

Amen

Marie Cénec, juin 2014

 

 

Homélie du 4 août 2024 par Pierre-Yves Brandt

Homélie du 4 août 2024 par Pierre-Yves Brandt

Chères sœurs, chers frères,
Les textes de ce jour nous parlent d’aveuglement. A ceux qui le cherchent après la multiplication des pains, Jésus dit :
« En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n’est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez, mais parce que vous avez mangé des pains à satiété. » (Jn 6,26)
Autrement dit, vous avez reçu la nourriture quand vous en aviez besoin et vous en restez là. La seule chose qui vous intéresse est d’avoir le ventre plein et d’être en bonne santé. Et vous ne voyez pas que si cela se passe, c’est que Dieu prend soin de sa création et de ses créatures. C’est lui qui, par le passé, a donné le pain au peuple qui marchait dans le désert. C’est lui qui, aujourd’hui, donne le pain du ciel. Mais une fois que vous avez satisfait votre faim, vous ne vous demandez pas un instant comment cela a-t-il bien pu se passer. Pourtant, comprendre que le pain que nous mangeons nous met en relation avec Dieu change tout. C’est ce que Jésus exprime quand il parle du pain du ciel.
Quelle est la différence entre le pain que l’on mange juste pour se nourrir et le pain du ciel ? En apparence il n’y en a pas. L’un et l’autre ont la même forme, nous sont donnés par le moyen d’un aliment fait avec de la farine. La différence, elle se marque dans la manière de recevoir cet aliment. Ce pain que vous mangez, vous comprenez qu’il est le pain du ciel quand vous le recevez comme l’expression de l’amour de votre Père qui est aux cieux, quand les yeux de votre cœur se sont ouverts pour le reconnaître.
De même que Jésus, l’auteur de la Lettre aux Éphésiens parle d’un aveuglement. Il parle de ceux qui ne connaissent pas Dieu comme de gens dont la « pensée est la proie des ténèbres » et qui « sont étrangers à la vie de Dieu » (Ep 4,18). Ils n’ont pas d’autre horizon qu’eux-mêmes. La traduction de la TOB dit qu’ils sont inconscients ; le texte dit littéralement qu’ils « sont devenus insensibles » (Ep 4,19), c’est-à-dire qu’ils ne sont pas réceptifs à l’autre, aux autres, à l’expression de l’attention des autres. Ils vivent pour attirer vers eux-mêmes. Le texte utilise deux termes qui l’expriment très bien : la cupidité et les convoitises. Au verset 19, la traduction de la TOB parle de « se livrer à la débauche, au point de s’adonner à une impureté effrénée » ; littéralement, le texte dit que « ceux qui sont eux-mêmes devenus insensibles ont été livrés à la débauche en vue de la pratique de toute impureté, dans la cupidité ». Quand on devient insensible à tout ce qui nous entoure, la seule chose qui nous intéresse, c’est d’avoir pour soi-même ; dès lors, ce que l’on reçoit, on ne voit plus qu’on le reçoit d’un autre. C’est cela la cupidité : avoir pour soi, sans s’intéresser ni aux autres qui pourraient aussi avoir besoin de recevoir, ni aux autres par lesquels nous recevons ce dont nous avons besoin.
Plus loin, au verset 22, le texte parle de convoitises : « Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous l’effet des convoitises trompeuses. » Le texte fait référence au « vieil homme », c’est-à-dire au vieil Adam, celui du premier jardin. En Genèse 3, on voit comment Adam et Eve ne sont intéressés qu’à une seule chose : avoir pour eux-mêmes le fruit de l’arbre. Ils ne pensent plus que s’il y a un jardin et un arbre, ce jardin et cet arbre sont l’expression de l’amour de Dieu. Ils ne voient pas l’arbre et son fruit comme la manifestation de la présence de Dieu dans le jardin. Ils voient seulement le fruit, comme une substance appétissante à ingurgiter pour leur seul plaisir. Leurs yeux sont aveuglés. La cupidité et les convoitises sont l’expression d’un enfermement sur soi. Être ouvert à l’autre ou enfermé sur soi s’exprime au quotidien, dans toutes nos attitudes, y compris dans le simple rapport que nous entretenons avec ce que nous mangeons.
A ce propos, je vais vous lire un apophtegme d’un père du désert, tirée de la collection systématique parue dans les Sources chrétiennes qui illustre bien ce qui fait la différence entre ceux qui mangent en étant aveuglés et centrés sur eux-mêmes et ceux qui ont les yeux ouverts sur la relation à l’autre et à la présence de Dieu en toute chose. C’est l’apophtegme XVIII,42 :
1 « L’un des pères racontait que trois choses sont pré-
2 cieuses aux moines, qu’il nous faut poursuivre avec crainte,
3 tremblement et joie spirituelle : la communion des saints
4 mystères, la table des frères et leur laver les pieds. Et il
5 en apportait l’exemple suivant. Il y avait un vieillard,
6 grand clairvoyant, auquel il arriva de manger avec plu-
7 sieurs frères. Tandis qu’ils mangeaient, le vieillard spiri-
8 tuellement attentif, assis à table, en vit certains manger
9 du miel, d’autres du pain, d’autres du fumier. Il s’en
10 étonna et demandait à Dieu : « Seigneur, révèle-moi ce
11 mystère : pourquoi, alors que les mêmes aliments sont
12 présentés à tous sur la table, ils paraissent ainsi trans-
13 formés lorsqu’on les mange, et que les uns mangent du
14 miel, d’autres du pain, d’autres du fumier ? » Et une voix
15 d’en haut vint lui dire : « Ceux qui mangent du miel sont
16 ceux qui sont assis à table avec crainte, tremblement et
17 joie spirituelle, et qui prient sans cesse. Leur prière monte
18 vers Dieu comme un encens ; aussi mangent-ils du miel.
19 Ceux qui mangent du pain sont ceux qui rendent grâce
20 en prenant part aux dons de Dieu. Ceux qui mangent
21 du fumier sont ceux qui murmurent et disent : ceci est
22 bon et cela est mauvais. Il ne faut pas penser cela, mais
23 plutôt rendre gloire à Dieu et adresser des hymnes au
24 Tout Puissant afin qu’en nous s’accomplisse cette
25 parole : soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi
26 que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. » (1 Co 10,31)

Ce petit récit raconté par un ancien du désert illustre bien ce qui distingue ceux qui ne sont centrés que sur eux-mêmes et ceux qui reconnaissent en toute chose le signe de la présence de Dieu. Ceux qui mangent du fumier sont comme le peuple au désert qui murmurait. Ils jugent de tout, ne sont jamais content de rien. Il y a toujours un défaut, de quoi se plaindre. Ceux qui sont ainsi savent en permanence ce qui est bien et ce qui est mal. Ils poursuivre le même objectif qu’Adam et Eve dans le premier jardin : avoir la connaissance du bien et du mal, être au-dessus de toute choses, comme s’ils étaient des dieux. Mais ils pensent qu’être des dieux, c’est être distants, évaluant froidement toute situation pour la juger. Ils n’ont pas compris qu’est Dieu celui qui donne la vie véritable, celui qui s’engage par amour pour les autres, jusqu’à se perdre soi-même.
Ceux qui mangent véritablement du pain sont ceux qui chaque matin en redécouvre le goût comme un bienfait renouvelé. Chaque matin, ils reçoivent le pain du jour comme une nouvelle occasion de rendre gloire à Dieu.
Et ceux qui mangent du miel sont ceux qui gardent en permanence en leur cœur le souvenir de la présence de Dieu. Pour eux, tout devient occasion de prière, c’est-à-dire de relation avec Dieu dans laquelle tout ce qui est vécu est partagé avec le Père céleste. En eux la « transformation spirituelle de l’intelligence » (Ep 4,23), comme le dit l’auteur de la Lettre aux Éphésiens, est arrivée à son accomplissement. Alors, ils sont en permanence reliés au Père céleste, source de toute vie.
Nous sommes sur ce chemin. L’apôtre dit que la sortie de l’aveuglement, l’ouverture à la présence des autres et de Dieu dans nos vies, se traduisent par des changements de conduites et de pratiques. « Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn 6,33), dit Jésus. Quand nous recevons les dons de Dieu en rendant grâce, nous recevons la vie que Dieu donne au monde. Et quand nous recevons cette vie le cœur empli de joie, alors nous avons pleinement revêtu l’être humain nouveau, l’Adam nouveau qui est le Christ. Nous sommes de ceux qui croient en Jésus, qui n’avons plus ni faim ni soif, car notre être est en permanence irrigué par la vie de Dieu. Nous sommes devenus semblables au Seigneur Jésus. Recevons cette grâce qui dépasse tout entendement dont Dieu nous fait don sans compter.

Homélie du 7 juillet 2024 par Jean-Louis L‘Eplattenier

Homélie du 7 juillet 2024 par Jean-Louis L‘Eplattenier

 

Lecture : Évangile selon st. Marc 6, 1-6

« Nul n’est prophète en son pays » !

Cette réalité que Jésus vit au cœur de son enracinement familial et religieux, c’est déjà un clou planté dans le bois de la Croix.

La sagesse de Jésus, son discours, ses talents miraculeux, sa renommée admirable, sont incompatibles avec l’enfant du pays que tout le monde identifie : le charpentier, fils de Marie, de Joseph (Luc précise),le frère de ses frères et sœurs, est en complet décalage avec le tableau familial ; quand, dans la synagogue, on lui fait lire la prophétie annonçant un temps nouveau dont il dit être l’initiateur, le témoin, c’est trop ! il en devient insupportable, au point que l’on le jette hors de la ville pour le précipiter du haut d’un escarpement : c’est Luc qui le précise. Plus tard, quand sa mère et ses frères viennent le chercher, parce que, disent-ils, Il a perdu la tête, Jésus dira : « ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique (Luc 8, 19).

L’Évangile nous rappelle très clairement que Jésus appartient à une lignée humaine, terrestre, enracinée ; et, en même temps, Il vient du ciel ; cette double appartenance est incompréhensible, ce n’est pas raisonnable et Jésus le confirmera : quand Pierre confessera : « tu est le Christ, le fils du Dieu vivant ». Jésus répondra : « tu es heureux, Simon, ce ne sont pas la chair ni le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux (Matth. 16,17).

C’était donc difficile d’accueillir Jésus, Parole vivante de Dieu : Il se heurte à l’incompréhension des siens, emprisonnés dans une logique rendant Jésus inopérant.

Il me semble que notre monde ressemble étrangement à celui de Nazareth, et, comme cela est dit du temps de la vocation de Samuel : « la Parole de Dieu était rare en ces jours-là » (1 Sam. 3, 1). Ce n’est pas que Dieu soit absent mais sa Parole n’est plus entendue dans notre monde en grande souffrance et même en Église, cette même Parole de Dieu rencontre beaucoup d’opposition, d’indifférence ; dans notre relation avec autrui, si fondamentale pourtant, elle n’est pas toujours accueillie, bienvenue, et, dans notre propre terre intime, intérieure, elle se heurte à de la résistance, quelquefois distillée au gré de nos humeurs, quand nous confondons la foi, la raison et la sentimentalité, quand s’installent la lassitude, le doute ou la révolte ou quand nous biaisons l’exigence liée à un engagement.

Nul n’est prophète en son pays ! Pour qu’il comprenne que ce n’était pas lui le prophète, St. Paul a été terrassé, corps et âme : Jésus a utilisé la manière forte pour réajuster les priorités et que l’apôtre accepte que la source de sa force il la puise dans la fragilité d’une écharde, d’une blessure sans qu’en soit amoindrie sa passion pour Dieu.

C’est difficile aussi de reconnaître le visage du Christ dans celui de l’autre, mon frère, ma sœur ou de discerner en eux un visage comme Jésus le voit, dépassant l’accidentel, ce qui heurte et dérange ; oui, trans-figurer (traverser la figure), comme une icône, fenêtre ouverte sur l’Au-delà, l’intériorité, la vie intérieure : ce n’est pas une intrusion dans la vie d’autrui, mais simplement la reconnaissance que cette vie intérieure est habitée, comme je le souhaite pour la mienne, et là se joue un cœur à cœur parce que ce regard-là n’est rien d’autre que celui de l’amour, ce talent mystérieux qui permet de dépasser l’apparence, de quelque ordre qu’elle soit, pour discerner la réalité divine de l’autre. Ce n’est pas une évaluation raisonnable, mais un acte de foi et d’amour qui relève de l’intelligence du cœur.

Le corps, l’esprit, la raison, la conscience peuvent être abîmés à l’extrême, défigurés, mais demeure cette image du Christ présence ineffable dans l’âme.

C’est à elle qu’appartient de reconnaître le corps et le sang du Christ, dans le pain et le vin de l’Eucharistie ; c’est en elle et par elle, avec la force et la douceur de l’Esprit que vibre en nous la présence de Jésus. J’aime cette parole du sage : « Je voudrais être flaque d’eau pour refléter le ciel ! »

Il arrivait, autrefois, qu’on dise de quelqu’un qui mourait « qu’il a rendu son âme à Dieu » ! Ce n’était pas tant pour signifier la fin des battements du cœur que pour dire le retour à Dieu de ce qui lui appartenait, à Lui-Dieu, dans la vie du trépassé = l’âme.

Alors oui, Jésus demeure prophète en son pays qui est notre âme qui « trouve son repos en Dieu seul ».

Amen.

08.07.2024/JLL

 

Homélie du pasteur John Ebbutt, le 23 juin 2024

Homélie du pasteur John Ebbutt, le 23 juin 2024

Prédication – Grandchamp, le 23 juin 2024

Luc 1, 55-66

Il faut tout un désert 

Parlant en paraboles 

Pour qu’au silence ouvert 

Fleurisse une Parole

Paroles d’un chant qui a raisonné pour moi à l’écoute de l’Evangile,
naissance d’une parole, et qu’elle voix ! Celle qui retentira dans le désert justement, pour fleurir avec Jean-Baptiste qui appelle au bord du Jourdain

Une voix forte, puissante, abrupte parfois

Une parole sans détours, claire comme la source, limpide comme un baptême

Mais une voix qui est d’abord née d’une promesse, d’une visite et puis de … silence

Dans notre monde envahit de bruits, d’agitations, saturé d’informations, dans ce monde qui s’écoute si souvent parler

Ce monde si friand de communication, mais qui peine à trouver un accès à la voix de l’autre

Voilà que cette naissance est précédée de silence… Celui de Zacharie rendu muet par l’ange. Avec peut-être aussi la discrétion d’Elisabeth qui se cache durant 5 mois dans la région montagneuse de Judée alors qu’elle est enceinte.

Et il y a tout cet Avent qui conduit à aujourd’hui, ce qui précède un premier cri, des exclamations de joie, une louange comme un hymne de reconnaissance

Peut-être faudrait-il soi-même commencer par se taire pour que le silence dilate notre écoute et qu’il nous murmure une parole

Car comment nourrir encore ce besoin qu’il y a au fond de chacun de puiser aux sources du silence, et sans lequel, comme le dit la règle, « l’être profond se dissocie et se perd ? »

Seulement il ne suffit pas d’arrêter de parler pour qu’il y ait un peu de silence. Une absence de bruit comme on coupe la radio ou que l’on fasse taire le pasteur !

Il est des solitudes silencieuses qui sont angoissantes… où il nous manque la voix rassurante de l’ami

 

Je me souviens de ma première découverte d’un silence habité lorsque jeune encore, j’avais passé quelques jours de retraite au Carmel de la paix à Mazille en Bourgogne. On en devient imprégné, enveloppé, mais il nous rend aussi à la saveur et au précieux d’une parole que l’on a plus envie de gaspiller, qui prend un sens retrouvé

Et c’est justement ce qui entoure la naissance de Jean-Baptiste aujourd’hui. Un silence plein de mystère, qui survient lorsque Zacharie va douter des paroles de l’ange Gabriel et remettre en question l’annonce d’une prochaine naissance : « comment saurai-je que cela est vrai ? Je suis vieux et ma femme aussi est âgée !»

Honnêtement, comment ne pas lui donner raison  ? Ce n’est en tout cas pas cette parole de trop qu’on lui aurait reproché. Aurait-il dû recevoir la nouvelle sans broncher ?

Mais l’ange lui annonce alors qu’il va devenir muet et ce, jusqu’à la naissance de l’enfant ! Un silence imposé, pour un prêtre, un homme de parole, un ministre du Verbe : ne pas pouvoir s’exprimer pendant 9 mois, imaginez le défi ! Un Dieu qui vient nous couper la parole !

On nous dit que Zacharie était obligé de communiquer en faisant des gestes, comme une nouvelle langue pour devenir lui-même Signe visible

Il y a des silences qui parlent…

Et si cela avait été dans la vie de Zacharie, comme une grâce pour laisser la promesse faire son chemin de naissance en lui ? un peu comme une mise en espérance, comme s’il lui fallait lui aussi enfanter d’un devenir ?

« N’aie pas peur, Zacharie, car Dieu a entendu ta prière : Elisabeth, ta femme te donnera un fils que tu nommeras Jean. Tu en seras profondément heureux et beaucoup de gens se réjouiront au sujet de sa naissance ».

Et si le fait de ne pas pouvoir tout de suite discutailler, causer, échanger avec d’autres, c’était d’abord pour l’inviter à prendre le temps du retrait, de la gestation. Le temps d’accueillir et d’adopter, de faire grandir et de mettre au monde lui aussi ?

Un silence qui l’entoure, mais le protège aussi de trop de paroles. Celles qui agressent et questionnent sans cesse.

Nous sommes si souvent prompts à réagir, impulsif, immédiats. A vouloir le dernier mot

Passer du doute à la tranquille assurance d’un accomplissement
De l’instantané au temps qui nous tisse intérieurement
Devenir soi-même un signe qui ne doit pas être troublé
Laisser peut-être parler à travers nous sans s’interposer
On respecte Zacharie car on le sait porteur aussi d’un message qui un jour sera délivré

Silence qui résonne, plein d’une belle densité où l’on reçoit une parole qui permet d’avancer pour s’ouvrir aux autres, aux événements, à la vie avec ces bruits, ces à-coups, sa dureté même et tout ce qui nous envahit mais dans une paix intérieure préservée.

Une paix comme une disponibilité à tout ce qui nous est donné

Dieu se dit dans nos déserts, nos espaces de silences, nos retraites, mais aussi lorsque nous sommes sans voix, démunis, vulnérables, exposés

Se taire pour devenir plus attentif, mieux tendre le coeur. Car si l’on peut être facilement sollicité, divisé, plein de bruits, comme Marthe ou légion comme l’homme qui est dépossédé de sa voix, il faut retrouver néanmoins une unité. Une parole unie, cohérente, un oui qui soit oui

Zacharie confirme après son épouse que le nom qui sera donné à l’enfant est Jean

Et en nommant, la langue se délie, en appelant, il s’ouvre à nouveau à la vie! Il loue le Seigneur, et c’est la première exclamation de joie après si longtemps, comme si ce qui avait été retenu pouvait enfin s’exprimer comme un trop-plein

Il s’appellera Jean pour celui qui n’aura pas la langue dans sa poche, mais qui un peu comme son père, invitera, loin des bruits de la ville, à venir au désert pour vivre un retournement

Johanan – Dieu fait grâce

Jean – des temps nouveaux sont annoncés où l’on peut retrouver le feu d’une vocation, l’immersion d’une nouvelle naissance, le fruit d’un changement

Jean – celui qui montre et désigne, celui qui est dénonce et parle vrai, dans le désert, celui qui demandera : es-tu celui qui doit venir ?

Jean le précurseur pour ajuster nos vies à l’Agneau, à cet autre Parole en marcher qui tout à coup paraît

Il est des silences féconds, non pas forcés, mais qui nous dépouillent et auxquels il faut consentir pour retrouver la Source

Il est des silences qui nous réapprennent à bien nous nommer, par nos noms, nos identités

Il est des silences qui parlent comme de nouvelles Pentecôte, comme Zacharaie rempli du Saint-Esprit

Il est des nuits comme Jésus qui s’était retiré sur une montagne pour prier, mais aussi juste après avoir appris la mort de Jean, au désert, dans un endroit isolé…

Il est de silences qui pleurent
Il est des silences qu’il ne faut pas troubler
Il est des silences de communion et d’intimité

Bien avant que je ne prépare ce message, j’avais pris pour résolution pour cet été, entre déménagements, changements de paroisse et beaucoup de sollicitations, d’une sorte de shabbat de la parole. Je ne me tairai pas entièrement, rassurez-vous, je reste pasteur, mais voilà venu le temps d’un certain silence intérieur dans lequel il me faut entrer, à relire les Ecritures, à ne pas toujours donner explications de théologien trop assuré. Un temps de jachère où on laisse reposer le champ. Que c’est bon

C’est aussi l’histoire de ma vie, ce passage d’un grand silence à la parole donnée

A propos, vous connaissez la suite de ces paroles du chant de Jean Debruynne ?

Il faut tout un désert 

Parlant en paraboles 

Pour qu’au silence ouvert 

Fleurisse une Parole. 

Une question est née

Tout au fond de moi-même,

Certitude étonnée

Qu’il existe un « je t’aime »

Aujourd’hui j’étais mort:

J’entends la vie qui craque,

J’entends la vie qui sort,

Je choisis une Pâque!

Suis-je donc assez fou

Pour croire une présence:

Dieu comme un rendez-vous,

L’homme comme une chance ?

Dieu qui délie nos langues pour laisser jaillir la joie
Pour parler vrai comme Jean avec audace et foi
Pour témoigner comme une première parole, la première de notre vie :

voici Celui qui vient et qui nous redira : Effata !

Ouvre-toi !

Amen

 

Homélie du pasteur Jean-Pierre Roth, le 9 juin 2024

Homélie du pasteur Jean-Pierre Roth, le 9 juin 2024

Textes : Genèse 3, 9-15 ; II Cor 4,13 -5,1 ; Marc 3,20-35

1. Introduction

Voilà trois textes qui nous rendent attentifs et attentives à notre look, aux vêtements que l’on porte plus précisément et à notre demeure, notre habitat. Dans les premiers chapitres de la Genèse dont nous venons d’entendre un extrait de l’expulsion de l’homme et de la femme du jardin d’Eden, on peut comprendre que sans vêtement tout va pour le mieux mais qu’avec on prend conscience des risques de la connaissance du bien et du mal, lié dans ce récit à un lieu topologique, relatif au lieu où on habite. Autrement dit au contexte environnemental.
Dans le texte aux Corinthiens, 2ème épitre, Paul est clair, notre vie personnelle est comparée à une demeure et à un vêtement deux choses dont on ne saurait se passer aux quotidien. Montre-moi où tu habites et je te dirai qui tu es ? Qui se cache derrière ta cravate, ton foulard, ou autre look ? Qu’elle personnalité ?
Et dans le texte de l’évangile, Béelzéboul, donc Satan est en jeu. Du reste Béeluzéboul, justement signifierait littéralement : maître des demeures. Celui qui prend possession de l’environnement intime. Va s’immiscer dans les armoires aux garde-robe, aux penderies de complet-veston afin de tout faire non pas pour revêtir les locataires de ces logements, du St-Esprit, contre lequel, Béelzéboul est impuissant, ne peut rien, mais pour tenter de faire de ses locataires des demeurés, des aliénés au pouvoir de Satan.
À partir de cette constatation, je vous propose de faire un petit tour, autour de cette confession de Paul du texte : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé nous croyons, nous aussi, et c’est pourquoi nous parlons. » Autrement dit, avec le même Souffle qui fait vivre notre foi, notre confiance en Dieu, selon les Écrits, nous constatons que Celui-ci habite notre demeure. Et parce que j’ai cru, je peux en parler, confesser ma foi. Sortir de ma demeure non contaminée pour témoigner.

2. Parler de quoi au juste

Mais parler de quoi au juste ? Et bien quant à moi, lorsque je crois, je parle de sainteté, au sens de mis à part. Être saint c’est être mis à part, canonisé dirait nos frères et sœurs catholique. L’état de sainteté c’est être séparé de… mis de côté, en dehors de, à part du monde qui grouille de toutes les tentations, les déviances du bon sens spirituel, qui abonde d’obstacles capable d’entraver notre témoignage. Être saint c’est en fait habiter un espace existentiel, ontologique – certes qui ne peut pas être permanent – habiter le plus souvent possible cet espace hors de Satan, du mal en fait. Et non pas être divisé car une division même si elle sépare en deux éléments par exemple ou plus, les éléments gardent leur substance. Les deux moitiés d’une pomme coupée en deux conservent le goût de la pomme. Une famille divisée par un bacille du mal quel qu’il soit ne peut subsister, mais ses membres gardent le même sang. C’est pourquoi ma demeure intérieure, éternelle selon l’apôtre Paul. Non faite par les hommes, invisible donc et qui dure toujours au nom de notre confiance en Dieu, n’a rien à voir, je crois, avec Béelzéboul. Car cette demeure éternelle donc qui dure toujours, est insaisissable dans sa totalité, son absolue. Et scientifiquement relative, toujours partielle aux investigations scientifiques, objectives physiques. En fait cette demeure éternelle selon l’apôtre ne peut jamais être définitivement saisie. Ni par toi, ni par moi, ni par vous toutes et tous aux capacités intellectuelles estimables et reconnues. Mais au cœur de la sainteté de Dieu, de sa manifestation au moyen de son St-Esprit, elle peut être ressentie, vécue en chacune comme en chacun. Un peu comme le seul élan de la gloire de Dieu. Comme une confession aimantée par son amour.
Quand je crois, je parle aussi de la grâce de Dieu, du don gratuit de son St-Esprit. Contre lequel je n’ai rien à dire sinon le recevoir et me laisser inspirer. Et finalement, quand, je crois, je parle de la beauté, morale et esthétique, artistique, au sens de l’acte créatif qui apriori n’est pas critique. « Dieu construit, le mal détruit ? questionne Michel Serres dans « La Légende des Anges ». L’un imagine, l’autre critique.

3. Je parle de sainteté
La sainteté d’abord un terme contesté, bourré de préjuger. En fait, un terme dont le monde ne veut plus tellement entendre parler. J’en parle personnellement parce que dans le texte de la Genèse que nous venons d’entendre, outre la tentative étiologique d’expliquer les causes du mal, avec une histoire d’homme, de serpent et de femme qui découvre sa nudité, je retiens le moment sacré, le moment et lieu mis à part, l’état de grâce qui précède ce narratif au sujet de couple humain et du serpent. Ce moment sacré ou lieu, qu’on appelle paradis, jardin d’Eden. En fait cet acte souverain du Dieu créateur qui laisse libre cours au souffle de vie, à son St-Esprit, à cette énergie transhistorique afin d’envisager un monde magnifique destiné à l’humain comme à toute la création, avant que tout ne bascule.

Et bien aujourd’hui comme hier, chaque foi que je ressens, que je prends conscience de ce souffle de Dieu, de cette énergie qui perdure à travers l’histoire comme dans les différentes manifestations et exercices de ma vie, je privilégie, entoure ces moments, plonge dans ceux-ci, fait rouler, si je puis dire en pensant à la pierre du tombeau vide, fait rouler hors de moi tout ce qui peut limiter, altérer ma connexion au souffle de Dieu. Et ceci, afin de m’ouvrir au jardin de la résurrection. À ce stade, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de me pencher sur les forces du mal, celles de l’Enfer, mais bien plutôt de les laisser à leur néant, à leur vanité. Car nous avons avant tout besoin de nous concentrer, de dépenser notre énergie à la réception de l’œuvre de Dieu quand elle se manifeste. Surgit de son souffle créateur. Un souffle qui encore et toujours, aujourd’hui, est capable de donner la meilleur réponse à ce monde de fou, de cruauté dans lequel nous vivons.

4. Je parle de la grâce de Dieu
Je parle en plus de la grâce de Dieu en lien avec la gratuité du don de Dieu, en lien avec la demeure éternelle qu’Il nous accorde. Plus parce qu’elle est gratuite, car tout se paye avec le diable, que parce qu’elle est dans le ciel. La gratuité comme la grâce est sans porte-monnaie. Dieu n’attend pas vraiment un retour monnayable au don de sa grâce, mais une prise en considération des atouts, des privilèges, du charme, de la beauté, de l’élégance, de son souffle divin. Le St-Esprit n’est pas un combustible qui alimente un moteur du progrès et de la connaissance à outrance, c’est le don gratuit de la Vie de Dieu. Le contraire de ce consternant retour au primitif que nous connaissons et qui immobilise un peu partout les manifestations de la dite grâce de Dieu.

5. Je parle de la beauté
Et finalement parler de la beauté, si c’est d’abord un clin d’œil à l’histoire des grandes religions, c’est avant tout un pied de nez au diable, à Béelzéboul, aux oppositions, aux critiques négatives, à la loi du sang, manifestées contre Jésus. Alors qu’il accompli des miracles, vient de créer une équipe de choc, une task force pour annoncer l’arrivée du royaume de Dieu.
Je crois que la beauté est incontournable dans cet annonce du Royaume de Dieu. Comme ces moments de « demeure éternelle » chez Paul. « C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau. », nous rappelle un autre Paul, Paul Claudel. Et un encore ce célèbre auteur Dostoïevski, insistera pour affirmer que « La beauté sauvera le monde ». Et si vous me permettez un exemple personnel, la beauté spécifique au souffle de Dieu, dans cet enjeu, dans ce défi, est à l’image du style architectural roman. Il invite à la contemplation. Et la beauté devient tranquille, simple, protectrice, horizontale pourquoi pas, au contraire du style gothique qui peut transpercer, insister, être glacial, enflé quelque fois.
La beauté du message de l’évangile, de son annonce du Royaume de Dieu, à cette particularité qu’elle cherche plutôt à convaincre qu’à vaincre. Qu’elle nous invite à ne plus voir avec les yeux du monde, mais avec ceux du ciel ou encore à plonger notre regard dans la clarté de l’amour de Dieu si souvent déchiffrable autour de nous quand on le veut bien. Elle nous éclaire aussi avec cette lumière du foyer, de la demeure éternelle, comme le souligne l’apôtre Paul. Nous n’avons plus dès lors les mêmes yeux, quand l’icône de Jésus est devant nous, les mêmes mains qui peuvent être tenues par la main du Créateur. Nos pas sont plus sûrs, parmi les obstacles du mal. Jésus nous considère dès lors comme ses frères, ses sœurs, ma mère ajoute-t-il, si nous faisons la volonté de Dieu, le Père. Vous l’avez deviné, finalement la beauté c’est faire la volonté de Dieu avec le don de son St-Esprit. Autrement dit, chercher à sacraliser le monde, faire avancer le règne de Dieu afin de hâter, de précipiter la fin du règne de Béelzéboul. Amen.

 

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